Pourquoi Ennahdha a-t-il peur de la Déclaration universelle des droits de l’homme?Les Nahdhaouis sont étrangers à la révolution du 14 janvier 2011, portée par la revendication de la liberté, de la dignité et de l’égalité, même s’ils  prétendent, fort hypocritement, en être les garants!

 

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

Le groupe Ennahdha à l’Assemblée nationale constituante (Anc) vient de refuser toute mention de la Déclaration universelle des droits de l’homme dans notre future constitution. Les Nahdhaouis s’interdisent toute référence s’y rapportant. Comment expliquer cette nouvelle et étrange phobie, cette farouche opposition à un texte dont la portée est essentiellement morale et non juridique et que les dirigeants du parti conservateur religieux n’ont cessé d’invoquer quand leurs militants étaient pourchassés et condamnés sous Zaba? Il s’agit-là, pourtant, d’un texte qui a inspiré, depuis sa promulgation en 1948, nombre de constitutions nationales qui le citent en bonne place dans leur préambule. La matière de plusieurs articles de cette Déclaration se retrouve, également, dans plusieurs lois fondamentales de par le monde.

Pourquoi nous soustraire à «la famille humaine»?

L’universalité de son message est ainsi reconnue par tous les pays démocratiques qui y saluent, selon l’expression de certains juristes, «la première référence aux libertés fondamentales qui soit commune à tous les peuples de la terre.»

Ne lit-on pas, en effet, dans le préambule déjà de cette Déclaration, l’affirmation de la nécessité de protéger les libertés fondamentales par un régime de droit considéré comme «l’idéal commun à atteindre»? La Déclaration n’énonce-t-elle pas, ensuite, des droits politiques tels que ceux de la liberté individuelle, l’interdiction de l’esclavage et de la torture, le droit à la sûreté ou encore la présomption d’innocence? Des droits sociaux et économiques y sont affirmés aussi comme le droit à un niveau de vie suffisant de manière à assurer la santé et le bien-être des individus ou le droit à l’éducation, à titre d’exemple.

Pourquoi donc nous soustraire aujourd’hui à «la famille humaine» alors que notre charte nationale de 1959 ne dénigrait nullement ce texte qui jouit d’une approbation quasi unanime dans le monde entier? Les islamistes qui prétendent nous gouverner considèrent-il les trente articles qui constituent cette Déclaration comme incompatibles avec les préceptes de l’islam tel qu’ils l’entendent?

Les valeurs universelles sont-elles incompatibles avec les nôtres?

Incompatible avec nos valeurs l’affirmation, dans la première phrase du Préambule, que «la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde»?

Incompatible avec nos valeurs l’idée «qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression»?

Incompatible avec nos valeurs l’engagement «des États Membres des Nations Unies d’assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales»?

Incompatible avec nos valeurs la proclamation par L’Assemblée Générale des Nations Unies «la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, parmi les populations des États membres» ?

Incompatible avec nos valeurs l’Article premier qui énonce: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 3 : «Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 5 : «Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» ?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 8 : «Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 9 : «Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 10 : «Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 11: «Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées» ?

Faut-il limiter la liberté de conscience?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 12: «Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteinte»?

Incompatibles avec nos valeurs les trois alinéas de l’Article 16: «A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

1. Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux.

2. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État» ?

Incompatible avec nos valeurs l’alinéa 3 de l’Article 21: «La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 22: «Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 23: «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.

1. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.

2. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

3. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 24: «Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 25: «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 26: «Toute personne a droit à l’éducation. […]. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 27: «Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 28: «Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 29: «L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible»?

Incompatible avec nos valeurs l’Article 30: «Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés»?

Faut-il convertir les Tunisiens à la rigueur du wahhabisme?

Mais si toutes ces dispositions ne contredisent nullement les valeurs islamiques, ne faudrait-il pas voir le motif du rejet de toute la Déclaration par les islamistes dans la reconnaissance de l’égalité entre l’homme et la femme énoncée dès le Préambule où un paragraphe rappelle que «dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande»? N’est-ce pas ce passage, précisément, où l’égalité entre les hommes et les femmes est proclamée, qui avait amené l’Arabie saoudite à voter contre la Déclaration dans son ensemble en 1948?

Mais sommes-nous obligés de servilement nous aligner sur le royaume wahhabite pour qui est toute aussi inadmissible l’éminente place accordée à la liberté de conscience dont il est question à l’Article 18: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites»?

Nos islamistes qui cherchent à nous convertir à la rigueur du wahhabisme ne doivent pas apprécier non plus la liberté de pensée telle que formulée dans l’Article 19 : «Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.»

Enfin, l’Article 25 consacré aux soins dont il faut entourer la maternité et l’enfance doit certainement faire grincer les dents de nos conservateurs car il énonce que «tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale.»

Alors peut-on considérer le parti Ennahdha comme un parti véritablement démocratique s’il rejette la parité des droits entre l’homme et la femme, s’il refuse la liberté de conscience religieuse et la liberté de pensée ou s’il fait fi des droits de l’enfant naturel? Quelle valeur accorder, finalement, à une constitution où ces droits élémentaires seraient passés sous silence? N’y a-t-il pas là suffisamment d’indices pour soupçonner Ennahdha de n’avoir jamais définitivement renoncé à son dessein secret de nous imposer un ordre théocratique où ces libertés seront bannies? Comme les Nahdhaouis, ennemis des libertés, nous semblent, tout compte fait, étrangers à l’essence même de l’esprit de la révolution du 14 janvier marquée par la revendication de la Liberté, de la Dignité et de l’Égalité! Et dire qu’ils se prétendent, fort hypocritement, comme les garants de la révolution !

* - Universitaire.

 

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