Si la Tunisie doit aller vers l’innovation pour créer des emplois et des richesses, il lui appartient aussi de pallier ses insuffisances dans ce domaine.
Par Wajdi Msaed
Durant deux journées d’études, de réflexion, d’analyses et de débats, l’API et ses partenaires institutionnels se sont intéressés à l’innovation comme facteur de développement et de création de richesses et d’emplois.
L’efficience de l’écosystème d’innovation en Tunisie, la stratégie nationale de l’innovation, la valorisation de la recherche, la protection et l’exploitation de l’innovation, les mécanismes de financement de l’innovation et le rôle des réseaux d’innovation dans le développement régional : telles ont été les questions débattues lors de la 3e édition des Journées nationales de l’innovation, organisée à Tunis, les 9 et 10 juin 2015, par l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (API) sous l’égide du ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines.
Cette manifestation se voulait un lieu de rencontre, de débat et d’échange d’expériences en vue de contribuer «à la mise en place d’un plan de dynamisation, d’homogénéisation et de développement inclusif de l’écosystème de l’innovation en Tunisie» et «lui conférer le rôle prépondérant dans l’environnement économique en tant que moteur de compétitivité, de croissance et de développement régional».
L’API et ses partenaires
Les journées 2015, organisée avec la collaboration des partenaires, nationaux et internationaux, de l’API (Utica, GIZ, Onudi, Pasri, Jica…), ont porté sur le thème : «Vers une stratégie nationale inclusive de l’innovation». Elles ont permis, à travers 4 panels animés par d’éminents spécialistes, chercheurs, universitaires et experts, tunisiens et étrangers, de débattre des points forts, plutôt rares, et des insuffisances, assez nombreuses, du système de l’innovation en Tunisie.
L’opportunité a ainsi été offerte aux entreprises, institutions publiques et privées, société civile et autorités politiques, d’approfondir la réflexion en vue d’élaborer une réforme structurelle à même de définir le rôle qui incombe à chaque partie prenante, surtout que des expériences vécues dans des pays européens (France, Allemagne ), présentées en plénière, ont mis en exergue des procédures pratiques pour atteindre l’objectif de l’innovation en commençant par la phase de diagnostic pour arriver au résultat final après avoir défini des orientations stratégiques.
Les résultats et les recommandations des deux programmes lancés avec le concours de l’Union européenne (PCAM et Pasri) ainsi que l’apport d’autres programmes initiés par des institutions étrangères (GIZ, Onudi, Jica) pourraient aussi constituer un support pertinent à un débat constructif traitant des différents aspects de la problématique et assurant l’optimisation de l’interfaçage entre les sphères de la recherche et de l’entreprise.
Aller vers la région
Après les discours officiels de Zakaria Hamad, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, et Noureddine Taktak, directeur général de l’API, annonçant l’ouverture officielle des travaux, le débat engagé a révélé une prise de conscience de l’importance du thème du jour.
Nombre de remarques, observations et critiques ont été exprimées par les participants et plusieurs questions spécifiques posées, dont celle-ci: comment optimiser le rôle des régions dans l’écosystème national d’innovation, surtout que les expériences étrangères ont fait de la région leur point de départ? Réponse d’un expert : «Centrer l’effort sur l’entreprise, travailler sur les spécificités régionales et oeuvrer à la création de nouvelles entreprises à même de dynamiser le développement économique et social».
Autres questions pertinentes posées : quels sont les clusters installés en Tunisie et quel mode de gouvernance ont-ils adoptés? Comment consolider le rôle de la société civile dans la promotion du développement régional? Comment assurer la coordination efficace entre le monde universitaire et de recherche et le monde de la production? Quelle est la réalité du financement et de l’appui à l’innovation?
A en croire les révélations d’un jeune tunisien qui a fait ses études d’ingénieur au Japon et qui est rentré au pays muni de son prototype d’invention, l’innovation a encore un long chemin à parcourir en Tunisie, car, a-t-il expliqué, «je n’ai eu aucun appui, aucun soutien, aucune facilité dans mon pays». Et d’ajouter: «En Tunisie, on ne trouve rien et on ne peut pas avancer avec les procédures en place. L’Etat doit parier sur la capacité des jeunes et courir des risques avec eux.» «Il faut qu’il soutienne les start-up et leur dispense des financements d’amorçage, même à fonds perdus», a-t-il conclu.
Dans les documents officiels, on parle pourtant d’«un effort important déployé par l’Etat en matière d’infrastructure institutionnelle à travers la création de pôles de compétitivité, de technopoles et de clusters, le renforcement des centres de recherche, des centres techniques». Si tout cela n’est pas suffisamment connu, c’est qu’il y a, dans le meilleur des cas, un problème de communication…
Concours de l’innovation
Par ailleurs, l’organisation par l’API et l’ANPR de la 1ère édition du Concours national de l’innovation, en 2014, a confirmé l’existence d’un potentiel d’innovation au niveau des différentes régions du pays. Ce concours a révélé aussi l’enthousiasme et l’engagement d’une nouvelle génération de créateurs novateurs qui peuvent bénéficier d’un système de financement adéquat à travers les banques, les Sicar, les Sicav et les fonds d’amorçage
Par ailleurs, «près de 10% parmi les 5.700 entreprises tunisiennes employant plus de 10 personnes ont bénéficié des mécanismes de financement pour réaliser des projets d’innovation», a tenu à préciser Kamel Ouerfelli, directeur du Centre d’Innovation et de Développement à l’API.
Tout n’est donc pas négatif, mais est-ce suffisant?
«Non, rétorque Jamil Chaker, universitaire, comment peut-on faire l’état des lieux sans avoir une idée précise sur les indicateurs nationaux et sur notre position par rapport à ce qui se passe à l’étranger».
Les participants au débat ont, d’ailleurs, déploré le manque de coordination entre les différentes parties prenantes, ainsi que le manque de soutien et d’accompagnement des jeunes promoteurs, ce qui ralentit le rythme de création de projets dans les créneaux porteurs et à plus forte valeur ajoutée.
Exemple à méditer
La coopération entre l’Ecole nationale d’ingénieurs de Sousse (Eniso) et la Société du transport du Sahel (STS), une entreprise publique, est une expérience à méditer, car «elle consacre le dynamisme escompté entre le monde économique et le monde de la recherche et développement», a précisé le Pdg de la STS, visiblement satisfait de cette coopération. Et pour cause: «Autrefois, on recourt à l’étranger pour la mise au point des systèmes de perception. Aujourd’hui, et grâce à cette collaboration, on compte sur nos capacités et nos compétences locales», a-t-il expliqué, en citant l’exemple des détecteurs placés à même le châssis du bus et qui permettent de cerner les défaillances au niveau de l’infrastructure routière et les porter à la connaissance du ministère de l’Equipement ou des autorités municipales.
Quoi qu’il en soit, trois principales recommandations sont à retenir: renforcer la relation entreprise-recherche et développement, aller aux régions pour identifier les projets spécifiques en se basant sur les études de marché et créer une entité sous la tutelle de la présidence du gouvernement, qui aurait pour mission d’arrêter les politiques adéquates, de les mettre en pratique, de coordonner les efforts entre tous les intervenants et d’assurer l’accompagnement et le suivi des réalisations.
En définitive, si on doit aller vers l’innovation pour créer des emplois et des richesses, il nous appartient aussi de surmonter ensemble tous les obstacles et de pallier toutes les insuffisances, grâce à une vision claire et à une volonté politique sans faille de faire rimer économie, formation, recherche et innovation.
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