La pandémie n’est encore pas jugulée, que la controverse pointe le bout de son nez, dessinant une nette ligne de démarcation entre une Europe du nord efficace et mieux armée dans sa lutte contre le Covid-19, et une Europe du sud qui l’est bien moins.
Par Hassen Zenati
Chacun connaît la boutade célèbre, datant des années 1990, de l’attaquant anglais Gary Lineker : «Le football est un sport qui se joue à onze contre onze et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne». Appliquée à la lutte contre le coronavirus en Europe elle est à peine caricaturale, à la nuance près que le camp des vainqueurs s’étend à tous les pays du nord de l’Union Européenne (UE), alors que les pays du sud forment celui des perdants.
Depuis la réunification allemande il y a trente ans, Berlin, sous la conduite de Helmut Kohl puis d’Angela Merkel, depuis 2005, s’est installée à la tête d’une Europe du nord qui cultive deux vertus cardinales des fourmis: effort et épargne, face à une Europe du sud, cigale, souvent comparée à un Club Med de farniente plongé dans la facilité, submergé par la dette. Dans la célèbre fable de Jean de la Fontaine, chacun connaît la réplique de la vertueuse fourmi à sa dispendieuse voisine, la cigale, venue quémander une aide pour passer l’hiver : «Que faisiez-vous au temps chaud ? – Dit-elle à cette emprunteuse – Nuit et jour à tout venant – Je chantais, ne vous déplaise – Vous chantiez ? j’en suis fort aise : Et bien ! dansez maintenant».
Merkel opposée à la mutualisation de la dette
Depuis la crise financière de 2008, la chancelière allemande, qui en est à son quatrième mandat, a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises à ses partenaires au sein de l’UE, discrètement, mais fermement, quitte à être taxée d’égoïsme: si vous voulez vous en sortir, mettez d’abord de l’ordre dans vos finances. Son attitude implacable face à la Grèce a marqué les esprits par son intransigeance.
La bête noire d’Angela Merkel reste la mutualisation de la dette, qui ferait supporter aux plus vertueux les turpitudes budgétaires des plus dispendieux. Sollicitée à nouveau pour créer des «bonds» européens, les Corona bonds, pour financer la lutte contre la pandémie, et de mettre la main à la poche, qu’elle a pourtant profonde, elle a su à nouveau s’esquiver habilement.
Tout en acceptant d’apporter son aide aux divers programmes de lutte contre la pandémie, elle s’est cabrée devant toute proposition de mutualisation de la dette, sachant que la sienne se situe dans les clous de Bruxelles, en dessous de 60% du PIB, alors que celle de la France, de l’Italie et de l’Espagne naviguent bien au delà de 100%. Elle s’est attiré les foudres du président du conseil italien Giuseppe Conte pour son «égoïsme» et son «manque de solidarité». Mais, soutenue par les Pays-Bas partageant la même ligne de conduite, elle a accusé le coup sans plier.
Elle a en revanche consenti quelques gestes de bonne volonté en ré-autorisant les exportations d’équipements médicaux à ses voisins et en prenant en charge quelque 300 patients italiens, français et espagnols en réanimation dans ses hôpitaux pour soulager les établissements hospitaliers encombrés de ses partenaires.
Au tout début de la crise, par précaution, les autorités allemandes avaient décidé de bloquer les exportations de ces matériels en attendant de voir venir. Angela Merkel avait apporté sa caution à cette décision en bravant les critiques.
L’Allemagne résiste mieux que ses voisins à la pandémie
La crise sanitaire, comme en 2008 la crise financière, a de nouveau montré que l’Allemagne a mieux résisté que ses voisins à la pandémie. Elle a enregistré moins de dégâts, et elle est en train d’organiser sa sortie de crise avant eux, dans un ordre qu’elle veut impeccable.
Grâce à ses excédents budgétaires et commerciaux, elle sera au rendez-vous de la relance avec quelques longueurs d’avance, creusant ainsi un peu plus le fossé qui la sépare de ses grands partenaires du sud : France, Italie, Espagne, qui sont encore loin d’être sortis d’affaire.
Dimanche 19 avril 2020, l’Italie, pays le plus atteint de l’UE, affichait 23.000 morts, suivi par l’Espagne, avec 20.400 et de la France 19.700 décès. Dans les trois pays la lente tendance à la décrue, s’accompagne d’une même crainte chez leurs dirigeants politiques, exprimée notamment par le Premier ministre Edouard Philippe pour la France : «Nous ne sommes pas encore sortis de la crise sanitaire».
L’Allemagne avec 4.000 décès pour 83 millions d’habitants et une pyramide des âges plutôt défavorable, estimait en même temps qu’après être parvenue à mettre la pandémie «sous contrôle», elle a décidé d’entrer en dé-confinement dès lundi 20 avril, en rouvrant ses commerces, et à rouvrir les établissements scolaires et universitaires à partir du 4 mai.
Le système de soins allemand le plus performant en Europe
Pour les experts, Berlin, en raison de la formation scientifique de sa chancelière, docteur en chimie, a sans doute vu venir la pandémie plus vite que les autres. À partir de l’apparition mi-janvier du premier cas avéré en Bavière, elle a fondé sa stratégie sur l’utilisation à grande échelle des tests pour dépister les patients présentant le moindre symptôme, soit 300.000 à 500.000 test effectués par semaine. Elle a mobilisé pour cette vaste opération la totalité de ses laboratoires indépendants, qui ont répondu présent sans rechigner. Les dépistés positifs étaient confinés immédiatement. Avec un résultat probant : moins de morts au final.
Le système de soins allemand s’est révélé être le plus performant en Europe, ce qui a arraché à l’austère Angela Merkel un cri de victoire : «Nous avons peut-être le meilleur système de santé au monde», a-t-elle dit. Ses conseillers expliquaient en même temps, comme un pied de nez à leurs collègues du sud, que la rigueur budgétaire appliquée par Berlin ne menait pas forcément à la dégradation des politiques de santé et à l’appauvrissement de l’hôpital.
Avec 28.000 lits de soins intensifs, dont 25.000 équipés d’assistance respiratoire, l’Allemagne surpasse largement ses voisins. Pour les économistes Elie Cohen et Gilbert Cette, les Allemands ont par ailleurs su maintenir sur leur sol une filière pharmaceutique et industrielle, notamment pour la fabrication de respirateurs, qui leur ont permis de réagir au plus vite, là où d’autres devaient s’adresser à la Chine.
Dans l’après pandémie, l’Allemagne apparaît aussi comme la mieux placée pour pousser son avantage. Avec un PIB de 52.500 dollars par habitant en 2018, elle est déjà passée devant la France et l’Italie. La suite va lui donner de plus grandes marges de manœuvre pour accélérer le pas, alors que la France, l’Italie et l’Espagne. Leurs entreprises prendront sans doute du retard à se redresser par rapport à celles de l’Allemagne et des pays de l’Europe du nord. Elles devront se résigner à perdre des positions concurrentielles, malgré les aides budgétaires multiples qui leur ont été consenties.
Mais le risque qui est désormais pointé par les pointilleux surveillants de marché de la Commission de Bruxelles, est que les 3.200 milliards d’euros de liquidités que les Etats européens ont été autorisés à débloquer pour venir au secours des entreprises défaillantes à cause du confinement, et assurer la relance à la sortie de la crise sanitaire, ne soient détournés de leur objet et ne provoquent des distorsions de concurrence préjudiciables au membres les plus vertueux de l’UE et au projet européen dans son ensemble.
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