La guerre des Six jours a eu lieu il y a 50 ans et permit à Israël d’imposer sa suprématie militaire sur ses voisins arabes.
Par Mounir Hanablia *
L’appellation de cette guerre, qui s’est déroulée du lundi 5 au samedi 10 juin 1967, constitue à elle seule tout un programme : Israël a sans doute comparé la guerre victorieuse menée contre les armées de trois pays arabes sous-développés (Égypte, Jordanie et Syrie), à la création du monde dans le même laps de temps.
Tout avait commencé par des incidents entre Israël et ses voisins ayant trait à des franchissements de la frontière par des Palestiniens désireux de rentrer chez eux ou par des commandos venus de Syrie ou de Jordanie, et auxquels l’armée israélienne répliquait très durement par des incursions armées meurtrières et dévastatrices contre les villages et les pays voisins.
Un coup fatal au rêve de l’unité arabe
Mais depuis 1956, année de l’agression tripartite contre l’Egypte, le président Nasser, tout en renforçant le potentiel de son armée grâce à du matériel soviétique, et en maintenant sa propagande nationaliste arabe, par le biais de la Radio du Caire, alors très largement suivie par les foules de Bagdad à Casablanca, avait soigneusement pris soi d’interdire les actions armées contre l’Etat sioniste à partir du territoire égyptien.
Les troupes israéliennes ont détruit un avion de surveillance arabe.
Nasser, depuis la nationalisation du canal de Suez, continuait donc d’incarner le réveil et la fierté du monde arabe, ainsi que son espoir en un avenir radieux digne d’un glorieux passé. Et il apparaissait donc comme particulièrement dangereux, d’abord aux Israéliens, dont le cauchemar était toujours l’unité de leurs ennemis, ensuite aux Etats arabes conservateurs, en particulier ceux du Golfe, menacés par le modernisme préconisé par leur ennemi, et hantés par la menace de soulèvements populaires ou de coups d’Etat militaires mettant fin à leur pouvoir politique.
Enfin les derniers pour qui Nasser constituait un adversaire étaient bien sûr les Etats Unis d’Amérique et l’Otan, qui le considéraient à tort comme un allié des Soviétiques capable, en fermant le Canal de Suez qu’il avait nationalisé, de perturber l’approvisionnement en pétrole des pays occidentaux, et un dangereux disciple de l’Iranien Mossadegh, qui après avoir nationalisé le pétrole de son pays, avait fini par être renversé par un coup d’Etat militaire organisé par la CIA.
Cependant l’installation à Damas, après un putsch, d’un régime politique baâthiste pan-arabiste au discours anti-impérialiste particulièrement virulent, et pratiquant la surenchère révolutionnaire, allait fournir aux ennemis du président égyptien l’occasion dont ils rêvaient pour asséner un coup fatal au rêve de l’unité arabe.
C’est que les représailles menées par l’armée israélienne contre les Syriens accusés d’héberger les camps d’où les auteurs d’opérations armées étaient formés, étaient devenues de plus en plus dures, et le général Rabin, chef de l’état major, avait même déclaré que son pays était résolu à se débarrasser du régime syrien, au besoin en occupant Damas. Et naturellement, la Radio de Damas ne se faisait pas faute après chaque agression israélienne, de reprocher à l’Egypte sa passivité et son manque de solidarité, en contradiction totale avec son discours unitaire. Ce discours émanant d’un régime politique qui se posait comme champion de la cause panarabe, en rival de Nasser, était tout autant relayé par les Etats arabes conservateurs ennemis du raïs et du panarabisme toujours à l’affût de toute occasion pour le railler et de le rabaisser.
Les erreurs fatales du président Nasser
Cependant, le président Nasser, pourtant très prudent, avait fini par être persuadé qu’un véritable plan visant à l’éliminer avait été mis en place, dont la première étape avait été le coup d’état des colonels à Athènes, et la seconde le changement de régime politique à Damas annoncé par le général Rabin.
Le 9 juin 1967: soldats égyptiens capturés par les forces israéliennes.
