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Entre fausses pistes et ballons d’essai, Ennahdha pousse ses pions

Au terme d’un demi-siècle de violence idéologique, de gros mensonges et de petites manœuvres politiciennes, les islamistes tunisiens semblent avoir imposé leur mainmise définitive sur la scène politique tunisienne qu’ils ont totalement neutralisée et mise sous leur coupe. Attention, il y a péril en la demeure !

Par Hechmi Trabelsi *

Les islamistes tunisiens, alors appelés Mouvement de la Tendance Islamique (MTI) ont commencé dès la fin des années 1970 à faire parler d’eux : d’abord en tant qu’instigateurs et auteurs d’attaques terroristes (l’épisode du Comité de coordination du PSD à Bab Souika, l’attaque d’hôtels à Sousse et Monastir, alors que Bourguiba était encore au pouvoir et le complot de Baraket Essahel plus tard, sous le régime de Ben Ali). Dans les trois exemples cités, les régimes autoritaires de Bourguiba et de Ben Ali avaient réagi de la seule façon qu’ils connaissaient : la réponse sécuritaire et la répression brutale.

La victimisation est la meilleure arme des extrémistes

De ce fait, et Bourguiba et Ben Ali avaient balisé la première fausse piste qu’emprunteront les islamistes. D’auteurs d’actes barbares, ils sont devenus victimes, posture qu’ils garderont jusqu’à présent. La victimisation est la meilleure arme aux mains de tous les mouvements extrémistes. Le meilleur exemple est celui du Front national en France qui, à force de jouer aux victimes, a fini par s’attirer la sympathie de ceux qu’il combattait en premier lieu : les ouvriers, les syndicats, le Parti communiste français, les «bobos» de l’establishment bien-pensant.

Qu’on regarde les chiffres du Front national (rebaptisé Rassemblement national, tout comme le MTI avait été rebaptisé Mouvement Ennahdha) aux élections européennes et municipales et on comprend le degré de réussite de leur stratégie.

À force de jouer aux victimes, Ennahdha a pu «apitoyer» une petite frange de l’establishment tunisien, regroupée dans des partis tels que le CPR et les groupuscules résultant de ses diverses scissions, dont le Courant démocratique.

Le citoyen lambda aime les «petits» et on à maintes fois entendu des Tunisiens dire (surtout avant les échéances électorales) que les militants d’Ennahdha ont été victimes de la répression sanglante de Ben Ali, connu les affres de la prison et de l’exil et que, de ce fait, ils méritaient un petit coup de pouce. Résultat : Ennahdha est au pouvoir en 2011, avec tous les avatars que l’on connaît.

Les islamistes profitent des avantages de la démocratie pour l’abattre

La deuxième manipulation dont fait usage Ennahdha est le mensonge. Plus il est gros, plus les gens y croient. C’est ainsi que les islamistes se présentent aux élections avec un programme mirobolant, qui promet monts et merveilles, mais qui reste basé sur un pêché original : le mensonge. Leur programme est fait de fausses promesses, donc de mensonges; soit. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient, surtout ceux qui pensent que les islamistes «craignent Dieu» et ne peuvent donc mentir. Eux qui se proclament les hérauts d’un Islam pur et dur, sans peur ni reproche, savent qu’ils ne pourront jamais gouverner comme l’avaient fait avant eux les premiers gouvernants de l’islam, dont ils revendiquent la filiation à cor et à cri. Qu’à cela ne tienne : il existe des mensonges justifiés, «halal» comme dirait l’autre, qui servent à endormir les adversaires, qui visent en dernier recours à utiliser les armes de leurs ennemis pour mieux les abattre. Le mensonge devient une ruse de guerre, ce que les Frères Musulmans appellent «taqiya» (ou l’art de cacher sa vérité), qui leur permet même de s’allier avec le diable.

Du mensonge éhonté découle la duplicité. Les islamistes ne croient pas en la démocratie; elle est l’apanage des sociétés occidentales impies. Encore une fois, la «taqiya» rend licite ce que la morale et la religion réprouvent. Les islamistes vont donc profiter des avantages de la démocratie pour mieux l’abattre.

De nouveau, le parallèle avec le Front/Rassemblement national s’impose : ce dernier ne croit pas en l’Europe, mais s’investit à fond pour briguer des députations au Parlement Européen. Une fois assurés d’arriver au pouvoir avec 38% des suffrages, les islamistes s’offrent les services de deux partis censés être laïcs (donc ennemis de l’islamisme) : le CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar.

