Les Tunisiens et les Tunisiennes, ou en tout cas une grande partie d’entre eux, deviennent carrément ingérables. Pour avoir «fait une révolution» (comme ils aiment dire avec emphase), ils ne sont pas loin de croire que le monde entier leur est redevable de quelque chose. Aussi, et au lieu de retrousser leurs manches, de travailler dur et de faire avancer leur pays sur la voie du progrès et de la prospérité économique, ils se mettent à «vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière», comme dit le fameux adage français. Incorrigibles et, surtout, désespérants de fatuité.
Par Ridha Kéfi
Dix ans après avoir chassé du pouvoir Feu Zine El Abidine Ben Ali, les Tunisiens se rendent compte qu’en dépit de son autoritarisme affiché, ce flic de sous-préfecture bombardé président de la république n’était pas si mauvais gouvernant que cela et que, sous son règne, le pays se portait plutôt mieux et pratiquement dans tous les domaines. L’époux de Leila Trabelsi avait certes piqué dans la caisse, lui et sa smala, mais il n’a pas tout piqué. Au contraire, après son départ, il restait une bonne cagnotte dans la Banque centrale de Tunisie, laissée sous la main pour les mauvais jours. Et les mauvais jours sont très vite arrivés. Car l’épargne nationale laissée a été dilapidée en deux temps trois mouvements par les «révolutionnaires» qui ont succédé au «tyran».
Un peuple qui confond démocratie et paresse
Incompétents, corrompus et voraces, ces derniers n’ont pas mis beaucoup de temps pour mettre le pays dans la dèche. Ils ont été, il est vrai, «aidés» en cela (et comment ?) par un peuple dont l’impéritie n’a d’égal que l’irresponsabilité, qui confond révolution et anarchie, démocratie et… paresse.
Le résultat n’a pas tardé : la Tunisie d’aujourd’hui ressemble très peu au petit dragon d’Afrique du Nord que peignaient les médias occidentaux dans les années 1900-2000. À l’époque, il est vrai, le pays alignait, bon an mal an, des taux de croissance de plus de 5%, et n’avait aucune difficulté à mobiliser les prêts auprès des bailleurs de fonds internationaux, non pas pour payer les augmentations de salaires successives de fonctionnaires nombreux, incompétents et insatiables, mais pour construire des barrages, des ponts, des échangeurs, des autoroutes, des aéroports, etc. «La Tunisie rembourse toujours ses prêts rubis sur ongle et dans les délais fixés. Aussi nous suffit-il de préparer de bons dossiers pour faire débloquer les montants dont nous avons besoin», expliquait, au milieu des années 1990, un haut cadre du ministère de l’Equipement au journaliste que je suis, alors que je lui faisais part de mon étonnement de voir autant de chantiers ouverts à la fois dans la capitale.
La Tunisie est tombée bien bas
Quand on voit aujourd’hui les membres du gouvernement Mechichi errer comme des âmes en peine dans les couloirs des organisations internationales ou faire les yeux doux aux dirigeants des «pays frères et amis» dans l’espoir de mobiliser la somme de 22 à 23 milliards de dinars nécessaire pour boucler le budget de l’Etat pour l’exercice en cours, on se dit que notre pays est tombé bien bas dans l’estime qu’il a de lui-même et dans l’estime qu’a de lui le reste du monde.
Et dans cette débandade collective, et alors que le pays est au chapitre de la banqueroute, les plus à plaindre ce sont aussi les plus blâmer, à savoir les Tunisiens et les Tunisiennes, qui sont, par leur égoïsme et leur irresponsabilité, en train causer leur propre malheur. Car comment justifier certaines de leurs postures pour le moins ridicules.
À voir certains de leurs élu(e)s parler de souveraineté nationale, la main sur le cœur, tout en mendiant des aides internationales qui tardent à venir, on a vraiment de la peine pour eux. Et, bien sûr, pour nous.
À les voir rejeter avec véhémence toute aide financière extérieure assortie de conditions… de bonne gouvernance, on se dit que les bailleurs de fonds ont de bonnes raisons d’hésiter à venir en aide à des gens qui refusent de s’aider eux-mêmes et qui, pis encore, semblent déterminés à s’empêtrer davantage dans la gabegie, allant même jusqu’à proposer de ne plus rembourser les dettes anciennes… Ambiance.
Une «élite» qui se délite
À voir un gouvernement, conduit par un rond de cuir issu de l’administration publique, s’engager à réduire la masse salariale du secteur public (17,5% du PIB), tout en continuant à céder aux exigences d’augmentations salariales de telle ou telle corporation, on se dit que les carottes sont déjà cuites et qu’il n’y a plus d’espoir de voir le pays retrouver la voie du travail, de la productivité et de la croissance.
Avec une «élite» (magistrats, ingénieurs, architectes, médecins, enseignants universitaires, receveurs d’impôt…), plus coûteuse que travailleuse, qui dépense plus qu’elle ne produit, et qui continue de faire la grève pour exiger des augmentations salariales que le gouvernement est dans l’incapacité de lui garantir… une «élite» qui se soucie comme d’une guigne du sort de ses propres enfants, les quelque 700.000 chômeurs (dont 250.000 diplômés du supérieur) qui peinent à trouver un premier emploi… Avec une telle «élite», on ne peut sérieusement s’attendre à une prochaine sortie de crise.
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