Sihem Bensedrine / Imed Trabelsi.
Le témoignage d’Imed Trabelsi devant l’IVD a laissé beaucoup de Tunisiens sur leur faim, suscitant le scepticisme de plusieurs observateurs politiques.
Par Abderrazek Krimi
Le passage, vendredi soir, 19 mai 2017, d’Imed Trabelsi en séance d’audition publique devant l’Instance Vérité et Dignité (IVD), diffusé par la chaîne publique Wataniya 1, a divisé la classe politique et l’opinion publique.
Beaucoup ont mis cette apparition médiatique de l’une des grandes figures de la corruption de l’ère Ben Ali à l’actif de l’instance et de sa présidente Sihem Bensedrine. D’autres ont par contre dénoncé une intention de manipulation de l’opinion publique dans un esprit de règlement de certains comptes politiques.
Doutes sur la sincérité des démarches
Les premières réactions sont venues des internautes et facebookeurs, qui se sont interrogés sur les intentions ayant présidé à la présentation de ce témoignage enregistré dans la prison de Mornaguia, où Imed Trabelsi est incarcéré depuis la chute de l’ancien régime le 14 janvier 2011, qui plus en différé et après avoir fait subir un montage à la version initiale, et ce, contrairement aux témoignages précédents, qui ont tous été présentés en direct.
Les plus sceptiques ont fait part de leur réserve, estimant que le témoignage a été délesté de plusieurs parties pour protéger certaines personnes et que la présidente de l’IVD n’a présenté que les séquences qui servent ses propres visées politiques et non une réelle volonté d’établir la vérité.
Il faut dire qu’en affichant ses sympathies pour le parti islamiste Ennahdha et ses amitiés pour le Harak Tounes Al-Irada de l’ancien président provisoire de la république Moncef Marzouki, elle a aggravé les doutes de beaucoup de Tunisiens sur la sincérité de ses démarches.
Aussi la plupart des observateurs ont-ils estimé que ce qui a été présenté par Imed Trabelsi n’est qu’une partie de la vérité, d’autant que ce dernier s’est gardé de citer les noms des personnes impliquées dans ses malversations douanières, financières et autres, se contentant de dire, à propos de certaines d’entre elles, qu’elles sont très connues et qu’elles apparaissent régulièrement à la télévision.
Les Tunisiens, restés sur leur soif, réclament la révélation de toute la vérité, notamment sur les personnes qui ont aidé les corrompus et profité de la corruption sous l’ancien régime et qui continuent, selon les aveux de Trabelsi, à entretenir les mêmes réseaux de trafic et de contrebande. Ils exigent aussi de connaître l’identité des personnalités politiques auxquelles le neveu de Leila Trabelsi, l’épouse de Ben Ali, a fait allusion dans son témoignage, en prenant le soin de ne pas les citer.
Dans le camp des politiciens, Samia Abbou, député du Courant démocratique (Attayar), et Issam Chebbi, secrétaire général du Parti républicain (Al-Joumhouri) ont considéré que le témoignage de Trabelsi prouve l’ampleur de la corruption qui sévissait sous l’ancien régime et qui continue de sévir encore aujourd’hui, en l’absence d’une volonté politique pour démanteler les réseaux en question, notamment dans le secteur de la douane.
Bensedrine règle ses comptes avec le président Caïd Essebsi.
Une pierre dans le jardin du président Caïd Essebsi
Ils ont, par ailleurs, considéré que la comparution de ce dernier devant l’IVD prouve que l’instance, bien que très décriée, avance sur la voie qui lui a été tracée lors de sa création, celle de la mise en œuvre de la justice transitionnelle. Et de conclure qu’à partir de ce moment, le projet de loi sur la réconciliation économique et financière, présenté par le président de la république Béji Caïd Essebsi et qui est examiné actuellement par l’Assemblée des représentants du peuple, n’a plus de raison d’être.
En revanche, d’autres dirigeants politiques ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une instrumentalisation de la part de Sihem Bensedrine du témoignage d’une grande figure de la corruption sous l’ancien régime pour régler ses comptes personnels avec le chef de l’Etat, qui tient à faire adopter ce projet de loi très contesté par l’IVD, estimant qu’il cherche à la dessaisir d’une partie de ses prérogatives.
Le bureau politique du Parti destourien libre (PDL) a ainsi considéré, dans un communiqué publié samedi, que le choix du sujet de la corruption financière pour la séance d’audition publique organisée vendredi par l’IVD et la diffusion du témoignage enregistré d’Imed Trabelsi, à un moment où certaines parties se mobilisent pour faire échouer toute tentative de réconciliation nationale, prouve que l’instance «sert un agenda politique et que tout le travail qu’elle est en train de faire n’a rien à avoir avec le principe de la justice transitionnelle».
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