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La Tunisie doit faire attention à sa frontière maritime

Garde-nationale-maritime-La barrière de sécurité construite à la frontière sud de la Tunisie avec la Libye pourrait amener les terroristes et contrebandiers à chercher à la contourner par la mer.

Par Lassaâd Bouazzi*

La ligne de protection érigée par l’armée tunisienne tout le long de la frontière sud avec la Libye est l’une des plus importantes réalisations édifiées par le ministère de la Défense depuis l’indépendance de la Tunisie, en 1956. Son importance ne se mesure ni par sa grandeur physique ni par l’enveloppe budgétaire qui lui a été réservée, mais par la forte volonté politique affichée au bon moment pour endiguer le terrorisme et mettre fin à une économie parallèle qui a conduit le pays au bord de la faillite.

Cependant, il ne faut pas avoir des illusions et crier victoire car nos problèmes sécuritaires ne vont pas finir avec la construction de ce mur. Les forces du mal (terroristes et cartels de contrebande) vont certainement chercher à le contourner par la mer. Tôt ou tard, les groupes terroristes et de contrebande vont bénéficier de l’expérience des réseaux de l’immigration clandestine pour déstabiliser le pays à partir de la mer.

Cette nouvelle conjoncture nous amène à se poser un certain nombre de questions.

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La barrière de sécurité en cours de construction à la frontière sud de la Tunisie avec la Libye.

1- Peut-on verrouiller la frontière maritime à l’instar de la frontière terrestre?

De prime abord, il est à signaler que la guerre terrestre est différente de la guerre navale. La première est une guerre de marches et de manœuvres pour l’occupation du terrain alors que la deuxième est une guerre de mouvement sans occupation de l’espace maritime.

En mer, la guerre contre le terrorisme obéit aux mêmes principes généraux de la guerre navale conventionnelle. Il s’agit de détecter l’ennemi, de l’identifier et de tenir un comportement envers lui qui se traduit généralement par sa destruction ou sa neutralisation.

Dans une posture de défense, la force navale ne peut ériger ni des check-points ni des dispositifs statiques (excepté les champs de mines).

En second lieu, il est à noter que le contrôle des espaces maritimes nécessite de gros moyens pour assurer la permanence en mer. Verrouiller une frontière maritime qui s’étend sur 1.350 km est une utopie. Même les grandes marines trouveront de sérieuses difficultés pour  assurer l’étanchéité de cette frontière qui longe une zone où le trafic de pêche et le flux de navires de commerce sont parmi les plus denses au monde.

En outre, contrairement aux forces terrestres qui peuvent agir au nom de la souveraineté nationale pour déclarer des zones militaires ou procéder à des fouilles et perquisitions imposées par le besoin sécuritaire, les forces navales sont confrontées à d’innombrables contraintes de droit international et ne peuvent pas opérer librement dans les eaux internationales. Même dans les eaux territoriales où les navires jouissent du droit de passage inoffensif (sans aucune discrimination), l’Etat côtier ne peut entraver la liberté de navigation que sous certaines conditions prévues par le droit.

2- En quoi diffère une menace venant de la mer de celle venant par voie terrestre?

Les caractéristiques des menaces asymétriques sont toujours les mêmes indépendamment du milieu géographique. A terre comme en mer, elles sont imprévisibles, omniprésentes, rapides et brutales (terrorisme). Cependant, les tactiques et les moyens utilisés changent.

Sur le plan tactique, les terroristes et contrebandiers vont profiter des caractéristiques de la zone pour se dissimuler avant de s’infiltrer.

En effet, le littoral nord est longé par l’une des voies de communication maritime les plus fréquentées au monde. Au sud, les eaux peu profondes couvrent un grand espace s’étalant de la Chebba (Sfax) jusqu’à Boukammech (Libye) en passant par Lampedusa (îles Pélagie). Cette zone (qui renferme le golfe de Gabès) est très favorable à la pêche, et elle est effectivement fréquentée par une multitude de chalutiers et d’embarcations.

Et lorsque les approches maritimes sont caractérisées par la concentration du trafic (de commerce et/ou de pêche), elles offrent la possibilité de dissimulation et d’infiltration d’éléments subversifs.

