L’octroi à Djerba du label du patrimoine mondial sera une reconnaissance internationale que l’île est l’un des sites les plus précieux de la planète.
Par Naceur Bouabid*
L’île de Djerba figure désormais sur la Liste indicative des biens culturels et naturels soumis, au mois de janvier 2012, par l’Institut national du patrimoine (INP) à l’appréciation du comité du patrimoine mondial dans la perspective de leur inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité.
Considérant que le Comité du patrimoine mondial ne peut prendre en considération une proposition d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial que si le bien considéré figure déjà sur la Liste indicative de l’État partie, c’est dire combien l’acquis est de taille pour Djerba qui a longtemps attendu l’avènement d’une telle reconnaissance nationale. La voie est enfin libre, finalement déblayée de l’entrave majeure ayant pour longtemps privé l’île des faveurs de l’inscription et de la consécration, à savoir l’absence de volonté politique.
Elaboration du dossier technique
Plus qu’un aboutissement, plus qu’une fin en soi, cette inscription sur la Liste indicative est à comprendre comme un moyen vers une éventuelle consécration justifiée, une distinction méritée, et doit être le point de départ d’une démarche exemplaire, longue et complexe devant être couronnée par l’élaboration d’un dossier technique justifiant, dans les moindres détails, l’exceptionnalité et l’universalité du bien patrimonial proposé.
Un premier pas est certes franchi, très important parce qu’incontournable, mais beaucoup, voire le plus dur, reste encore à faire. Un dossier technique dans les règles, aussi minutieux qu’exhaustif, est à élaborer, à espérer dans les mois à venir, pour être présenté à l’appréciation du Comité du patrimoine mondial qui statuera, après examen du dossier par l’une de ces commissions consultatives, l’Icomos ou l’IUCN, en fonction de la nature du bien, sur la suite à donner à cette candidature, lors de l’une de ses sessions ordinaires intervenant le 1er février de chaque année.
Voilà l’Assidje de nouveau face au défi de l’inscription de Djerba sur la Liste du patrimoine mondial, qu’elle est toujours prête à relever, 21 ans après sa première tentative lancée en 1994, mais couronnée d’échec à défaut de volonté politique. Car, alors, ni la présence notoire de grands experts internationaux et de l’Unesco et d’une vingtaines d’experts et de responsables nationaux regroupés les 14, 15 et 16 janvier 1994 à Djerba, lors du séminaire international organisé par l’INP pour évaluer les informations et les documents constitutifs d’un dossier à soumettre au Comité du patrimoine mondial, n’ont suffi alors pour amener nos dirigeants politiques à s’inscrire dans la perspective escomptée. Que de temps perdu depuis, malheureusement!
Le ministère de la Culture à la rescousse
Considérant les efforts considérables entrepris par l’Association pour la sauvegarde de l’ile de Djerba (Assidje) en matière de sauvegarde du patrimoine depuis sa création en 1976, le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine a donné son feu vert et n’a pas manqué d’apporter son appui au projet: la réunion de travail présidée de bout en bout par l’ex-ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, Mourad Sakli, et tenue sur ses ordres le 20 janvier dernier, n’était que pour en témoigner et renforcer la coopération déjà étroite établie depuis plusieurs années entre l’association et les deux instances relevant de la Tutelle, à savoir l’INP et l’Agence nationale de protection et de mise en valeur du patrimoine (Anep).
Forte de cet acquis franchi, et de cette précieuse collaboration, l’Assidje, et avec le concours d’un groupe de femmes et d’hommes mus par le même dévouement à la cause, par la même conviction en les chances de la candidature de Djerba, en dépit de la complexité d’une telle mission dont ils ont conscience, se saisit de l’aubaine, relève le défi et entreprend le processus d’élaboration du dossier technique.
Un comité de pilotage, constitué de membres aux profils variés, est déjà à pied d’œuvre, depuis quasiment un an.
