Pour nombre d’économistes, le projet de Loi des finances complémentaire (LFC 2015) manque d’audace et aura du mal à relancer l’économie.
Par Moncef Dhambri
Les experts accordent au gouvernement et à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui ont planché pendant de longs mois sur ce projet de loi, un sévère «peut-mieux-faire» qu’accompagnent des avertissements sérieux sur de nombreux dossiers: sur les mauvais jours qui attendent le pays le jour où les créanciers frapperont à la porte, sur la relance de l’activité économique devenue de plus en plus difficile, sur le manque de vision et d’audace du gouvernement Essid, sur les attentes qui seront déçues et, par conséquent, la montée de la grogne sociale.
En somme, c’est toute la version finale de cette LFC-2015 qui mériterait d’être bien revue et bien corrigée.
Avec un taux de croissance qui aura le plus grand mal à franchir, cette année, la barre de 1% – contre les 3% initialement prévus –, l’on était en droit de s’attendre à ce que le gouvernement de Habib Essid fasse preuve d’une plus grande audace et clarté de vision pour apporter le souffle nouveau dont l’activité économique du pays a grandement besoin.
Le courage politique qui manque
Or, avec les bricolages et les improvisations qui ont confectionné cette LFC-2015, il n’en sera rien: la promotion des investissements et la création des emplois devront vraisemblablement attendre; et la volonté politique franche et courageuse capable de prendre le taureau de la crise économique par les cornes manquera encore et toujours.
Avons-nous à faire, une nouvelle fois, à une équipe gouvernementale provisoire – et ce serait la 6e depuis la Révolution! – ou à un gouvernement qui bénéficie d’un confortable soutien législatif, qui est appuyé par le locataire du Palais de Carthage et qui a été formé pour durer?
Pour l’expert en économie Fayçal Derbel, «les risques sont grands qu’une croissance de 1% rende tout à fait impossible la moindre création de nouveaux emplois, que le taux de chômage augmente, que le pouvoir d’achat des ménages se détériore encore plus et que la valeur du dinar continue de chuter. Pour faire face comme il se doit aux défis auxquels le pays est confronté, il aurait fallu faire montre de beaucoup plus de courage – et dans les délais les plus brefs. Or, à quoi assistons-nous? Force est de constater que, pour la première fois depuis la Révolution, l’on nous offre un projet de LFC qui est axé presqu’exclusivement sur le principe de l’économie des dépenses publiques. Comment peut-on espérer, avec pareille approche, stimuler l’activité économique et relancer la machine de production, lorsque l’on opte, ainsi que l’a fait le gouvernement de M. Essid, aussi résolument pour l’austérité?»
Selon l’économiste Abdellatif Bedoui, il y a, de toute évidence, erreur de diagnostic, mauvaise appréciation de la conjoncture et, par conséquent, application de solutions qui ne feront qu’aggraver la situation: «De plus, l’on observe que cette LFC-2015 ne fait pas porter le fardeau des sacrifices de manière équitable. L’on continue de demander, une fois encore, aux mêmes catégories sociales et professionnelles de faire plus d’efforts pour le sauvetage de l’économie – elles qui n’ont pas cessé de souffrir depuis le début de la Révolution. Il est clair que l’’intérêt de l’Etat, son soutien, ses traitements de faveur et les facilités et avantages qu’il offre vont profiter aux mêmes hommes d’affaires… L’on aurait tant espéré que, concernant par exemple le secteur du tourisme, l’attention de l’Etat ne se focalise pas uniquement sur les intérêts des hôteliers car, dans l’industrie touristique, il y a tant et tant de petits métiers, tant et tant de petits artisans gravitant autour de ce secteur qui méritent d’être secourus: le petit fabricant d’articles artisanaux, le chauffeur de taxi et tant d’autres de soutiens de famille ont été profondément affectés par la crise que traverse le pays, et notamment au lendemain de l’attentat terroriste du 26 juin dernier. Ces gens-là comptent aussi et ils comptent pour beaucoup dans l’activité économique tunisienne.»
L’évasion fiscale et la contrebande sont absentes
Une autre omission flagrante de la LFC-2015 que les experts déplorent: le refus du gouvernement d’Essid de prendre à bras le corps la question de la réforme fiscale et de traiter, sans plus tarder, les problèmes de l’évasion fiscale et de la contrebande qui font perdre aux caisses de l’Etat des revenus énormes.
Fayçal Derbel s’étonne: «Il y avait dans la première mouture de la LFC-2015 tout un chapitre sur ce dossier de la réforme fiscale, de l’évasion fiscale et du marché parallèle. Tout cela, comme par enchantement, a tout simplement disparu. Il n’y a plus rien là-dessus dans la version finale du projet de LFC-2015. Je suis sidéré par cet oubli. Je suis surpris que l’on ait passé sous silence pareil sujet aussi important, aussi crucial… Honnêtement, je ne peux pas me l’expliquer. Pour moi, cela reste un mystère total…»
Donc, il ne resterait plus à l’analyse que le recours à la spéculation. L’explication de cette timidité du gouvernement d’Essid, de ce manque de cran, tient, dans une très large mesure, à la personnalité du Premier ministre lui-même, aux circonstances de sa désignation et à la nature même compétences – hommes et femmes – qui l’entourent pour diriger les affaires du pays.
Choisi pour être «un homme de consensus», il s’en est tenu à cette réputation (à cette mission) de rassembleur et, depuis le 6 février 2015, son action à la direction des affaires du pays a un peu trop souvent oublié qu’il faut donner «un bon coup de pied dans la fourmilière» pour faire bouger les choses en Tunisie. Le bilan de ce premier semestre du gouvernement Essid, le moins que l’on puisse dire, laisse donc à désirer.
Son indécision et sa frilosité peuvent, à tout instant, lui coûter son bureau au Palais de la Kasbah, mais peu importe…
En outre, pour la formation de son équipe, Habib Essid s’est trouvé contraint et forcé de tenir compte du nouveau paysage politique auquel a donné naissance le scrutin législatif d’octobre dernier. Sa coalition gouvernementale est composée de 4 des 5 premières formations politiques siégeant à l’ARP (les Nidaa Tounes, Ennahdha, Union patriotique libre et Afek Tounes) dont les divergences sur de nombreux sujets sont un secret de polichinelle…
Bien évidemment, être assis sur un siège éjectable et être entouré d’un équipage qui n’a en commun que la volonté d’être au pouvoir et de le partager n’offrent pas à M. Essid les conditions idéales pour piloter les affaires d’un pays où, chaque jour, le ciel s’assombrit encore plus.
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