Seule la construction de viaducs ou de tunnels éviteraient la collision des trains et des véhicules. Mais la Tunisie en a-t-elle, aujourd’hui, les moyens? Enquête…
Par Wajdi Msaed
Encore une fois, le problème des passages à niveau (PN) est soulevé. Des points noirs dans notre circulation routière et le théâtre de scènes de mort répétitives. La dernière en date, celle d’El Fahs, le mardi 16 juin 2015, suite à la collision du train en provenance de Gaafour avec un camion poids lourd traversant les rails au plus mauvais moment. Bilan : 19 morts et une centaine de blessés.
A qui incombe la faute?
Tout en espérant que la lumière sera faite sur les circonstances de cet accident, que les responsabilités seront clairement déterminées et que des leçons seront tirées, on doit se demander si la collision (et la catastrophe) étaient inévitables. S’il y a eu une faute, à qui incombe-t-elle? Au conducteur du train qui aurait du respecter scrupuleusement la réglementation telle que définie par la police des chemins de fer, notamment celle relative à la vitesse de circulation à réguler selon la nature et la morphologie des tronçons de voie à parcourir? La boîte noire du train nous éclairera à ce propos…
La faute incombe-t-elle plutôt au conducteur du poids lourds qui a traversé le passage à niveau sans prêter l’attention nécessaire à l’arrivée du train. On révèle que le camion est tombé brusquement en panne en pleine voie ferrée et le chauffeur, étant seul, n’a pu rien faire pour dégager les lieux…
La faute incombe-t-elle au passage à niveau qualifié de non protégé?
El-Fahs: deux accidents ferroviaires très mortels en moins d’une année.
Le passage à niveau doublement protégé
Non, rétorquent les responsables de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT), le passage à niveau en question est doublement protégé: la Croix de Saint André renforcée par la plaque de signalisation STOP, les barrières automatiques et les feux de signalisation ne pouvant être implantés en pleine nature. Et la garde humaine? L’expérience a donné que les gardiens des passages à niveaux n’acceptent plus de faire le travail suite aux agressions qu’ils ont subies de la part des usagers de la route eux-mêmes.
Dans un Etat de droit, on ne peut qu’exiger le respect strict et total de la loi. Le décret 2000-151 du 24 janvier 2000, relatif aux Règles générales de la circulation routière stipule, dans son article 17, que «tout usager de la route doit, à la traversée du passage à niveau avec la voie ferrée, marquer le STOP quelle que soit la nature du signal fixé et s’assurer qu’aucun train n’est à proximité des lieux», surtout que l’article 27 de la loi 98-74 du 19 août 1998 précise que «le train circule en site propre, il se déplace sur une infrastructure qui lui est propre». En plus, l’article 32 du Code de la Route approuve cette priorité accordée au train «lorsqu’une voie de chemin de fer croise à niveau une route, la priorité de passage appartient au matériel circulant sur la voie ferrée».
Que disent les statistiques ?
Toutefois, on reproche à la SNCFT de ne pas avoir équipé le PN en question de barrières automatiques ; cela aurait pu éviter le drame, dit-on.
Soit, mais en consultant les statistiques relatives aux accidents survenus aux passages à niveau, on constate qu’en 2014, on a enregistré 108 collisions de trains avec des véhicules routiers, dont 56 au niveau des PN équipés de barrières automatiques et 47 équipés de croix de Saint André. Pour 2013, ces collisions ont été au nombre de 79 dont 45 pour les premiers et 30 pour les seconds, sachant que notre réseau ferroviaire compte 1.126 PN répartis comme suit: 243 équipés de barrières automatiques, 34 de signalisation lumineuse et sonore et 849 de croix de Saint André renforcée d’une plaque STOP.
Néanmoins, le bon usage des PN requiert une prise en considération des champs de visibilité tels que définis par l’article 14 de la loi sus-indiquée, qui détermine les 4 triangles de part et d’autre de la voie publique et mentionne les règles requises quant aux constructions et plantations en bordure des zones de visibilité aux abords des PN. Ces constructions demeurent soumises aux servitudes d’alignement et leur hauteur ne doit en aucun cas dépasser les 80 cm (article 15 de la même loi).
Que faire pour éviter que ce genre de drame se répète?
Les PN clandestins
Ce qui inquiète, dans notre paysage routier, c’est l’existence de sites où les zones de visibilité au droit des PN sont envahies par des constructions qui ne répondent pas aux normes. Ces constructions sont soit anarchiques, soit approuvées par les conseils municipaux.
Ce qui inquiète aussi dans ce paysage, c’est la présence de PN clandestins ouverts par les riverains à l’insu de toutes les autorités; qui pour accéder à son verger, qui pour éviter tout un détour pour atteindre son lieu de résidence en pleine agglomération urbaine.
Un PN au cœur de la ville de Nabeul en est la meilleure illustration. Il constitue la preuve palpable du sous-développement qu’une ville touristique par excellence peut présenter à ses visiteurs venant de tous les coins du monde.
Il s’agit du PN connu sous le nom d’El Kounia. Sa particularité est qu’il est non réglementaire et la SNCFT refuse de le reconnaître et de le considérer comme tel. Il est aussi l’exemple idéal de l’absence totale de visibilité; ce qui en fait une source de danger pour la ville et pour tous ses habitants.
Faut-il fermer ce PN? A vrai dire, une tentative a été faite pendant les années 90 du siècle précédent, par le conseil municipal, présidé à l’époque par feu Habib Ladhib. Une décision prise pour le fermer en vue d’épargner la ville de catastrophes assurées et inévitables. Mais on s’est vite rétracté sous la pression des citoyens qui considèrent que la fermeture de ce PN partagera la ville en deux rives et refusent de faire le détour pour atteindre le centre-ville.
Que faire?
La solution idéale pour éviter tous ces aléas réside dans le «zéro PN» ce qui nécessite la mobilisation de fonds énormes, hors de portée de notre pays, pour la construction de viaducs ou de tunnels.
Reste donc la sensibilisation. Un grand effort est indispensable pour inculquer la culture de la circulation routière et le civisme dans toutes ses dimensions. La dissuasion aussi! Sinon comment expliquer l’existence de caméras de surveillance au droit de plusieurs PN dans les agglomérations urbaines? Elles guettent les fraudeurs mais, malheureusement, sans suites?
Il faudrait, peut-être aussi, adhérer à l’International Level Crossing Awareness Day (ILCAD), qui pourrait nous apporter son concours pour la réussite des campagnes de sensibilisation.
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