Deux ateliers locaux sont à son actif, organisés le 19 avril et le 31 mai 2014, pour trancher au sujet de la définition de la Valeur Universelle Exceptionnelle du bien en question, qui est la considération première dans toute proposition d’inscription, au cœur du dispositif de reconnaissance d’un bien au patrimoine mondial et qui devra servir de pivot pour l’élaboration du dossier technique.
Des mosquées à l’architecture incomparable.
Des réunions sont tenues incessamment pour approfondir la réflexion, pour arrêter un plan d’action, pour nouer des partenariats, pour communiquer avec les acteurs institutionnels locaux et les autorités régionales dont l’implication et l’engagement s’avèrent fondamentaux et inévitables.
Un comité scientifique réunissant architectes, archéologues, urbanistes, historiens, géomorphologues, géographes, etc…va s’employer à effectuer un inventaire exhaustif des sites exprimant un ou plusieurs attributs (ou caractéristiques) portant la Valeur Universelle Exceptionnelle et à en évaluer l’authenticité et l’intégrité ; un travail colossal de fourmi de reconnaissance, de géolocalisation, de délimitation, de documentation bibliographique, scripturaire, photographique, topographique, cartographique, de saisie d’informations, etc., est à accomplir par des compétences tant locales que nationales, avec le concours d’experts internationaux à faire intervenir à un stade plus avancé du processus d’élaboration. Une telle mission, pour être menée à terme et dans les meilleures conditions, requiert des fonds conséquents et d’importants moyens, et à cet effet précis, une commission de soutien a été constituée et va bientôt entamer sa mission, parallèlement au travail de médiation et de communication assigné à une commission de médiation fraîchement formée pour établir incessamment un plan d’action et superviser ensuite sa mise en œuvre, le but étant de faire la lumière sur le projet et de gagner l’adhésion et l’implication du public local.
Atouts et contraintes
L’île de Djerba constitue une entité physique et culturelle singulière dont l’exemplarité est reconnue; elle est spécifiquement emblématique par la place qu’elle a occupée dans l’histoire pluri-millénaire de la Méditerranée, formant un substrat solide et bien ancré d’un mode de vie traditionnel, et une plate-forme de civilisations millénaires renfermant un nombre impressionnant d’éléments de grandes valeurs historiques, culturelles et naturelles.
Or, l’empreinte de cette puissante personnalité de Djerba, partout présente, est aujourd’hui sérieusement menacée ; l’équilibre millénaire sur lequel elle se fondait s’est trouvé brutalement rompu: l’harmonieuse adaptation du Djerbien à son milieu naturel s’est vue fragilisée et menacée par les pressions de l’urbanisation, par les mouvements des populations et l’utilisation excessive des ressources naturelles, par la destruction et la défiguration d’éléments paysagers exceptionnels de l’île, par l’introduction de touches architecturales qui ne sont pas en harmonie avec les traits caractéristiques de l’île et son esthétique, et par la faiblesse du processus de conservation et de protection du patrimoine culturel, historique et naturel engagé sur le territoire de l’île de Djerba.
Avantages de l’inscription
Plus qu’une reconnaissance internationale à même d’offrir au pays et aux habitants qui la peuplent la possibilité de la célébrer comme étant l’un des sites les plus précieux de la planète, le label du patrimoine mondial, s’il venait à être assigné à Djerba, placerait l’Etat face à ses engagements et contribuerait à faire de la gestion, de la protection, de la sauvegarde et de la mise en valeur du bien une question d’intérêt majeur pour les responsables et décideurs de l’Etat, et pour les instances administratives compétentes.
Une architecture en harmonie avec les traits caractéristiques de l’île.
Une telle reconnaissance ne ferait que promouvoir l’image de l’île et susciter l’intérêt de la communauté internationale pour elle ; elle ne serait que pour amener la population locale à mieux prendre conscience de son patrimoine et à se soucier de sa protection, que pour aider à mobiliser les financements et les appuis des donateurs et du Fonds du patrimoine mondial, nécessaires pour mettre en œuvre le plan de gestion défini et le dispositif de protection mis en place, susceptibles ensemble de garantir la pérennité du bien et sa transmission aux générations futures.
* Président de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba.
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