Dans l’entrechoc des milliards de dollars des campagnes électorales à l’américaine, pastichant Corneille dans ‘‘Le Cid’’, on pourrait écrire: «Partis douze, à l’arrivée, il n’en restait plus que deux.» Entre le ressuscité Joe Biden et le revenant Bernie Sanders, tous deux Démocrates, un seul point commun: leur âge avancé, et beaucoup de divergences.
Par Hassen Zenati
«Il est vivant» ! C’est par ce cri du cœur couché en un titre choc barrant sa couverture, que le ‘‘New York Post’’, soulagé, a annoncé la victoire de son «poulain», l’ancien vice-président le modéré Joe Biden, contre son rival le socialiste Bernie Sanders, dans une confrontation qui a tourné à l’hécatombe, lors du «Super Tuesday» (Le Super Mardi), «Pont aux ânes» des primaires américaines.
Les commentateurs parlent de come-back et de remontada. Les principales autres têtes d’affiche ont jeté l’éponge en se ralliant à l’un ou l’autre des deux prétendants. La suite du scrutin se résume désormais en un duel sans merci entre deux septuagénaires, chevaux de retour d’une compétition dont ils connaissent les moindres codes sur le bout des doigts. Les milliards de dollars sont déjà alignés pour financer les joutes et les coups commencent à voler bas, malgré le vœu proclamé des deux concurrents, camarades de parti tout de même, d’y aller mollement. Ils sont l’un et l’autre excités à l’idée d’avoir à affronter Donald Trump, leur benjamin à bientôt 74 ans, et de lui faire mordre la poussière. Une consécration aux yeux de l’histoire, selon eux.
Le mot d’ordre des Démocrates : «Tout Sauf Trump»
Au sein du parti Démocrate, frustré d’avoir raté le coche la dernière fois avec Hillary Clinton face à Donal Trump, le mot d’ordre martelé en toute occasion est «Tout Sauf Trump» (TST).
Parmi ceux qui ont jeté l’éponge dès les premiers échanges, le plus emblématique est Michael Bloomberg. Ce Démocrate âgé de 78 ans, transfuge du parti Républicain, après être passé par la case Indépendant, ancien maire de New York, était tellement sûr de lui-même et tellement confiant dans son étoile, qu’il avait décidé d’ignorer les premiers rounds des primaires pour se consacrer aux plus gros Etats, pourvoyeurs du plus grand nombre de «Grands Electeurs» qui décident du choix final de ce scrutin indirect. Il a raté son pari. Le «Super Tuesday», qui lui a coûté 500 millions de dollars en clips de campagne, s’est terminé en bérézina. Ses mandats new-yorkais avaient pourtant été bien appréciés de ses administrés et il compte parmi les plus affûtés du gratin de la finance mondiale.
Le deuxième candidat éjecté sans ménagement est Pete Buttigieg, premier candidat à la présidentielle américaine à avoir fait campagne en assumant ouvertement son homosexualité, après avoir fait son «coming out». Ancien maire de la quatrième plus grande ville d’Indiana, il était aussi le plus jeune postulant à la présidentielle de l’histoire américaine. Son programme se résumait à la mise en place d’une assurance santé universelle – une idée empruntée à Hillary Clinton – au soutien apporté à un projet écologique en vogue, le «Green New Deal», et à un contrôle plus strict des armes à feu. Ce fléau américain est responsable annuellement de la mort de plusieurs dizaines de victimes innocentes tombant sous les balles le plus souvent de déséquilibrés.
Bloomberg et Buttigieg ont décidé de se rallier à Joe Biden contre Bernie Sanders, qui attend, lui, la décision cruciale d’une autre candidate malheureuse, Elizabeth Warren, qui avait fait illusion à ses débuts par sa relative jeunesse et son discours flamboyant de gauche, avant de se faire devancer et d’abdiquer. Affublé du sobriquet «Mme Plan», Elizabeth Warren, Sénatrice et avocate, disait avoir un «plan» pour résoudre tous les problèmes dont elle croit que les Américains en souffrent, depuis le réchauffement climatique, jusqu’à la résolution des inégalités croissantes au sein de la société, en taxant les plus riches, en passant par une couverture sanitaire pour tous, financée par l’Etat fédéral. Bernie Sanders, qui développe un programme proche de celui d’Elizabeth Warren, compte désormais sur son soutien pour rattraper son rival au plus haut des intentions de vote.
Vers un duel sans concession entre Biden et Sanders
Le duel entre Joe Biden et Bernie Sanders s’annonce sans concession. Le premier se proclame «démocrate modéré», seul capable de rassembler la famille démocrate, pour affronter l’actuel chef de l’exécutif, le second s’affiche «socialiste», n’hésitant pas à développer un discours clivant, farouchement opposé à l’establishment, à la tête duquel il place Donald Trump. Le paradoxe de Bernie Sanders, c’est qu’à près de 80 ans, il apparaît comme le candidat des jeunes, auxquels il a promis la gratuité des études supérieures et l’effacement de leurs lourdes dettes universitaires.
