La révolution du 14 janvier 2011 ne doit rien au président d’Ennahdha. Elle lui a offert le retour au pays. Elle pourra lui offrir le minimum syndical: finir sa vie en Tunisie… Mais pas le Palais de Carthage: ce serait un cauchemar.

Par Moncef Dhambri*

Nous possédions déjà de très amples informations sur les nombreuses incompétences et gaucheries des Nahdhaouis. Nous devinions approximativement leur sournois agenda. Nous nous doutions à peu près de leur hégémonisme. Nous les craignions. Nous nous attendions à leur malveillance. Et finalement, c’était le pire des sorts qu’ils réservaient au pays. Rached Ghannouchi vient d’abattre les cartes d’Ennahdha et le jeu nahdhaoui étale désormais au grand jour le plus détestable des scénarios, avec les petites et les grosses ficelles.

Un jeu dangereux, très dangereux

Je n’occuperai pas les colonnes de Kapitalis pour tomber dans le piège qui consisterait à chercher à qui profiterait la vidéo fuitée, à tenter de savoir lesquels des passages qu’il nous a été donné de voir sont montés ou tronqués, ni à spéculer sur les plans de bataille d’Ennahdha et sa stratégie pour la prochaine étape.

Il m’a fallu deux jours et deux nuits et d’innombrables visionnages des deux versions de la tristement célèbre vidéo pour arriver à la conclusion que le jeu auquel le cheikh est entrain de jouer est dangereux, très dangereux.

Je me suis accordé tout ce temps-là et de longues insomnies pour pouvoir aligner ces quelques mots calmes et pesés, pour garder à notre débat la hauteur que mérite la révolution du 14 janvier 2011, ne pas céder à la polémique  «facile» ou verser dans «l’insulte gratuite»… de «ceux qui n’ont pas digéré leur défaite électorale», ainsi que Rached Ghannouchi se plait à nous le rappeler.

Nous ne reviendrons pas sur le regrettable verdict du 23 octobre 2011. Nous n’en retiendrons que les bons côtés, les meilleurs moments que cette élection nous a procurés et sa réussite organisationnelle irréprochable.

Le pot aux roses des manigances nahdhaouies

Détrompez-vous, M. Ghannouchi, l’opposition ne regrette pas le résultat de ce qui est sorti des urnes. Le discours d’Ennahdha, il est clair, avait séduit et il lui a valu 42% des sièges à la Constituante. La minorité électorale ne pleure pas les sièges qu’elle n’a pas su obtenir dans l’hémicycle de cette assemblée. Ceux qui s’opposent à vous aujourd’hui, cheikh Rached, déplorent surtout l’étendue de votre supercherie, la duplicité et la sournoiserie de votre islamisme. Ils regrettent aussi qu’il ait fallu toute une année pour découvrir le pot aux roses des manigances nahdhaouies.

Pour ma part, je crains que tous ces constats de fiasco nahdhaoui, et bien d’autres d’échecs qui sont malheureusement à venir, ne changeront que peu de choses à l’issue du prochain scrutin. Nous y reviendrons…

Ghannouchi ou la vidéo qui fait tomber le masque définitivement.

Ghannouchi ou la vidéo qui fait tomber le masque définitivement.

Je préfère plutôt m’attarder sur l’aspect artisanal et bricoleur de la politique politicienne des Nahdhaouis, et sur le comportement caractériel de leurs dirigeants et de la manière dont ils mènent les affaires de notre pays.

Inutile de rappeler, ici, les multiples insuccès du gouvernement Jebali, d’évoquer les promesses non tenues ou les objectifs de la révolution malmenés, et l’impertinence avec laquelle toutes ces déconvenues sont évacuées…

Inutile d’espérer, non plus, que les Nahdhaouis puissent avoir la capacité, la moindre capacité (intellectuelle ou autre), d’apprendre le moindre savoir-faire politique ou de tirer le moindre enseignement de leurs erreurs.

