Aujourd’hui voter blanc au second tour de la présidentielle après demain, dimanche 13 octobre 2019, reste le seul bulletin prudent et responsable pour les tunisien-ne-s qui pensent encore qu’un futur président c’est un choix éthique et politique.
Par Moncef Ben Slimane *
Quelques heures nous séparent encore du 2e tour et la première place de Kaïs Saied (KS) lors du 1er tour des élections présidentielles suscite un flot continu de commentaires et d’interprétations.
Le mystère KS s’épaissit de jour en jour puisque les analystes de la scène politique nationale l’étiquettent tour à tour anarcho-gauchiste, islamiste, fasciste ou kadhafiste.
Je ne connais pas très bien KS. Les rares images qui me restent de lui sont celles de ce collègue souriant, affable et quelquefois présent dans les réunions syndicales de la faculté droit. Discret, il n’a jamais fait partie d’un groupe politique particulier ni ne s’est distingué par ses discours à la tribune des AG de l’époque.
Des fantasmes de classe moyenne urbaine prise de panique
Paradoxalement, le délirium actuel à propos de KS nous apprend plus sur les postures et craintes des commentateurs que sur le «nowhere man».
L’appui d’Ennahdha, de Hezb Ettahrir, des nationalistes arabes et d’une partie de l’extrême gauche ne nous aident pas à voir plus clair. Et l’énigme devient encore plus inextricable quand le candidat rappelle à chaque fois qu’il est indépendant et qu’il n’a sollicité le soutien de personne.
Le brouhaha autour de KS ne présente donc que peu d’intérêt. Ridicule de croire que ce dernier a emmagasiné 19% des voix en provenance des jihadistes ou des gauchistes.
La Tunisie ne se transformera pas en califat ni en Corée du Nord arabe. Ce sont des fantasmes de classe moyenne urbaine prise de panique; un peu à la manière du syndrome de la Coupole en 2011.
Le plus probable est que KS a engrangé les voix des jeunes et des oubliés de la transition démocratique. C’est pour cette raison que l’étiquette qui colle peut-être le mieux au personnage, c’est celle de candidat antisystème. C’est évidement l’élu du vote sanction et protestation.
Le scrutin de 6 octobre ne fait, en réalité, que confirmer qu’un cycle politique touche à sa fin. Le système prend l’eau de toutes parts. Les colmatages et bricolages du genre : technocrates, pacte, gouvernement d’union nationale… n’impressionnent plus les Tunisiens. Pire, ils les rendent encore plus suspicieux à l’égard de leurs élites.
On peut donc tout reprocher à KS sauf une seule chose : nous avoir sortis de la torpeur et apathie générales qui gangrénaient la vie politique nationale dominée par l’inconstance et l’inconsistance des leaders de plateaux télé.
La victoire de KS a des conséquences et des ressorts qui dépassent sa propre personne.
La banalisation de la Benalisation rampante du système
Comprendre ce qui s’est passé, le 15 septembre 2019, implique le retour au 14 janvier 2011 et le démêlage et le dépoussiérage de l’écheveau de 8 années de ce qu’on n’ose même plus nommer révolution.
Les dispositifs juridiques et politiques du système, en crise aujourd’hui, ont été mis en place entre la fuite de Ben Ali et la désignation de feu Béji Caïd Essebsi 1er ministre. Beaucoup du sort de la révolution s’est joué au cours de ses 3 premiers mois.
Maintenant que le temps est passé, Il faut reconnaître que Foued Mebazâa et Mohamed Ghannouchi ont été de fins politiciens et de grands manœuvriers rompus, il est vrai, par des décennies de gestion et d’exercice du pouvoir.
Avouons qu’ils ont réussi ce tour de force de faire de la transition démocratique, la transition du ministre de l’Education du dictateur Ben Ali en poste le 14 janvier 2011, en ministre toujours de l’Education en 2019.
Autrement dit, le gouvernement d’union nationale a confié le sort de nos jeunes et de leur éducation au même personnage choisi par Ben Ali et pour la même mission. Il faut la vivre pour croire cette banalisation de la Benalisation rampante du système.
Comment s’étonner alors que la Tunisie dise non, dans un sursaut éthique, contre une classe politique qui a foulé aux pieds ses aspirations à la dignité.
Ce sursaut est pour beaucoup dans la victoire de KS au 1er tour. Mais le sort de notre pays aujourd’hui en crise et qui joue son avenir, exige prudence et responsabilité dans notre choix au second tour de la présidentielle.
Sans doute Kaies Saïed est un candidat qui a de grandes qualités, de probité, d’humilité et de droiture. Mais il a également de grands défauts liés au flou entourant son programme et, surtout, à son alliance – en silence et par omission – avec des forces politiques obscurantistes, anti-démocratiques et ne possédant aucune légitimité historique.
Aujourd’hui voter blanc reste le seul bulletin prudent et responsable pour les tunisien-ne-s qui pensent encore qu’un futur président c’est un choix éthique et politique.
* Universitaire.
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