Alors que son offensive militaire est en voie de réaliser ses objectifs, la Russie engage des négociations pour une solution politique de la crise en Syrie.
Par Mohamed Nafti*
Le 30 septembre 2015, la Russie a entamé en Syrie, à la demande du président Bachar El-Assad, une campagne aérienne pour l’aider à combattre les groupes terroristes qui menacent son régime. L’opération qui devait durer trois à quatre mois, selon Poutine, a bouclé sa quatrième semaine.
Les raids étalés durant toute la première semaine ont préparé le terrain pour une offensive terrestre conduite par l’armée syrienne le 7 octobre, conjointement avec l’aviation russe. Cette offensive de grande envergure de Damas vers Alep avait pour objectif de nettoyer le réduit côtier (la Syrie utile) des terroristes qui menacent le régime d’El-Assad. L’apport de l’aviation russe s’est avéré capital dans les opérations des troupes loyalistes qui ont réussi à éliminer 5000 terroristes et libérer une cinquantaines de villages.
Après un mois de combat, l’offensive terrestre est à Hama, à mi-chemin entre Damas et Alep. L’objectif opératif de la coalition russe pourrait être réalisé sans peine avant la fin de l’année 2015.
Il est utile de passer en revue les différentes forces en présence dans le territoire syrien et analyser les événements de la quatrième semaine pour essayer de tirer les enseignements sur le futur des actions qui pourraient avoir lieu en Syrie.
Les Forces en présence :
La coalition russe : menée par la Russie, constituée autour de l’armée syrienne renforcée d’un contingent du Hezbollah libanais et d’un corps de 2000 combattants iraniens et soutenue par une task-force de l’aviation russe. Cette dernière est fort de près de 50 avions entre chasseurs, bombardiers et appui au sol, à laquelle il faut ajouter des hélicoptères de manœuvre et d’attaque. Après 4 semaines d’opérations la coalition ne souffre d’aucune faiblesse et se maintient très soudée.
Les groupes rebelles : 7 à 8 groupes dont les principaux sont Jabhat Al-Nosra (affilié à Al-Qaida) et Ahrar Al-Cham. Les Américains ont évoqué l’existence de rebelles modérés qu’ils soutiennent mais ne citent pas leurs noms. La Russie, quant à elle, s’interroge sur l’existence du groupe rebelle connu sous le nom de l’Armée syrienne libre (ASL).
L’Etat islamique (EI, Daêch) : implanté sur une large partie du territoire syrien et Irakien. La coalition américaine le combat depuis un an en Irak mais n’a pas réussi à l’affaiblir. Ses combattants mènent la belle vie dans la partie orientale de la Syrie en exploitant les ressources pétrolières dans les régions de Raqa, Dir Ezzor et Palmyre.
La coalition occidentale : en juin 2014, suite à la débâcle de l’Armée Irakienne à Mossoul et sentant sa défaite prochaine, les Etats-Unis ont précipité l’organisation d’une coalition d’une quarantaine de pays pour combattre l’EI. L’Arabie Saoudite et le Koweït ont financé les activités de cette coalition; d’autres ont fourni de l’armement ou des équipements à l’armée irakienne. Le seul succès enregistré depuis un an est un sursis de l’entrée des troupes de l’EI à Baghdad.
Les événements en cours :
L’armée syrienne a continué son offensive terrestre initiée le 7/10 soutenue par des unités du Hezbollah et de l’Iran et bénéficiant d’un appui aérien russe. L’effort est axé sur les banlieues des villes où se retranchent les combattants rebelles. C’est pratiquement le même scénario qui se répète tous les jours dans les mêmes endroits.
– 21/10 : l’aviation russe a effectué 46 sorties visant des positions de groupes rebelles situés dans les banlieues de six villes Alep, Idlib, Hama, Homs, Damas et Dir Zor. Un chef rebelle de Jabhat Al-Nosra est abattu aux environs de Lattaquié.
– 22/10 : 53 sorties. Les affrontements continuent dans les banlieues des six villes.
– 23/10 : plus de 50 sorties. Les unités de l’armée syrienne continuent leur avance et les progrès les plus visibles sont enregistrés dans les villes de Homs, Hama, Lattaquié et Alep. La Russie et la Jordanie ont convenu de coordonner leurs activités aériennes dans le ciel de la Syrie. Deux combattants iraniens sont décédés près d’Alep.
– 24/10 : plus de 50 sorties. Un chef rebelle de Jabhat Al-Nosra a été tué à Alep. L’EI a demandé à Jabhat Al-Nosra de faire front commun contre la coalition russe. Une unité de l’EI a coupé une portion de 6 km de l’autoroute entre Hama et Alep. Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, annonce la disponibilité de la Russie pour dialoguer avec l’opposition patriotique syrienne.
– 25/10 : plus de 50 sorties. Les affrontements continuent autour des villes. Les rebelles déclarent avoir détruit des chars de l’armée syrienne. Le commandement militaire syrien annonce quotidiennement l’élimination de terroristes au cours des affrontements dans les banlieues des villes.
– 26/10 : Des unités de l’armée syrienne ont réussi à conquérir les hauteurs au nord de la ville d’Alep à la frontière avec la Turquie.
La garnison syrienne de Dir Ezzoor a réussi à repousser une attaque menée par des combattants de l’EI. Une interception des communications rebelles rapporte qu’ils manquent de munitions et de nourriture. La portion de l’autoroute a été libérée des mains de l’EI.
– 27/10 : Fahad Masri, un des chefs fondateurs de l’ASL, déclare être prêt au dialogue avec la Russie. Par contre, Fares Bayouch, chef du groupe minuscule Fursan Al-Haq, refuse l’offre russe.
