Selon les commissaires aux comptes, les comptes de la BNA ne sont pas aussi bons que le prétend son Pdg, qui ne voit que la moitié pleine du verre.
Par Nabil Ben Ameur
Pour Jaafar Khatteche, aux commandes de la Banque nationale agricole (BNA) depuis quatre et ans et demi, l’assemblée générale ordinaire au titre de l’année 2014 ne s’annonçait pas comme un exercice de tout repos. Donné partant, à l’image de ses collègues de la Société tunisienne de banque (STB) et de la Banque de l’Habitat (BH), depuis que le ministère des Finances a décidé de lancer un appel à candidatures pour recruter des directeurs généraux pour ces 3 banques publiques, le Pdg de la BNA était potentiellement partant. Potentiellement seulement, car après coup, les autorités ont décidé d’autoriser les trois DG en poste d’être candidats à leur propre succession.
Il n’est donc guère étonnant que, dans son rapport de gestion, le Pdg ait donné de la BNA une image plutôt idyllique, mettant l’accent sur indicateurs les plus positifs, sans trop s’attarder sur ceux qui le sont beaucoup moins.
La faute à pas de chance
Le chiffre d’affaires? A 600 millions de dinars (MD), il «est très largement au-dessus de la moyenne du secteur qui se situe à 400 MD ». Le produit net bancaire (PNB)? Avec 10,2%, il «est le deuxième et largement au-dessus de la moyenne du secteur qui s’est établi à 238 MD». Les bénéfices? C’est un «record historique puisque nous n’avons jamais atteint les 50 MD depuis la création de la BNA», souligne son Pdg. Soit une progression de 254,2% par rapport à 2013.
Certes, admet M. Khatteche, c’est un résultat très en-deçà des 100 MD qu’il avait promis l’année dernière. Un manque à gagner que le Pdg impute à «de nouvelles réglementations» qui auraient rendu l’objectif fixé inatteignable. La faute à pas de chance, donc.
Le patron de la BNA se console en soulignant, autres motifs de satisfaction, que sa banque a «la 1ère par le total bilan, la 1ère dans le concours à l’économie, la 1ère en matière de financement de l’agriculture, de l’industrie, de la PME-PMI, la 3ème dans la promotion immobilière, etc.».
Fait que M. Khatteche présente comme rassurant quant à l’avenir de la banque, «les indicateurs positifs jusqu’au 30 septembre 2015». A titre d’exemple, le PNB a progressé de 5,4% et le Pdg espère : «Nous rapprocher des 400 MD d’ici 1 à 2 ans».
Se faisant grand seigneur, le Pdg de la BNA va jusqu’à expliquer que si sa banque ne distribue pas de dividendes cette année aussi, c’est, en partie, parce qu’il ne voulait pas embarrasser les deux autres banques publiques, dont la BNA se distinguait déjà par le fait qu’elle était la seule des trois à ne pas avoir sollicité de fonds publics pour sa recapitalisation.
De nombreuses failles et insuffisances
Donc, tout est pour le mieux dans la meilleure des banques possibles? Ce n’est pas tellement l’avis de Fathi Saidi et Ziad Khedimallah, les commissaires aux comptes qui, dans leur rapport général, ont mis en exergue une autre facette moins reluisante de la réalité de la BNA.
Les deux experts ont en effet pointé du doigt de nombreuses failles et insuffisances. D’abord, des insuffisances «significatives inhérentes au système de contrôle interne» et touchant «les procédures et processus en rapport avec le traitement de l’information financière et la préparation des états financiers». Ensuite, l’«absence d’une comptabilité multidevises (…) qui ne permet pas d’identifier clairement l’impact des opérations effectuées en devises sur le résultat de la période et d’apprécier l’exposition de la banque au risque de change».
Egalement mise en évidence par les deux commissaires aux comptes l’indisponibilité d’une information «fiable et exhaustive sur les mouvements confiés par client permettant d’apprécier la solvabilité de certaines relations de la Banque».
Le rapport général reproche aussi à la BNA le «maintien de garantie hypothécaires, après leur extinction, pour la couverture comptable de certains engagements», ainsi que l’absence régulière et exhaustive des engagements hors bilan, ce qui a contraint les deux commissaires à en dresser l’état «d’une manière extra-comptable sur la base des situations communiquées par les structures internes de la BNA» et à «formuler une réserve sur la régularité et l’exhaustivité de l’état des engagements hors bilan».
Last but not least, le rapport annuel 2014 fait ressortir un bond des créances accrochées à 21,4% – dont 37% sont carbonisées – et une régression du ratio de solvabilité de 10,04 à 8,99%.
Alors, le verre de la BNA est-il à moitié plein ou, plutôt, à moitié vide? Raouf Aouadi, directeur général de Maxula Bourse, l’intermédiaire qui recommande régulièrement, et encore au lendemain de l’assemblée générale, «l’achat du titre BNA», le croyant potentiellement plein, puisque, selon lui, ce titre «sera le meilleur à l’avenir» parmi ceux de toutes les banques.
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