Moncef Marzouki voulait être président de la république, même s’il avait été personnellement élu avec seulement 7.000 voix; Ennahdha, forte de sa majorité parlementaire relative, exauce ses rêves mais le prive de tout pouvoir.

Mustapha Ben Jaâfar voulait lui aussi être président de la république, ce que les islamistes semblaient lui avoir promis; il se contenta de la présidence de l’Assemblée constituante. Ce faisant, il a commis le plus retentissant des suicides politiques et perdit tout le crédit dont il jouissait sur le plan international et national. Son parti est étrillé aux élections de 2014 (avec aucun député à l’ARP) et n’est plus maintenant que le spectre de lui-même.

Les islamistes tunisiens semblent plus pragmatiques et moins doctrinaires que leurs homologues du Moyen-Orient, à commencer par les héritiers de Hassan El Banna et Saïed Qotb. Ils peuvent s’allier avec le diable et Dieu reconnaîtra les siens. Ils peuvent ne pas s’afficher mais trouvent toujours qui par cupidité, qui par frustration joueront les comparses. Ils dénichent des «indépendants», à l’image d’un professeur de droit qu’on nomme ministre de la Justice, ou un autre illustre inconnu juriste ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi. Ils vont trouver des Kais Saïed, resté pendant toute sa carrière assistant de l’enseignement supérieur, à qui on distribue des «Professeur» par-ci, des «Professeur» par-là, qui se gargarise de mots et dont le seul programme est d’être «avalisé» par Ennahdha.

Aux dernières élections, en multipliant les candidatures déclarées ou à peine cachées, Ennahdha semble miser sur l’éparpillement des voix, parce que le mouvement islamiste sait qu’il n’a aucune chance de gagner les présidentielles. Il est prêt à sacrifier son vice-président Abdelfattah Mourou qui est trop ficelle et trop loquace pour contenter les purs et durs du mouvement et ainsi se débarrasser de lui sans avoir l’air d’y toucher.

Ennahdha noyaute la fonction publique et place ses pions dans les rouages de l’Etat

Plus proche de nous, le dernier ballon d’essai : la nomination (proposée et non encore annoncée officielle) de deux conseillers, Imed Hammami et Oussama Ben Salem, auprès du chef du gouvernement Elyès Fakhfakh avec rang et avantages de ministre.

Un chef de gouvernement a besoin de conseillers dans des domaines pointus qu’il ne maîtrise nécessairement pas. Il fait alors appel à des personnes dont la compétence nationale (ou internationale) est bien établie, qui apporteront un plus à l’action du gouvernement. Or les deux nominés ne sont nullement des lumières et ne jouissent d’aucune compétence.
Imed Hammami est passé par au moins deux ministères où il n’a pas laissé d’impérissables souvenirs. Ce n’est certainement pas son diplôme de l’Université Zitouna, obtenu dans des conditions le moins qu’on puisse dire suspectes, qui l’habilite à occuper ce poste de conseiller.

Quant à Oussama Ben Salem, son fait d’armes le plus significatif est qu’il a fondé une télévision hors-la-loi, dont le financement occulte laisse supposer une inféodation à des forces obscurantistes qui ne veulent aucun bien à la Tunisie. Comment peut-on alors concevoir qu’une personne qui ne respecte pas la loi, dont la TV diffuse à partir de l’étranger (en devises s’il vous plaît !) peut-il occuper un poste de premier rang dans un gouvernement qui se veut respectueux de la loi et déterminé à combattre la corruption sous toutes formes ?

La seule explication possible réside dans un autre principe si cher aux islamistes, à savoir l’entrisme. Il n’y a pas longtemps, leur chef, Rached Ghannouchi, ci-devant président de l’Assemblée, déplorait le fait que les forces armées et la police n’étaient pas acquises au mouvement Ennahdha. Le moyen trouvé pour contourner cette difficulté passagère a été de noyauter la fonction publique, en plaçant ses pions, en dépit de leur manque de compétence et de leur expérience, et faire main basse sur l’administration, cheville ouvrière par excellence de l’État.

Même si ces nominations ne sont pas confirmées, Ennahdha aura lancé un ballon d’essai pour voir venir les réactions. Je suis convaincu que devant le tollé-général que cette tentative a soulevé, ils se rétracteront, encore une fois, qu’ils crieront à cor et à cris qu’il s’agit de fake news visant à les discréditer auprès de l’opinion publique (encore la victimisation). Mais rien, pour le moment, ne semble pouvoir contrer leurs sombres desseins : la scène politique tunisienne actuelle, avec sa mièvrerie légendaire et, surtout, son opportunisme, est trop légère pour pouvoir changer le cours des choses.

* Universitaire.

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