La question de l’endettement de la Tunisie suscite des réactions diverses, car, sans avoir à en exagérer l’ampleur ou la gravité, c’est là, sans aucun doute, un sujet de préoccupation et qui requiert un traitement spécifique. Car il ne s’agit pas de savoir si le pays est encore dans une situation de s’endetter davantage, mais pourquoi le ferait-il et pour quel résultat escompté.
Par Khémaies Krimi
L’événement : après avoir rejeté, le 3 mai 2019, une première fois la demande du gouvernement de sortir sur le marché financier international pour lever des fonds, la commission des finances, de la planification et du développement relevant de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a fini par l’approuver, le 22 mai.
En vertu de ce feu vert l’Etat tunisien va pouvoir émettre sur le marché financier international un emprunt obligataire de 800 millions de dollars ou d’euros, selon la situation du marché, en vue de financer le budget de l’Etat pour l’exercice en cours. Au décompte final, 13 députés ont voté pour et seulement 2, Mongi Rahoui (Front populaire) et Rim Mahjoub (Afek Tounès), ont voté contre cette sortie, et ce, lors d’une séance d’audition du ministre des Finances, Ridha Chalghoum.
Risque d’aggravation de la dette
Justifiant son vote contre cette sortie, M. Rahoui, président de cette commission a précisé aux médias que cet emprunt qu’il a qualifié de «très élevé» va aggraver la situation de l’endettement de la Tunisie auprès des institutions financières internationales».
Le relayant un jour après, l’expert en économie, développement et investissement Sadok Jabnoun a déclaré, en substance, au site ‘‘African manager’’, que «l’endettement de la Tunisie a connu une hausse vertigineuse, atteignant même 74% du PIB». Il a laissé entendre, par la même occasion, que ce taux risque de s’aggraver avec cette nouvelle sortie sur le marché financier international, d’autant plus que le nouvel apport financier va servir à financier le déficit budgétaire et non l’investissement.
Cette thèse d’aggravation du taux d’endettement se défend bien en ce sens où cette sortie sur le marché financier intervient après celui accordé le 24 avril 2019 par le parlement au gouvernement pour contracter au près des banques tunisiennes un crédit en devises de 356 millions d’euros.
Par-delà ces hypothèses et supputations, il faut reconnaître qu’à défaut de statistiques fiables et au regard de la disparité des taux annoncés et des approches suivies, il est très difficile d’apprécier objectivement l’endettement de la Tunisie. Pour preuve.
Dans une récente étude sur ce sujet, Mustapha Kamel Ennabli, ancien ministre du Développement économique et ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), va plus loin et estime que le taux d’endettement actuel de la Tunisie est de l’ordre de 125% du PIB si on ajoute au taux officiel affiché (71%) la dette des caisses de sécurité sociale, des entreprises publiques et parapubliques.
Déjà, Fadhel Abdelkefi, au temps où il était ministre du Développement, de la Coopération internationale et de l’Investissement (gouvernement Chahed I), parlait d’un taux d’endettement réel de 85% si on ajoutait au taux officiel la dette celui de la dette du secteur privé.
Si on s’amuse naïvement à faire l’addition : taux officiel avec un trend haussier (75%) + dette des entreprises publiques para-publiques, caisses de sécurité sociale (55%) + taux de la dette privée (15%), le taux d’endettement de la Tunisie avoisinerait les 145% du PIB. Le rapport annuel du Forum de Davos sur la compétitivité pour l’exercice 2018, publié en novembre dernier, a classé la Tunisie à la 133e place sur un total de 140 pays listés pour l’ampleur de la dette.
Cela pour dire simplement que le calcul du taux d’endettement du pays pose toujours problème en dépit de la disponibilité de solutions pour y remédier.
Le surendettement de la Tunisie serait du à la méthodologie
Invité, en janvier 2018, par la Biat pour donner une conférence sur la thématique «Quels déterminants du décollage économique pour la Tunisie dans le monde d’aujourd’hui», Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et banquier d’affaire, n’a pas manqué d’attirer l’attention sur certains dysfonctionnements liés à la structure de la dette tunisienne et à la méthodologie suivie pour la présenter. Il s’est dit dérangé par sa répartition- composition : emprunts extérieurs + emprunts intérieurs. «Il n’y pas un pays en Europe qui présente sa dette rapportée au PIB en ajoutant la dette intérieure à la dette extérieure. Des pays comme la France ou l’Allemagne ne parlent de leurs dettes qu’en faisant allusion uniquement à leur dette extérieure», a-t-il-martelé avant d’ajouter: «Si la Tunisie applique la même méthodologie, le taux de son endettement serait un des plus bas en Afrique».
La solution : la création d’une Agence de Trésor
L’idéal serait pour les observateurs de la dette tunisienne d’opter pour une réforme radicale. Celle-ci consisterait en la réactivation d’un projet cher au défunt Slim Chaker, ancien ministre des Finances, en l’occurrence la création d’une agence dédiée exclusivement à la gestion de la dette publique à l’instar de l’Agence France Trésor. Sa mission serait de centraliser la gestion de la dette publique et d’optimiser l’emploi des ressources d’emprunt.
À terme, il s’agit de mettre fin à trois dysfonctionnement : la multiplicité et l’absence de coordination entre les institutions et ministères en charge de la dette (Banque centrale de Tunisie, ministères des Finances, du Développement, de la Coopération internationale et de l’Investissement, et des Affaires étrangères.
Interpellé sur le retard qu’accuse la mise en place de cette agence, un ministre qui a requis l’anonymat m’a révélé que les départements en charge du dossier ne veulent pas de cette agence car la gestion d’une partie de la dette leur permet d’utiliser les soldes des dons et crédits non utilisés pour assurer à leurs hauts cadres un certain confort de vie : achats de voitures de luxe, voyages à l’étranger, séjours dans des hôtels de luxe, le tout en toute légalité. Sans commentaire.
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