Et en fin de compte, le raïs finit par prendre la décision de constituer une alliance militaire avec la Syrie dans le but de se défendre contre les Israéliens. C’est ainsi qu’un état major unique fut constitué.
La surprise, fut que le roi Hussein de Jordanie, pourtant l’un de ceux que la Radio du Caire vilipendait régulièrement comme traître, débarqua un jour au Caire, et demanda à ce que son pays se joignit au commandement militaire conjoint.
Le pourquoi de cette initiative est demeuré jusqu’à présent obscur, mais d’aucuns y ont vu son souci de préserver l’avenir de sa monarchie face à la vague montante du panarabisme, et d’autres, plus malveillants, celui de renseigner ses amis britanniques sur les plans égyptiens.
Quelques années plus tard le roi Hussein déclarera que le président Nasser lui avait juré disposer d’armes invincibles et de la garantie des Soviétiques contre toute invasion; un serment qui allait s’avérer dénué de toute substance, ce ne serait sans doute pas le dernier bluff dans cette affaire.
Mais les événements allaient se précipiter; des informations étaient parvenues aux Egyptiens faisant état de préparatifs militaires israéliens de grande envergure pour attaquer la Syrie.
Le président Nasser, prisonnier de sa rhétorique, et tout autant désireux de protéger le pays auquel le liait désormais un pacte de défense mutuelle fit alors un pas irrévocable : il demanda le retrait des casques bleus de l’Onu qui depuis 1956 séparaient le Sinaï du territoire israélien, et il ferma le détroit de Tiran aux navires israéliens.
Vis-à-vis du droit international, était-il en droit de le faire? Si le retrait des Casques Bleus constituait pour l’Egypte un acte souverain, la fermeture du détroit de Tiran en revanche violait les conventions internationales sur la liberté de navigation.
Soldats israéliens célébrant l’occupation d’Al-Qods.
Les Egyptiens avaient bien sûr argué que leur pays n’étant pas lié par un traité de paix avec Israël, et ce pays se préparant, en attaquant l’un de leurs alliés, à porter tort à leurs propres intérêts nationaux, il était naturel de leur part de prévenir l’agression par tous les moyens dont ils disposaient. Mais la décision du raïs revenait d’une part à priver les Israéliens des avantages retirés de leur campagne militaire victorieuse au Sinaï de 1956, contre lesquels ils avaient accepté de se retirer, et d’autre part à leur imposer dans leurs relations avec les Etats arabes des contraintes stratégiques d’autant moins acceptables qu’elles consacreraient l’hégémonie égyptienne.
Dans les faits, l’initiative du raïs fournit à l’Etat juif le casus belli dont il rêvait pour la réalisation de ses objectifs stratégiques. Un commandement militaire ennemi unifié, trois pays voisins hostiles, un discours irresponsable tenu régulièrement par le catastrophique Choukeiri, appelant à l’extermination de leur peuple et à l’éradication de leur pays, un blocus maritime: la propagande sioniste à travers le monde eut beau jeu de créer les conditions favorables au sein de l’opinion internationale justifiant l’agression depuis longtemps préparée par l’Etat d’Israël contre ses voisins, et l’annexion de ses territoires qui en résulterait.
Car les Etats arabes, réunis ou non sous un commandement militaire unique, n’avaient jamais eu ni la volonté ni les moyens d’attaquer Israël en 1967, et leur seul objectif avait été de se prémunir contre les attaques de son armée.
La position de l’armée égyptienne dans le Sinaï, la veille du 5 juin 1967, était d’ailleurs défensive, tout le monde le savait, à commencer par le général De Gaulle qui, avant même le déclenchement des hostilités, avait averti que la France, par ailleurs le principal fournisseur d’armes à Israël, s’abstiendrait d’en livrer au pays qui débuterait les hostilités.
