Le ministère de l’Intérieur n’a pas laissé grand-chose à l’enquête judiciaire: Lotfi Naqdh était souffrant et il a commis l’imprudence de s’impliquer dans une activité à haut risque pour sa santé… Vidéo de l'agression.
Par Moncef Dhambri*
Hier, il y a eu mort d’homme à Tataouine et l’on a toutes les raisons de s’en alarmer. Ne nous cachons pas la face, le décès de Lotfi Naqdh est tragique et très dangereux. Bien évidemment, Ennahdha peut dire le contraire et nous ne nous attendrons jamais à moins que cela de sa part: ses dix mois de gouvernement nous ont révélé son irréparable «maladresse» à gérer les situations de crise, les plus petites aussi bien que les plus graves. Son irrattrapable incapacité à contrôler les choses fait la une des journaux sans relâche, et les Nahdhaouis persisteront et signeront encore et encore, avec la même inconscience et la même arrogance indicible.
Ali Lârayedh n’a jamais convaincu
Notre inquiétude est loin d’être exagérée. Seulement, à nos yeux, la mort d’un seul homme, Lotfi Naqdh, reste une perte de vie humaine tunisienne de trop et elle nous fait craindre le pire, car – hélas, mille fois hélas! – depuis la prise du pouvoir par les Nahdhaouis, Ali Lârayedh, le ministre de l’Intérieur, n’a jamais convaincu et le sentiment d’insécurité n’a cessé de prendre une ampleur chaque jour encore plus troublante.
Si notre réaction paraît épidermique, c’est tout simplement parce que le gouvernement Jebali ne nous a pas inspiré confiance au départ et nous craignons ce que l’arrivée pourrait nous réserver.
La triste mémoire de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis, il y a un peu plus d’un mois, reste ineffaçable: 5 citoyens tunisiens, lors de cet incident du 14 septembre, ont été tués par d’autres Tunisiens, et notre ministre de l’Intérieur est venu nous expliquer devant les caméras du monde entier qu’il s’attendait à ce que les manifestants «viennent en face et ils nous ont surpris en arrivant par derrière». Oui, les mots vous manqueront toujours pour décrire l’étendue de l’incompétence nahdhaouie. Oui, on essaiera de nous faire accepter que notre cher 14 janvier peut ainsi être raconté dans les cafés par des anecdotes de ce genre… D’ailleurs, les blagues nahdhaouies ont un succès inouï, car elles n’ont rien à envier aux «je vous ai compris!» et «on m’a induit en erreur» de Ben Ali.
La tragédie de la révolution est comique parce Ennahdha en a voulu ainsi. Cela tient sans nul doute à l’inexpérience des Nahdhaouis, mais également pour une bonne part à leur mauvaise foi.
Comment ont-ils réagi à la mort de Lotfi Naqdh?
Retenons seulement, dans les déclarations qu’ils ont faites, celles de Ameur Lârayedh et Khaled Tarrouche, au JT de 20:00 de la Watania 1. Les deux responsables ont entamé leur laïus par l’expression de leur fausse, très fausse, tristesse face au décès de Lotfi Naqdh, avant de s’attarder longuement sur le caractère pacifique de la manifestation de la Ligue de la protection de la révolution (Lpr) à Tataouine et sur la fragilité de l’état de santé de la victime.
Signalons, au passage, le manque de professionnalisme de nos collègues de la Watania 1 qui ont ouvert leurs micros à deux dirigeants, l’un nahdhaoui et l’autre en service commandé, alors que seul le secrétaire général de Nida Tounes, Taïeb Baccouche, a eu droit à la parole.
Un tragique retournement de l’Histoire
Que faut-il donc déduire des propos de MM. Lârayedh et Tarrouche? Naïvement, j’ai cru comprendre qu’en Tunisie de la révolution il est vivement déconseillé aux personnes «souffrant d’une maladie cardio-vasculaire», ainsi que nous l’a rappelé, dans la soirée, un communiqué du ministère de l’Intérieur, de faire de la politique et encore moins de porter une double casquette politique comme Lotfi Naqdh, qui était coordinateur du Nida à Tataouine et dirigeant syndical de la région.
Ajoutons donc cette nouvelle anecdote nahdhaouie à la liste interminable des blagues des disciples de Rached Ghannouchi.
Poussons le comique de la situation créée par Ennahdha jusqu’à l’extrême absurde auquel elle souhaite que l’on arrive: accepter que la révolution «la plus propre» du Printemps arabe en vienne, elle aussi, à payer un prix fort en vies humaines; se résoudre en tant que femme ou homme politique, ou simple citoyen défendant avec conviction ses idées, qu’à chaque instant de notre journée on peut perdre sa vie et être victime de n’importe quelle sorte de violence.
Souvenons-nous de l’incident du constituant Brahim Gassas, à Kélibia, où l’on ne savait plus s’il fallait en rire ou en pleurer, ou les deux à la fois …. Très vite, la mésaventure du pittoresque Gassas a été oubliée.
Très vite, notre amnésie a pris le dessus, d’autres soucis sont venus malmener notre 14 janvier et la violence s’est installée peu à peu dans notre quotidien. Parce qu’Ennahdha en a voulu ainsi, parce que les Nahdhaouis prennent ce que le droit leur accorde, plus encore et beaucoup trop. Eux, qui ont appris à leur dépens, dans les prisons de Ben Ali, en exil et dans la clandestinité, les souffrances que la dictature peut infliger, ne semblent plus s’étonner aujourd’hui qu’un homme puisse mourir parce qu’il a choisi un parti ou qu’il soit dirigeant d’un syndicat.
Quel tragique retournement de l’Histoire! Quel triste revirement de comportement! Et quelle manière maladroite de la part d’Ennahdha d’évacuer la perte d’une vie humaine!
Si l’on prend à la lettre le communiqué du ministère de l’Intérieur, il ne restera plus grand-chose à l’enquête judiciaire: Lotfi Naqdh était souffrant et il a commis l’imprudence de s’impliquer dans une activité à haut risque pour sa santé… Le dossier sera donc clos par un autre nahdhaoui, notre ministre de la Justice Noureddine B’hiri, et nous pourrons passer à autre chose.
Ennahdha trouvera bien entendu la diversion, nos journaux tomberont peut-être dans le piège de leurs unes saisonnières et relaieront cette fuite en avant. Il y a l’arrivage des moutons roumains (vaccinés et conformes en tous points aux normes d’hygiène internationales!), il y aura la promesse d’un méchoui pantagruélique le jour de l’Aïd, le retour de nos pèlerins sains et saufs… Bref, de quoi remercier les amis de Hamadi Jebali d’avoir accepté de diriger les affaires de notre pays et de nous permettre de manger plus qu’à notre faim.
Et surtout, de quoi ranger dans nos tiroirs les photos souvenir du 14 janvier. De quoi revoir à la baisse, également, nos aspirations à plus de droits, à des droits complets et à des libertés entières.
C’est cela l’erreur impardonnable du 23 octobre 2011: une élection libre et transparente qui a intronisé les moins compétents d’entre les Tunisiens.
* Universitaire et journaliste.
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