La jeunesse qui a fait la révolution s’est révoltée par refus des injustices… comme celle que vient de subir une jeune femme violée et traînée ensuite devant les tribunaux pour atteinte aux bonnes mœurs.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Jamais notre image à l’étranger n’a été aussi déplorable qu’en ce moment ! Et cela se constate sur tous les plans ! Diplomatique, économique, financier, médiatique…
L’agresseur prend la posture de la victime
Que lisons-nous, par exemple, ce mercredi 26 septembre, sur la plupart des sites en ligne des journaux, français en particulier? Tous répercutent en bonne place l’étonnante et révoltante nouvelle de la comparution devant un juge d’instruction pour atteinte à la pudeur et aux bonnes mœurs d’une jeune femme récemment violée par deux policiers. L’incompréhension, voire l’indignation, est exprimée sur tous les tons dans ces articles où les auteurs pointent du doigt une justice qui, dans la Tunisie post révolutionnaire, dans la Tunisie gouvernée par une majorité islamiste, fait subir à l’agressée une humiliation supplémentaire et la transforme en accusée!
Quelle triste époque, au fond, que celle que nous vivons où la justice est prompte à réagir dès qu’il y a un sein nu sur la photo de couverture d’un journal comme cela fut le cas, il y a quelques mois, pour le quotidien Attounissia, mais se hâte lentement dès qu’il s’agit d’un viol en réunion subi sous la contrainte et commis par des agents de la force publique en uniforme, durant leur service et munis de leur arme!
Quelle triste époque que celle que vit une société où la justice vient rapidement au secours de l’agresseur qui prend la posture de la victime! Voyez l’affaire de la faculté des lettres de la Manouba où une jeune fille portant le niqab a traduit en justice le doyen Habib Kazdaghli pour une prétendue violence physique. Rappelons qu’aucune suite n’a été donnée à ce jour, cependant, aux diverses plaintes déposées par le doyen pour entrave à la marche normale des études au sein de l’institution universitaire qu’il dirige. Mieux encore, le tribunal devant lequel a comparu le doyen Kazdaghli, le 6 juillet, a requalifié la plainte en considérant qu’il s’agit dans le cas d’espèce de violences exercées par un fonctionnaire sur une subordonnée. Il y a là aggravation de l’affaire et l’accusé risque ainsi jusqu’à cinq ans de prison, sans parler d’une lourde amende. Verdict attendu, probablement, le 25 octobre prochain.
L'Ecole américaine de Tunis saccagée par des énergumènes.
Quelle triste époque que celle que traverse un pays où les agresseurs des artistes, journalistes et intellectuels courent toujours sans avoir jamais été inquiétés! Ou, mieux encore, qui recouvrent la liberté sur instruction des autorités judiciaires compétentes comme ce fut le cas des quatre salafistes qui ont empêché à Bizerte, armes blanches à la main, une soirée commémorant l’arrivée de Yasser Arafat et de combattants palestiniens au port de Bizerte en août 1982!
Détérioration de notre image à l’étranger
Demandez son avis sur ce qu’il pense de la justice, à titre simplement d’exemple, au journaliste Zied Krichen bousculé par des salafistes qui lui ont craché à la figure en toute impunité! Ou aux comédiens interdits de spectacle devant le Théâtre Municipal, le 25 mars dernier, Journée internationale du théâtre!
Demandez leur avis aux deux artistes ayant exposé à El Abdellia en juin dernier et passés récemment devant un juge d’instruction pour trouble à l’ordre public et soumis aux prises d’empreintes digitales et aux mesures anthropométriques comme de vulgaires criminels!
Demandez son avis au journaliste du groupe Assabah-Le Temps heurté par une voiture conduite par le Pdg et ancien commissaire de police nommé à la tête de ces quotidiens. Demandez encore leur avis aux journalistes du même groupe convoqués au poste de police pour avoir crié «Dégage» à la figure de leur nouveau patron! Ben Ali pourra-t-il ainsi traîner devant les tribunaux les milliers de Tunisiens qui lui ont indiqué la sortie en scandant «Dégage» devant le ministère de l’Intérieur le 14 janvier 2011?
Les Tunisiennes sont inquiètes pour leurs acquis sociaux
On pourrait encore évoquer la détérioration de notre image à l’étranger après l’attaque de l’ambassade américaine, le vendredi 14 septembre, et les scènes de saccage et de pillage de l’école américaine qui s’en étaient suivies. Belle occasion pour certains, dont le chef du parti Ennahdha, de profiter de l’aubaine afin de remettre sur le tapis l’exigence d’une loi qui criminalise l’atteinte au sacré. Loi de préférence de portée internationale, si l’on suivait les vœux du vieux cheikh !
Tout à son fantasme de détricoter l’œuvre progressiste de Bourguiba, M. Ghannouchi ne se soucie guère de notre spectaculaire chute aux yeux du monde dont le meilleur indice est la cascade d’annulations des réservations dans nos hôtels pour la période de basse saison qui vient de commencer.
Une jeunesse installée dans le désœuvrement forcé ne demande qu'à travailler.
Pire encore, les annulations ne touchent pas seulement le secteur du tourisme, mais aussi les plans diplomatique et économique. La chancelière allemande, Mme Merkel, ne vient-elle pas de renoncer à faire un déplacement à Tunis? N’y-a-t-il pas là une marque de défiance envers l’État tunisien en raison de son incapacité à protéger les missions diplomatiques et à maintenir l’ordre dans le pays? Des hommes d’affaires américains ne viennent-ils pas de se décommander, si l’on en croit la présidente de l’Utica, la centrale patronale? Ce manque de confiance que notre pays inspire aujourd’hui se traduit encore dramatiquement pour notre économie par notre humiliante deuxième dégradation consécutive en six mois par les agences de notation financière! Et dire qu’il y a à peine un an le monde entier nous vouait respect et admiration en tant qu’initiateurs du Printemps arabe!
Un si triste bilan
Voilà le bien triste bilan de neuf mois de gouvernance par une coalition bancale qui manque de compétences et, pire encore, d’une véritable stratégie en mesure de remettre le pays sur pied. Alors que l’arrière-pays gronde et que l’impatience des laissés-pour-compte et vrais acteurs de la révolution grandit chaque jour un peu plus.
Une soixantaine de véhicules incendiés au parking de l'ambassade américaine.
Toute cette jeunesse qui, lasse d’attendre de récolter les fruits de sa révolte contre une dictature kleptomane et qui risque quotidiennement sa vie sur les rafiots de la mort, n’attendra pas indéfiniment. Pour elle, l’urgence n’est pas, par exemple, de savoir si le niqab sera autorisé ou non dans les institutions universitaires. Cette jeunesse installée dans le désœuvrement forcé ne se soucie pas non plus de savoir ce qui adviendra en cas de chute d’Ennahdha aux prochaines élections et la sortie de la Tunisie de l’orbite islamiste et théocratique. Cette jeunesse se soucie encore moins de l’éventuelle réaction de nos voisins libyens et égyptiens qui n’accepteront pas si aisément le verdict des urnes, comme nous le prédit, sans vergogne, Lotfi Zitoun, le conseiller poli. Cette jeunesse s’est soulevée, entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, pour davantage de Liberté, de Dignité et d’Égalité. Par refus des injustices également… Celle que vient de subir une jeune femme violée et traînée ensuite devant les tribunaux pour atteinte aux bonnes mœurs en est une! Et monstrueuse en plus!
*Universitaire.
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