Résumé du rapport intitulé «Réforme et stratégie sécuritaire en Tunisie», réalisé par l’International Crisis Group, publié le 23 juillet 2015.
La Tunisie réagit au jour le jour à des violences jihadistes qui se multiplient et dont l’ampleur s’aggrave, mais son appareil de sécurité intérieure est globalement dysfonctionnel. Les attentats de Tunis et de Sousse, en mars et juin 2015, et les attaques fréquentes contre la police, la garde nationale et l’armée depuis plus de deux ans, particulièrement dans les zones frontalières, démontrent la percée significative des groupes islamistes radicaux. Les autorités éprouvent des difficultés à faire face à cette menace et à développer une politique publique de sécurité. Si la situation est en grande partie liée aux problèmes internes des forces de sécurité intérieure (FSI), le contexte régional n’aide guère. Pour faire face à cette violence, mais aussi mieux gérer les contestations politiques et sociales, une réforme d’envergure des FSI est nécessaire.
Une institution sécuritaire déstructurée et politisée
Le secteur de la sécurité intérieure – qui regroupe les agents de la sécurité nationale, de la police, de la garde nationale, de la protection civile et des services pénitentiaires – se fragmente et affirme son autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif au lieu de se professionnaliser et de renforcer son efficacité et son intégrité.
Ses membres, souvent démotivés, exercent leur métier dans une institution déstructurée et politisée dans le sillage du soulèvement de décembre-janvier 2010-2011 et dont les statuts remontent à la dictature. Pendant la période de transition qui l’a suivie, les partis politiques ont profité du pouvoir discrétionnaire des ministres de l’Intérieur successifs en termes de révocation, de nomination et de promotion du personnel; les syndicats de police censés défendre l’institution n’ont, pour la plupart, fait qu’aggraver ses divisions.
Nombre de cadres et d’agents considèrent désormais les réformes comme un élément déstabilisateur à l’image de la révolution et de ceux qui s’en réclament. Un récent projet de loi consacrant l’impunité des forces armées (FSI, armée nationale, douanes) et défendu en particulier par les FSI, montre que celles-ci se recroquevillent sur elles-mêmes. Aux discours politiques qui les renvoient dans le camp de la contre-révolution, de la dictature et des atteintes aux droits humains, répond celui qui, au nom de la guerre contre le terrorisme, oppose sécurité à démocratie.
Contenir les velléités d’indépendance du corps de sécurité
Beaucoup de professionnels des FSI sont inquiets de l’état de leur institution, même s’ils estiment que celle-ci est en mesure de se réformer sans que des acteurs extérieurs n’interviennent. Les priorités seraient d’améliorer ses capacités de gestion, de réduire ses mauvaises pratiques (brutalités policières, croissance de la petite corruption) et de lutter contre le développement du système clientéliste qui risque de la gangréner.
Or, la présidence de la République, le gouvernement et l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont leur mot à dire pour améliorer le fonctionnement du corps sécuritaire (contrôle parlementaire par exemple). Plutôt que de tenter d’imposer leur vision aux FSI, ils devraient canaliser la volonté d’indépendance de celles-ci : les encourager à renforcer leurs propres instruments de contrôle interne, recadrer leur fonctionnement dans le nouveau contexte démocratique, et offrir le soutien indispensable à leur professionnalisation.
L’expérience de ces quatre années de transition montre que la lutte frontale entre FSI et pouvoir politique aboutit à une impasse. La révolution et la contre-révolution n’ont pas été à la hauteur de leurs ambitions. Leur combat, en partie exagéré par le citoyen ordinaire, a produit la fausse antithèse entre ordre et liberté qu’il convient aujourd’hui de dépasser.
Le gouvernement et le parlement devraient se mettre d’accord avec les FSI sur des nouvelles règles déontologiques, élaborées en commun à l’issue d’une large consultation à l’intérieur et à l’extérieur du corps sécuritaire. Celles-ci prendraient notamment en compte la nouvelle mission des forces de l’ordre dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Ceci suppose une réflexion collective, en particulier au sein du ministère de l’Intérieur, ainsi qu’un débat politique national sur la notion de sécurité, le rôle et les missions de la police (distinctes de l’armée), les causes de la fracture Nord/Sud et de la violence jihadiste ainsi que la crise de confiance de la population envers l’appareil sécuritaire.
Vers une stratégie de sécurité globale
La présidence de la République, le gouvernement et les partenaires internationaux de la Tunisie gagneraient à comprendre que corriger de manière urgente les dysfonctionnements des FSI pour faire face aux défis sécuritaires, ne peut se limiter à l’amélioration de l’équipement des unités d’intervention ou au renforcement des capacités opérationnelles anti-terroristes, même si ceci est nécessaire.
Renforcer l’appareil de sécurité intérieure passe en priorité par la modification des statuts juridiques qui régissent le secteur, la mise en œuvre d’un ambitieux plan de gestion des ressources humaines ainsi que l’amélioration de la formation initiale et continue.
Sans une réforme des FSI qui permettrait d’appliquer une stratégie de sécurité globale, le pays maintiendra une gestion des crises au coup par coup, à mesure que son environnement régional se dégrade et que ses tensions politiques et sociales augmentent, au risque de sombrer dans le chaos ou de renouer avec la dictature.
Prévenir ce scénario demande un effort conjoint de la classe politique et du secteur de la sécurité intérieure. Ceci semble fondamental pour éloigner la tentation de restaurer la «peur du policier» ou de conférer toujours plus de tâches de sécurité intérieure à l’armée nationale dans le but de compenser la faiblesse et la mauvaise gestion des FSI.
Cet ensemble de mesures représente une étape préliminaire essentielle pour repenser la réponse à la montée des violences sociales et politiques. Celles-ci constituent un enjeu national qui va au-delà de la mission des forces de l’ordre: nécessité à terme de concrétiser des projets de développement dans les régions frontalières, de rénover l’habitat dégradé dans les zones périurbaines, d’améliorer les conditions carcérales, et de promouvoir des alternatives à l’idéologie jihadiste, entre autres. Les FSI ne doivent pas se retrouver seules à combler le manque de vision stratégique de la classe politique.
Lire le rapport d’International Crisis Group dans sa version intégrale.
* Les titre et intertitres sont de la rédaction.
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