En ce qui concerne les moyens, les vedettes rapides remplaceront les voitures tout terrain 4×4 utilisées autrefois au Sahara. Une vedette, comme celles utilisées par les trafiquants de drogue en mer des Caraïbes (rapides et difficiles à détecter), serait en mesure de rejoindre la côte de Djerba en moins de deux heures à partir de Boukammech (Libye). Durant le transit, les terroristes pourraient bénéficier de la complicité d’agents embarqués ou installés sur la terre ferme. Les contrebandiers pourraient même transborder leurs marchandises en haute mer à bord d’un navire complice.

3- Quelle stratégie faudrait-il adopter pour contrer la menace?  

Tout d’abord, il est à signaler que la Tunisie est l’un des rares pays à introduire le spectre des menaces asymétriques dans le programme de formation de ses officiers. La marine nationale a de l’expérience dans ce domaine et dispose de compétences pour gérer la nouvelle conjoncture. Cependant, la menace du terrorisme va monter en puissance (en raison de la fermeture des frontières terrestres) exigeant ainsi une nouvelle stratégie pour la contrer. La proposition ci après détaillée serait l’une des stratégies qui sont en mesure de préserver le pays du terrorisme. Elle exige la prise de certaines dispositions à court et moyen termes:

Frontiere-maritime-Tunisie-Libye

Au sud de la Tunisie, les eaux peu profondes couvrent un grand espace s’étalant de la Chebba (Sfax) jusqu’à Boukammech (Libye) en passant par le golfe de Gabès.

* A court terme :

Tout d’abord, il faudrait comprendre la menace pour pouvoir la contrer. En effet, en mer comme à terre, le terrorisme est l’usage de la force armée pour réaliser un objectif politique en s’attaquant aux intérêts  de l’Etat. Lorsqu’il vient de la mer, les cibles privilégiées sont généralement des infrastructures côtières et des installations offshores. La prise d’otages, d’un gage territorial ou même le contrôle d’une zone ne sont pas à exclure. Les actions terroristes sont limitées aux incursions et toute opération amphibie au vrai sens du terme est totalement écartée.

Comme déjà signalé, le terrorisme est omniprésent et agit par surprise. Cependant, comme dans tous les domaines de lutte, il faut définir l’axe de la menace sur lequel le plus gros des efforts doit être orienté.

En effet, les deux zones de concentration de trafic maritime susmentionnées laissent dégager deux entées probables: l’une sur la frontière maritime avec l’Algérie (au large de Tabarka) et l’autre sur la frontière avec la Libye (au large de Ras Jedir). Cependant, l’entrée sud reste la plus dangereuse en raison de l’implosion de l’Etat libyen et la prolifération de groupes terroristes et de réseaux de trafic d’armes et de contrebandes.

Ensuite, il faudrait définir un nouveau concept de défense maritime qui intègre la lutte contre les nouvelles menaces  aux missions de service public.

En Tunisie, et à l’instar de la quasi-totalité des marines du monde, la marine nationale participe, dans le cadre de l’action de l’Etat en mer, aux missions d’assistance et de sauvetage, de police de pêche, de la prévention et la lutte contre la pollution, de l’information nautique et de ravitaillement des iles. Elle seule dispose des capacités militaires indispensables pour assurer la vigilance en profondeur (sur les deux axes de la menace) pour s’opposer à toute tentative d’infiltration.

Cependant, plus l’action se rapproche des côtes, plus le concours d’autres administrations, Intérieur (garde nationale maritime), Finances (douanes), Transport (marine marchande), Agriculture et Environnement, est sollicité.

En France, bien que la marine dispose de moyens considérables, l’état major interarmées a opté pour le concept de sauvegarde maritime.

Il s’agit d’une «approche globale, recouvrant à la fois les besoins du temps normal de la défense maritime du territoire et ceux qui relèvent de l’action de l’État en mer. Elle met en synergie, sous un même commandement, les compétences de toutes les administrations concernées par les affaires maritimes pour garantir la surveillance des approches maritimes du territoire national et permettre l’engagement des moyens d’intervention nécessaires».