Aux Etats-Unis, la dette des étudiants est un serpent de mer et une bombe à retardement. Elle éreinte les jeunes et hante les politiques : l’éclatement de la bulle menacerait d’écroulement un nombre importants d’établissements financiers qui ont jusqu’à présent fait leur beurre sur les prêts étudiants. Les études supérieures n’étant pas gratuites, ils démarchaient les jeunes postulants dès leur première année d’inscription en leur offrant des facilités de crédit, qu’ils mettront deux à trois décennies à rembourser, intérêts compris, dès la fin de leurs études. Cette contrainte financière est à l’origine d’un mal-être des jeunes diplômés obligés de reculer leur projet de mariage, d’achat d’une maison ou d’installation à leur propre compte. Ceux qui ratent leur diplôme ou ne trouvent pas le bon «job» suffisamment rémunérateur à la sortie de l’université, sont souvent appelés s’exiler à l’étranger pour se soustraire aux remboursements et échapper (provisoirement) aux poursuites.
L’autre jambe de Bernie Sanders dans cette épreuve, ce sont les Latino-américains, dont le poids n’a cessé de croître dans l’électorat, alors qu’ils continuent à être traités comme les laissés pour compte de la prospérité américaine. Dans son programme de lutte contre la pauvreté, il a fait pré carré de cet électorat enthousiaste et résigné à la fois.
Bernie Sanders, qui veut incarner l’aile gauche des Démocrates, défend aussi le projet d’un salaire horaire minimum, qui apparaît comme une hérésie dans une économie qui ne jure que par l’offre et la demande et la totale souveraineté du marché.
Il est enfin pour le suffrage universel direct et la réforme du mode de scrutin américain, régi par le système des «Grands Electeurs». Ces démarches iconoclastes selon les critères américains, font de lui le candidat radical par excellente, celui qui, finalement, fait peur sans risquer de mordre.
«Évidemment déçu» de sa contre-performance au lendemain du «Super Tuesday», qu’il attribue dans une approche complotiste, au travail de sape de l’establishment, Bernie Sanders ne s’avoue pas vaincu pour autant. Il a décidé de fourbir ses armes contre son adversaire et compte bien, dans une première étape, le mettre en difficulté voire le déstabiliser au cours d’un débat télévisé, qui promet d’être très «chaud» entre les deux hommes.
Biden veut rendre aux Etats-Unis sa place sur la scène internationale
Longtemps submergé par son adversaire, paraissant assommé par l’ampleur de l’enjeu, Joe Biden s’est soudain «réveillé» pendant le «Super Tuesday», raflant l’essentiel des Etats en jeu, 10 sur 14, se plaçant en tête de la course à l’investiture. Ce succès l’a regonflé à bloc. Il fait de lui le favori de la compétition en cours et peut-être l’adversaire irrécusable de Donald Trump. Autant son rival est tourné vers l’intérieur – mais sans jamais oublier le clin d’œil à Israël, dont le soutien inébranlable reste la pierre angulaire de tout programme électoral aux Etats-Unis – autant Joe Biden s’est positionné d’abord à l’international. Il s’est mis d’emblée au même niveau que Donald Trump et proclame, comme lui, qu’il veut une «America Great again» (Une Amérique grande de nouveau). Son objectif est de rendre aux Etats-Unis sa place sur la scène internationale que, de son point de vue, la «politique hasardeuse et brouillonne» de Donald Trump a dégradée.
Sénateur du Delaware pendant trente 6 ans, élu vice-président sur le ticket de Barack Obama, figure connue de la classe politique, candidat à deux reprises à la primaire de son parti, il se prévaut d’une grande expérience sur le plan international et national, ce qui l’a d’ailleurs exposé à d’innombrables critiques sur son parcours. Le reste de son programme est à l’avenant: gratuité du premier cycle des études supérieures, élargissement du nombre de bénéficiaires de l’assurance maladie, croissance tournée vers les classes moyennes souffrant de déclassement. Sur le plan écologique, son «audace» ne dépasse pas la signature de l’accord de Paris sur le climat, que Donald Trump avait écarté d’une pichenette dès son accession à la Maison Blanche. Son atout maître reste la nostalgie Obama auprès des Afro-américains, qu’il veut séduire afin qu’ils participent nombreux au vote, en glissant un bulletin en sa faveur dans l’urne. Sachant que Sanders lorgne aussi cet électorat de plus en pus influent, constitué d’une classe moyenne industrieuse et relativement aisée, il a versé dans sa campagne une vidéo d’archives le montrant aux côtés du seul président noir que les Américains aient jamais envoyé à la Maison Blanche.
Mais alors que Donald Trump, assuré d’être le candidat des Républicains (Parti de l’Eléphant) pour un 2e mandat présidentiel, surveille de près le spectacle des leaders démocrates en train de se déchirer dans leurs réduits, la base du «Parti de l’Âne» (Démocrates), plus revancharde et vindicative que jamais, appelle à «récupérer» la Maison Blanche quel qu’en soit le prix. Le prix qu’il faut payer est pour les partisans de Joe Biden de voter pour Bernie Sanders et pour de Bernie Sanders de voter pour Biden, en jouant à fond l’unité du parti et en mettant dans leur poche leurs convictions intimes : «modérés» pour les uns, «socialistes» pour les autres.
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