Le recrutement des jeunes pour le jihad se fait encore en partie dans les mosquées.
Pour lutter contre le fléau du terrorisme, les solutions sécuritaires sont insuffisantes. Il faut agir en amont par la prévention, l’éducation, l’accompagnement.
Par Salah El-Gharbi
Depuis des semaines, le débat sur le retour des jihadistes des foyers de tension au Proche-Orient fait rage avec sa surenchère verbale, opposant ceux qui sont favorables à la réinsertion de ces enragés après leur dé-radicalisation et ceux qui affichent une attitude de rejet catégorique de ces éléments dangereux, source de menace pour la sécurité des citoyens.
La grande capacité de mutation du virus islamiste
Toutefois, autant ce sujet clivant fait baver les hommes politiques de tous bords, certains appelant les foules à sortir dans la rue pour manifester leur indignation et leur colère, autant le débat qu’il suscite donne le sentiment qu’on est dans une société sur la défensive, régie par l’émotion et travaillée par les intérêts politiques les plus immédiats, et qui a du mal à réfléchir froidement et à se projeter dans l’avenir.
Ainsi, au lieu de vociférer et de gesticuler à propos du retour de quelques centaines de sauvages, beaucoup ayant déjà retrouvé le Seigneur sur les fronts du jihad, ne serait-il pas plus judicieux d’accorder de l’intérêt aux milliers de jeunes qui se trouvent encore aujourd’hui sous l’influence des gourous de l’islamisme radical? Au lieu de faire pression sur le gouvernement afin de l’amener à empêcher le retour des jihadistes, comme si cela dépendait de sa volonté, ne serait-il pas plus censé de lui demander des comptes sur ce que notre pays fait pour prévenir le mal du salafisme jihadisme, qui continue à ronger notre société, et écouter les doléances des parents aux abois et désorientés par cette forme pathologique de religiosité?
La particularité du mal islamiste, c’est qu’il est facile à incuber, mais difficile à combattre, d’autant plus que ce virus est doté d’une grande capacité d’adaptation et de mutation. Sournois, ce mal s’installe aussi bien à la campagne comme dans nos cités, chez les nantis comme chez les miséreux, chez les supposés instruits, comme parmi les abrutis.
L’histoire de Bilel
A ce propos, l’histoire de Bilel est, à la fois, édifiante et emblématique. Il s’agit, d’un jeune homme de 27 ans qui a grandi dans une famille ordinaire de la banlieue sud de la capitale, entre une mère et une sœur aînée, aimantes et très bienveillantes. Introverti, fragilisé, il y a quelques années, par la disparition de son père, ce jeune commence par fréquenter assidûment la mosquée du quartier, s’attardant, de temps à autre, avec quelques «frères», une fois la prière de l’aube terminée, en compagnie desquels il sirote un petit café en bavardant. «Depuis, il commence par se procurer des livres d’endoctrinement, qui, selon lui, parlent du ‘‘vrai islam’’», raconte Myriam, sa mère. Puis, il se met à articuler un drôle de discours qui se veut «savant» et à sermonner sa sœur à propos des gestes ordinaires de la vie, en tenant des propos inquiétants. «Le jour où il a déchiré les photos de famille accrochées au mur du salon, je me suis affolée. J’ai beau essayé de le raisonner, mais c’était en vain… Je me sens seule, impuissante. Je ne sais que faire, à qui m’adresser», ajoute-t-elle, en pleurs.
L’histoire de Bilel ne représente pas un cas isolé. Elle témoigne de l’impact de ce phénomène idéologique sur la cohésion familiale, un processus qui mène progressivement à une forme de désocialisation du jeune pour aboutir à une sorte de rupture brutale avec la nation. Mais, cette histoire nous montre aussi qu’à côté de cette jeunesse impactée par cette nouvelle «culture» obscurantiste, il y a des parents comme Myriam, ces êtres perdus et livrés à eux-mêmes incapables d’affronter ce mal pernicieux qui s’empare subitement de leurs enfants, et qui sont légion.
Pour prévenir de pareilles ruptures, aussi bien familiales que sociales, qu’avons-nous mis en place comme structure?
Les solutions sécuritaires, qui interviennent en aval et souvent trop tard, peuvent-elles nous prémunir contre les dangers de la radicalisation? La tentation du recours aux pratiques répressives et expéditives de l’époque de Ben Ali n’ont-elles pas déjà montré leurs limites?
Salafistes paradant sur une plage de Hammamet en 2013 (Ph. Brahim Chanchabi).
Se doter des moyens de prévention
Pour lutter contre la gangrène salafiste jihadiste, le travail doit être en amont. Pour les spécialistes en matière de terrorisme, la prévention reste la solution la plus fiable à long terme. Le vrai enjeu n’est pas l’exclusion ou la répression; elle réside plutôt dans notre capacité à anticiper, à prendre les devants en se dotant de moyens appropriés dans cette lutte de longue haleine contre l’obscurantisme religieux et, son corollaire, le jihadisme.
Il s’agit, en premier lieu, de mettre en place des structures d’accueil, encadrés par des spécialistes et destinées à écouter les doléances des familles aux abois, des mères et des pères désorientés qui souffrent en silence, et à la disposition desquels, il faudrait mettre un numéro vert. Eclairer les parents, les accompagner et les orienter seraient un service indispensable à rendre à la société tout entière.
En Tunisie, on a besoin, non pas de ces pseudo-experts es-«terrorisme» qui déblatèrent à longueur de soirées sur les plateaux de télévision, mais d’équipes capables de détecter les cas suspects, de prendre en charge les jeunes en rupture avec le milieu familial; comme on a besoin de structures spécialisées dans la dé-radicalisation, impliquant divers départements ministériels : Intérieur, Justice, Santé, Affaires religieuses, Famille, Jeunesse, Education…
Parallèlement à ces structures, l’Etat, appuyé par la société civile, est appelé à mener un travail intelligent de sensibilisation et de conscientisation de la jeunesse. Ainsi, des campagnes d’information, à l’image de celles mises en place pour prévenir les jeunes contre le sida ou la drogue, devraient être menées à travers des spots télévisuels et un discours ciblé et subtil, capable de toucher cette population vulnérable, particulièrement visé par l’hydre terroriste.
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