La morale en politique n’est pas toujours là où on la croit, les bons et les méchants n’existant que dans les mauvais téléfilms et piètres romans.
Par Jamila Ben Mustapha *
Les courants politiques conservateurs ont toujours cru représenter, eux, la morale, contre les comportements nouveaux qu’ils prétendent souvent lui être opposés.
Or, si l’on observe l’attitude des passéistes et des modernistes, comme de la droite et de la gauche dans la Tunisie de ces dernières années, force est de constater que l’on ne peut que remettre en question cette affirmation simpliste.
D’Ennahdha à Sghaier Ouled Ahmed
Tout d’abord, après le 14 janvier 2011, n’avons-nous pas vu le parti Ennahdha ayant remporté les élections octroyer des compensations financières faramineuses à ses militants faits prisonniers pendant de longues années par l’Ancien Régime, comme si tout pouvait s’acheter et se vendre, même le militantisme politique dont la beauté consiste justement à être un acte «gratuit» fait au nom de principes, et non motivé par l’appât du gain?
Et ne voilà-t-il pas qu’on avait vu alors, celui qui était considéré comme un mécréant par ces mêmes islamistes, Hamma Hammami, le porte-parole du Front populaire, refuser énergiquement toute compensation matérielle pour les années de prison passées et les tortures infligées?
Plus récemment de même, nous venons de lire le témoignage de l’ami de feu Sghaier Ouled Ahmed, Adel Hadj Salem, qui assure, lui, que notre grand poète national a toujours refusé de se voir restituer les salaires qui lui étaient dus et dont l’Ancien Régime l’avait privé pendant de nombreuses années, rien que parce qu’il avait voulu résister en conservant une parole libre et en refusant de rentrer dans les rangs.
Le 7 avril, le journal électronique ‘‘Tunisie Numérique’’ publie un texte nous informant qu’à peine marié, un extrémiste religieux tunisien veut contraindre sa femme à aller au «jihad» en Syrie.
Comment le lavage de cerveau aboutit-il à faire faire à un mari juste le contraire de ce que lui dicte la tradition : offrir sa femme aux autres pour qu’elle soit traitée comme la plus exploitée des prostituées, tout cela probablement contre de l’argent que sont bien loin de dédaigner ces gens se prétendant religieux et qui pensent apparemment plus à ce monde, ici-bas, qu’à l’autre ?
Suffit-il de changer le nom des actions – ici, la prostitution devenue «jihad nikah» – pour les faire passer du domaine du mal à celui du bien ?
La monstruosité banalisée
L’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), c’est bien loin d’être le culte de la tradition, c’est juste son opposé. C’est une monstruosité de l’histoire comme il y en a eu, de tous temps, en Orient comme en Occident : au Cambodge avec Pol Pot, en Allemagne avec le nazisme, aux colonies avec les pires traitements infligés aux autochtones, les Palestiniens y compris maintenant, dans une indifférence quasi-générale, en Espagne avec l’Inquisition, en Amérique avec les méfaits des émigrés européens et des missionnaires catholiques sur les esclaves noirs amenés d’Afrique et les habitants autochtones du continent, les Indiens, systématiquement éradiqués…
Il est, en effet, utile de mettre les choses en perspective à propos du phénomène Daech, pour ne pas alimenter le racisme qui n’est pas autre chose qu’une incapacité à percevoir à distance un événement, une hâte à juger sans vouloir comprendre dans le but de diviser illusoirement le monde en groupes globalement privilégiés et en autres, entièrement honnis et rejetés !
Mais la gauche, les modernistes ont-ils toujours eu l’apanage du comportement moral? Loin s’en faut. Evoquons deux faits assez récents de notre actualité, le second plus grave que le premier : nous avons appris récemment que lors de l’enterrement de Sghaier Ouled Ahmed, Samir Dilou a été obligé de quitter le cimetière du Jallez, devant les «Dégage» de certains assistants.
Cette attitude est tout, sauf noble, et enfreint l’atmosphère de recueillement qui devrait régner au moment de toutes funérailles. On aurait pu se contenter de lui adresser des critiques sur la joie honteuse de certains de ses partisans, à la suite de la mort du poète, mais pas recourir à une attitude aussi violente et brutale !
Sur ce point, la tradition a du bon d’exiger que lors d’une mort, toutes les condoléances doivent être reçues et acceptées, de quelque côté qu’elles viennent.
Les attitudes primaires et choquantes
Encore plus choquant est l’encouragement apporté par le ministre de l’Education, Neji Jalloul, qui pourtant fait du si bon travail par ailleurs, après les événements de Ben Guerdane, aux élèves revêtus d’un tee-shirt représentant des militaires faisant le signe de la victoire devant des cadavres de terroristes tués !
On peut admettre la joie des soldats venant d’écraser leurs ennemis et d’échapper, eux-mêmes, à la mort. Mais que cette scène soit médiatisée et élevée au rang de symbole dans un contexte éducatif où notre devoir est d’inculquer aux jeunes des comportements éthiques et civiques, c’est ce qu’on ne peut comprendre.
Il est évident qu’à la vengeance, on n’a pas à répondre par la vengeance et que l’on doit se démarquer totalement des terroristes, en remplaçant leurs attitudes primaires barbares et choquantes de triomphalisme au cours desquelles on les voit exhiber les dépouilles de leurs victimes, par un comportement qualitativement autre tel que celui requis par le respect que l’on doit aux cadavres quels qu’ils soient, rien que parce qu’ils sont devenus impuissants et inoffensifs.
Beaucoup souhaiteraient que l’on classe le monde en bons et méchants comme dans les mauvais téléfilms et piètres romans, sauf que la réalité têtue insiste toujours pour nous obliger à tenir compte de sa complexité !
* Universitaire.
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