L’exil, la clandestinité et la prison ont fait de ces hommes et femmes des victimes, la dictature leur a infligé la plus injuste des souffrances et la tyrannie a également fait d’eux des héros aux yeux de certains d’entre nous – trop nombreux à mon goût.

Le 23 octobre 2011, il suffisait pour un candidat nahdhaoui de dire à un électorat-apprenant qu’il était honnête et qu’il craignait Dieu pour décrocher un siège à la Constituante. Cette profession de foi a eu la partie facile et a pu ainsi rafler la plus grosse mise.

Mais l’on a vite fait de déchanter.

A quoi assistons-nous, aujourd’hui?

Le cheikh a bel et bien été piégé

Jeudi soir, une personne âgée est venue nous dire qu’elle persiste et signe. Rached Ghannouchi a déclaré haut et fort, sur la Wataniya 1, qu’il ne s’agissait aucunement d’une caméra cachée, qu’il n’a pas été piégé et qu’il tiendrait encore et encore les mêmes propos à l’adresse de ses «enfants salafistes».

Non, le cheikh a été bel et bien piégé: les prises de vue du vase, les longues séquences sur les genoux et l’entre-jambes du magicien Ghannouchi, les autres plans ratés et tant de maladresses de la fameuse vidéo sont des indices irréfutables. Et le vieil homme ne se doutait pas un seul instant que tout cela allait finir un jour d’octobre 2012 entre nos mains.

Laissons, donc, de côté cette petite histoire de la caméra cachée pour nous concentrer, non pas sur le contenu de ce qui a été dit, mais plutôt sur la réaction de M. Ghannouchi et sur les justifications qu’il a présentées aux téléspectateurs en prime time sur la chaîne nationale.

Le cheikh, pris la main dans le sac, ne paraissait nullement décontenancé. Il a débité, face à une journaliste perdue, avec une assurance inimaginable un petit résumé de l’entretien qu’il a eu avec les salafistes. Il s’est même payé le luxe de décocher, au passage, quelques flèches aux «zéro-virgule-quelque-chose» et aux «semeurs de zizanie», de dénoncer les «coups de poignard dans le dos» et de mettre en garde contre «les dangers qui menacent le pays»… Comme si de rien n’était: le maître nahdhaoui trônait, le maître nahdhaoui édictait… et les Tunisiens écoutaient.

Le cauchemar d’un Ghannouchi à Carthage

Rendons-nous bien compte de cette énorme arrogance et du mensonge de l’homme qui, dans quelque temps, pourrait devenir notre président de la république et donc, avec des prérogatives confectionnées sur mesure par ses disciples nahdhaouis et leurs alliés, décider du sort de tout le peuple tunisien.

Interview de Ghannouchi à la Watania1.

Interview de Ghannouchi à la Watania1.

Imaginons un seul instant cet effroyable cauchemar: un Rached Ghannouchi à Carthage, un Jebali bis à la Kasbah et un parlement à majorité nahdhaouie, pour mettre en œuvre le projet islamo-salafiste.

Toutes nos espérances au lendemain du 14 janvier pour rien. Tous ces rêves brisés par les Nahdhaouis, ces experts en double jeu et sans scrupule.

En somme, lors de sa prestation télévisée, le jeudi soir, Rached Ghannouchi nous a fourni la énième raison pour ne pas voter Ennahdha. Sous d’autres cieux et pour moins que cette maudite vidéo, des politiciens chevronnés ont bazardé leurs carrières et assassiné leurs ambitions…

Avant qu’il ne soit trop tard pour notre pays et pour nous tous, y compris ceux d’entre nos concitoyens qui ont voté pour les amis du cheikh, nous demandons au vieil homme de présenter ses excuses à l’Histoire de l’avoir déterré alors qu’il ne s’y attendait pas et qu’il ne le méritait pas. Nous lui demandons poliment de tirer sa révérence et de partir sur la pointe des pieds pour une retraite de son choix.

La révolution du 14 janvier 2011 ne lui doit rien. Elle lui a offert le retour au pays. Elle pourra lui offrir le minimum syndical: finir sa vie en Tunisie. Ni plus… ni…

* Universitaire et journaliste.

 

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