Le commandement interarmées français ne rencontre aucune contrainte d’ordre juridique pour adopter ce concept et le mettre en exécution. Ceci est rendu possible grâce à l’organisation nationale qui prévoit le poste de Préfet maritime. C’est une autorité duale qui relève du premier ministre concernant le domaine de la compétence de l’Etat en mer et du chef d’état major interarmées en tant que commandant de zone maritime. Il est «chargé de la coordination, dans un cadre interministériel et international, l’ensemble des actions de l’État en mer relevant de l’exercice de la souveraineté ou de la maîtrise des risques liés à l’activité maritime». C’est cette double qualité de préfet maritime et de commandant de zone maritime qui donne à ces officiers généraux de marine les moyens opérationnels et la profondeur nécessaire à leur action.

En Tunisie, notre organisation nationale ne prévoit pas de telle fonction. Ceci pourrait s’expliquer par un choix politique pris délibérément depuis l’indépendance pour ne pas empiéter sur les compétences dévolues aux gouverneurs.

La sauvegarde maritime serait le concept le mieux adapté à notre marine pour combattre le terrorisme. Il lui offre la liberté d’action et une grande flexibilité pour se déployer en profondeur (premier dispositif de défense) tout en garantissant la sécurité des eaux territoriales (deuxième dispositif) et des eaux intérieures que renferment le golfe de Gabès et le golfe de Tunis (troisième dispositif).

En absence d’une autorité (équivalente à celle du préfet) qui assure l’unité de commandement et la coordination interministérielle, la mise en place des deux derniers dispositifs serait impossible.

Le décret n° 70-101 du 23mars 19701 portant création du Service National du Surveillance Côtière (relevant de la marine national), modifié par le décret n° 95-424 du 13 mars 1995, prévoit dans son article cinq une coordination avec les départements concernés.

Cependant, cette coordination est limitée à l’échange d’éléments d’information relatifs à l’action de l’Etat en mer. Aucune disposition relative au partage des responsabilités en matière de défense du territoire n’est prévue par ce décret.

Aujourd’hui, et en attendant une éventuelle révision de la politique de défense globale du territoire qui prendrait en considération la coopération interministérielle, il serait urgent de désigner une autorité (même collégiale mais dépendant du ministre de la défense nationale) chargée de la coordination opérationnelle. Le commandement et le contrôle tactique sur zone pourraient être confiés à la marine nationale.

Pour rester toujours dans les dispositions prises à court terme, et en raison du caractère transnational du terrorisme, la coopération internationale en matière de renseignement s’avère nécessaire. Cette coopération pourrait être assurée dans le cadre des activités militaires des pays ‘‘5+5 Défense’’ surtout que les marines des pays occidentaux membres sont déployées à proximité des foyers du terrorisme dans la région.

Sur le plan national, la création d’un organe interministériel chargé de la collecte et du traitement du renseignement en mer est devenue un besoin indispensable. Le mieux est que cet organe soit rattaché à la future agence nationale de renseignement.

* A moyen terme :

Sachant que les menaces asymétriques vont perdurer, il faudrait dès maintenant entamer des études en vue de :

– réviser la doctrine de défense pour qu’elle soit globale et interarmées et pour qu’elle prenne les menaces asymétriques comme ennemi conventionnel;

– revoir la répartition du territoire national en régions militaires et zones maritimes en fonction de la nouvelle conjoncture de défense et de sécurité. A titre d’exemple, la base navale de Bizerte qui formait avec Toulon et Marsa El-Kébir le triangle stratégique de la puissance coloniale pourrait perdre de son importance au profit d’une base située à Zarzis;

– renforcer les capacités opérationnelles de la marine nationale et opter pour les drones comme vecteur essentiel dans la surveillance maritime;

– consolider la défense du littoral élément essentiel dans le dispositif de la défense rapprochée (chaine sémaphorique et stations radars).

* Officier retraité de la marine et ancien secrétaire général du Centre d’études et de recherches stratégiques des pays 5+5 (Cemres).

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