Des conséquences désastreuses
Mais apparemment, ce que De Gaulle avait compris, avait échappé à Nasser, le plus probable est que ce dernier avait surestimé les capacités défensives de sa propre armée, équipée par les soviétiques de matériel moderne, face à une attaque israélienne dans le Sinaï. Mais le fait est là: l’aviation égyptienne, la plus importante de tous les pays arabes, fut détruite dès les premières heures de la guerre par une offensive aérienne surprise déclenchée par l’aviation israélienne, et privées d’appui aérien, les armées arabes furent incapables de s’opposer à un ennemi supérieur en nombre et en matériel, et surtout, parfaitement renseigné grâce aux nombreuses trahisons, ainsi que les photos aériennes fournies par les Américains.
Les soldats égyptiens, privés d’eau, moururent par milliers dans les sables du désert, et les Syriens, pourtant disposant d’une position très avantageuse sur le massif montagneux du Golan, ne purent s’opposer aux envahisseurs.
Nasser aurait sans aucun doute gagné à prendre en compte l’avis de Bourguiba.
Durant l’assaut contre le Golan l’aviation et la marine israéliennes attaquèrent délibérément, pour des raisons encore obscures, le bateau espion américain Liberty, qui croisait au large de Gaza, et tentèrent de le couler. L’agression, outre les dégâts matériels très importants, fit près de 70 morts et 150 blessés parmi les marins. Les avions américains, qui tentèrent de lui porter secours à partir d’un porte-avions en mission en Méditerranée orientale, en furent empêchés par un ordre émanant de Robert Mc Namara en personne, le secrétaire à la Défense, et c’est ainsi que ces avions ne reçurent l’autorisation de décoller qu’après le départ des assaillants. Quant à la Cisjordanie, elle fut occupée presque sans coup férir, en particulier Jérusalem, et aujourd’hui, après plusieurs intifada, les accords de paix avortés d’Oslo, et malgré des actes de résistance quotidiens contre l’occupation, mises à part les enclaves constituées par les agglomérations arabes, encerclées de hauts murs et susceptibles d’être fermées à tout moment, toutes les collines et les crêtes sont recouvertes d’implantations juives leur assurant le contrôle des eaux.
Pourtant, politiquement, le problème reste entier, le peuple palestinien est toujours là, et il faudra bien, un jour, lui trouver une solution digne de sa résistance inébranlable à l’occupation, et de ses sacrifices.
Quant au Golan, annexé comme la Cisjordanie, il constitue aujourd’hui, outre un poste d’observation exceptionnel surplombant toute la région, l’une des principales réserves d’eau de ce pays.
Seul le Sinaï a été restitué après les accords de paix de 1977 réalisés sous l’égide américaine, sous réserve de démilitarisation, et aujourd’hui il est le terrain d’affrontement d’élection, entre l’Etat égyptien et l’organisation terroriste de l’Etat islamiste (Daêch). La défaite de 1967 était-elle évitable?
Nasser aurait sans aucun doute gagné à prendre en compte l’avis de Bourguiba, et sa politique a fourni à l’Etat sioniste l’occasion qu’il attendait et a été responsable du désastre, parce qu’elle ne se fondait pas sur une appréciation réelle des rapports de force.
Nasser a cru que son armée étant puissante, Israël n’attaquerait pas seul, ou que s’il le faisait, il serait repoussé. Et d’autre part il pensait que la garantie soviétique dissuaderait les autres puissances d’intervenir, et sur ce plan, il a peut-être eu raison, sauf que les Israéliens ont atteint en 1967 seuls leurs objectifs stratégiques, contrairement à ce qui s’était passé en 1956 où ils avaient bénéficié de la couverture anglo-française. Plus grave encore, cette défaite allait briser le rêve d’une évolution unitaire moderniste du monde arabe, et laisser le champ libre à la montée de l’islamisme parrainé par les riches Etats pétroliers du Golfe dont nous subissons aujourd’hui les conséquences…
Selon la Bible, Dieu avait créé le monde en 6 jours et s’était reposé le 7e; Israël a battu les Arabes en 6 jours puis s’est endormi 6 ans sur ses lauriers, pour ne se réveiller qu’en 1973 après le franchissement du canal et la prise de la ligne Bar Lev, réputée imprenable, par l’armée égyptienne. Une leçon qu’il devrait toujours méditer.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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