Comment les banques ont pu enregistrer des super-performances financières quand le pays est en panne économique depuis 5 ans?
Par Mohamed Chawki Abid *
En dépit du climat morose qui oriente les débats sur des sujets politiques socio-économiques et sécuritaires, l’on constate que plusieurs citoyens se plaignent de la dégradation de la qualité de service des banques et surtout de l’inflation des commissions librement ponctionnées sur leurs comptes bancaires. Certaines banques privées vont jusqu’à pratiquer des commissions tortionnaires, tant pour compenser leurs pertes sur l’activité de crédit que pour engraisser leurs propriétaires, et ce, en dépit de la persistance du marasme économique que traverse le pays.
L’appétit vient en mangeant
Les banques s’y entendent à merveille pour multiplier et charger les lignes tarifaires. Depuis 2011, les banques se sont activées à compenser le coût des mauvais crédits par le gonflement des produits de commissions, notamment celles liées au fonctionnement de compte. C’est peut-être une manière de faire payer les déboires causés par des débiteurs défaillants par un grand nombre de clients innocents, dont surtout les particuliers et les professionnels.
L’appétit vient en mangeant. Après avoir réussi l’assainissement de leurs actifs classés, certaines banques ont poursuivi le gonflement du produit des commissions prélevées sur leur clientèle, tant par la création de nouvelles commissions que par l’inflation des tarifs appliqués. Voilà ce qui s’appelle un effet pervers… «Il faut bien qu’ils tiennent leur compte d’exploitation», disait un administrateur d’une banque privée satisfait du niveau de dividende empoché.
Dans ce cadre, il y a lieu de rappeler que depuis 10 ans, des mécanismes ont été mis en place afin de hisser la qualité des services bancaires au niveau des standards internationaux, s’articulant autour des axes suivants :
– les services bancaires de base (gestion de compte, dépôt/retrait, encaissement, paiement, virement, carte);
– la convention de gestion de compte de dépôt, prévoyant une obligation d’aviser la clientèle de toute modification tarifaire;
– le médiateur bancaire devant favoriser le règlement amiable des différents qui peuvent naître entre les deux parties
– l’Observatoire des services bancaires, qui réalise périodiquement des sondages sur la qualité de services et les tarifs.
Ce sont les clients qui casquent
Il n’est plus un secret pour personne que les coûts de services deviennent de plus en plus élevés, alors que le pouvoir d’achat du citoyen est en érosion et les bénéfices des entreprises sont en baisse. Il est difficile d’admettre qu’une banque prélève mensuellement sur le compte d’un travailleur quelques dizaines de dinars, à chaque fin du mois, que ce soit pour des opérations bancaires, de tenu du compte, de monétique et services divers.
D’après le sondage de l’OBS réalisé en 2013, plus de 70% des Tunisiens estiment que les services bancaires sont chers, et le client ne se rend compte de ces frais que lorsqu’il les voit sur son relevé de compte, assortis à des libellés volontairement anachroniques.
Certes, plusieurs services sont offerts gratuitement aux clients. C’est le cas de l’ouverture de compte, de la délivrance de chéquier ou du livret d’épargne, de la tenue d’un compte d’épargne, du versement et retrait d’espèces, du paiement de chèque, du virement de compte-à-compte dans une même agence, de la consultation et de l’extrait de compte, du relevé de compte mensuel, du retrait de billets de DAB-GAB de la banque du porteur, du paiement par carte bancaire auprès d’un commerce en Tunisie, du règlement de facture via-internet (SPS), du changement d’adresse ou de clôture de compte. Cependant, certains de ces services sont payants, dans certaines banques, malgré les directives de la BCT.
L’examen comparatif des états financiers des banques (sur 2013-2014-2015) révèle que le produit en commissions (autres que celles des engagements) s’est considérablement redressé, notamment pour la clientèle des particuliers.
Si les découverts sont facturés au prix fort (de 12 à 15% d’agios pour ceux non autorisés, et de 9% pour ceux autorisés), les frais prélevés en cas de difficultés financières ou d’incidents de payement n’ont jamais cessé d’enfler.
Les banques les plus perverses optent pour la discrimination tarifaire de chaque commission, en fixant un tarif par catégorie de clientèle «particuliers»: débiteur non autorisé, débiteur autorisé, faible solde créditeur, solde créditeur intermédiaire, et fort solde créditeur. Le pire c’est que les taux de commissions sont inversement proportionnels à la santé financière du client, ce qui conduit à qualifier ces pratiques d’agissements cruels. Et comme la majeure partie de leur clientèle est loin d’être aisée financièrement, les tarifs maxi sont appliqués à la majorité des comptes (soit quelques centaines de milliers pour certaines banques). Le champion dans ce sadisme tarifaire semble être le leader du système bancaire.
Face à ces pratiques, les clients protestataires ne trouvent pas d’oreilles attentives, même pas auprès du «médiateur bancaire» qui est généralement complaisant avec celui qui règle ses honoraires. Au niveau de la Banque centrale de Tunisie (BCT), l’Observatoire des pratiques bancaires reste muet face aux pratiques abusives. Enfin, l’Organisation tunisienne de défense du consommateur (OTDC) semble ignorer ce dossier de par la multiplicité des préoccupations sur les produits alimentaires ou à forte consommation par les ménages. Certains clients pensent à changer de banque, en dépit des frais occasionnés et des impératifs administratifs à satisfaire. Sauf que cette alternative s’avère difficile, voire impossible, pour les clients piégés par des crédits (crédit immobilier, crédit à la consommation, débit conséquent).
Au moment où ce papier est rédigé, le marché des changes connaît de fortes vacillations avec tendance baissière du cours du dinar tunisien (TND), et ce, suite à la publication de la lettre d’intention cosignée par le gouverneur de la BCT et le ministre des Finances à l’adresse du Fonds monétaire international (FMI), qui annonce clairement la limitation des interventions de l’institut d’émission sur le marché des changes au lissage des fluctuations excessives du taux de change tout en favorisant la flexibilité du taux de change dans un souci de résorber progressivement la surévaluation du dinar.
Au-delà du fondement de cette orientation imposée par le FMI après la mise en indépendance de la BCT, les banques de la place profitent de cette situation de panique pour se sucrer sur les commissions et sur les positions spéculatives, ce qui laisse présager un gonflement des revenus sur «opérations de change» au titre du 1er semestre 2016.
Enfin, ne serait-il pas grand temps que l’OTDC puisse se pencher sérieusement sur le dossier des commissions bancaires?
* Ingénieur économiste.
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