L’Initiative Russe :
– Bachar à Moscou : le 21/10, le président syrien a effectué une visite surprise à Moscou pour rencontrer Poutine. Au menu de la visite, 3 points clefs méritent d’être cités : la signature d’un pacte de défense commune entre les deux pays sur une durée de 15 ans; la restructuration des forces armées syriennes sur la période 2015-2020 et l’envoi de 5000 conseillers russes; la mise en œuvre d’une stratégie politique et un plan de sortie de crise pour appuyer l’effort diplomatique face à l’action des pays occidentaux.
– Vienne : le chef de la diplomatie russe Lavrov a réussi à réunir ses homologues des Etats-Unis, de la Turquie et de l’Arabie saoudite à Vienne pour explorer une solution à la transition politique en Syrie après la fin de la guerre. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a considéré que la réunion de Vienne a soulevé des idées productives et considère que c’est un premier pas qu’il importe de poursuivre en invitant d’autres acteurs de la région. On parle déjà de la prochaine réunion avant la fin du mois d’octobre.
– La Russie a proposé d’aider les opposants patriotiques et particulièrement le groupe rebelle de l’ASL. Un des chefs de ce groupe a déclaré être prêt au dialogue avec la Russie. C’est une ouverture diplomatique qui a pris naissance après la visite de Bachar à Moscou et après la réunion de Vienne.
– La coordination avec la Jordanie : ce pays est membre de la coalition américaine. C’est un bon point qui est considéré comme un appui diplomatique à la coalition russe.
Conclusions
– Les succès de l’armée syrienne : la poursuite de l’offensive de l’armée syrienne appuyée par l’aviation russe enregistre des succès dans la réalisation des objectifs tactiques que ce soit dans l’élimination des combattants rebelles (objectif ennemi) ou dans la libération de villages (objectif terrain). Des sources font état de l’élimination de près de 5000 rebelles depuis le début de la campagne militaire et la fuite de 17.000 autres, ainsi que la libération d’une cinquantaine de villages.
– La résistance des rebelles : la ville d’Alep est en grande partie occupée par les rebelles, Homs et Hama résistent encore et font subir à l’armée syrienne des pertes en hommes et en matériel. Mais l’approvisionnement en munitions et en nourriture commence à leur manquer. S’ils ne reçoivent pas des renforts d’ici la fin du mois, la situation deviendra très critique pour leur défense surtout à Hama. Cette ville est à mi-chemin entre Damas et Alep et si elle tombe après un mois de combat, l’objectif final de la coalition russe ne serait pas difficile à concrétiser avant la fin de l’année 2015.
Sur le plan diplomatique : la campagne diplomatique est lancée le 21 octobre 2015 avec la visite de Bachar El-Assad à Moscou. A partir de cet instant, Lavrov s’est attelé à sa mission spécifique de canaliser tous les acteurs de la Syrie vers le projet d’une solution politique de la crise en Syrie. On sent la mise en application d’un plan russe préétabli qui se conforme à des échéances bien définies : la fin du mois de septembre commence la campagne de la coalition russe ; 7 jours après c’est le début de l’offensive terrestre. 21 jours après c’est le début de l’initiative diplomatique ; 28 jours après on parle de dialogue avec l’opposition patriotique. C’est peut-être un plan d’action découpé dans le temps par semaines avec des objectifs clairs qui est imposé par Poutine et son état Major.
Sur la réalisation des objectifs de la coalition russe : la planification russe héritière de la doctrine soviétique a la caractéristique d’être rigide aux niveaux stratégique et tactique mais souple sur le plan opératif. Ce qui voudrait dire que les objectifs stratégiques et tactiques de la campagne en Syrie ne changeront pas beaucoup. A l’inverse, ceux du niveau opératif pourraient subir des aménagements.
Sur le plan stratégique : sauver le régime de Bachar en continuant à appuyer l’armée syrienne par les frappes aériennes visant les groupes rebelles qui menacent le régime. Depuis le début de la campagne en Syrie plus de 80% des frappes aériennes sont concentrées sur les positions des rebelles dans le réduit côtier qui abrite les éléments de Jabhat Al-Nosra et Ahrar Al-Cham, considérés comme le noyau dur des ennemis de Bachar.
Sur le plan opératif : éliminer la menace des groupes rebelles dans le réduit côtier de la Syrie utile. L’objectif de Sahl Ghab a été annoncé par le commandement de l’armée syrienne au début de la deuxième semaine. Mais trois jours après l’offensive terrestre a changé de direction d’attaque pour faire effort sur les villes situées sur l’autoroute Damas-Alep.
Sur le plan tactique : le commandement syrien a annoncé l’objectif de l’offensive terrestre : «écraser les terroristes et nettoyer les régions de la présence rebelle». Nettoyer les banlieues des villes de Damas, Homs, Hama, Lattaquié, Idlib et Alep de la présence rebelle est le scénario des affrontements quotidiens que nous livre les parties en conflit.
L’initiative diplomatique ne limitera pas les combats en Syrie. Elle viendra plutôt renforcer la campagne militaire. Les affrontements gagneront même d’intensité avec le temps pour ne laisser aucun répit aux rebelles et les obliger à fuir ou à déposer les armes.
El-Assad croit fermement que la victoire sur les rebelles est la condition de réussite nécessaire pour concevoir une solution politique. La Russie est décidée à soutenir Bachar dans sa guerre contre les terroristes qui menacent son régime et commence à explorer une solution politique pour une sortie de crise de la Syrie, une solution qui sera l’œuvre des différents acteurs clefs de la région.
* Général à la retraite.
NB: Ce travail est basé sur une exploitation des sources ouvertes des journaux électroniques suivants : Strategika 51 et Sputnik international (actualités quotidiennes et articles sur la guerre en Syrie), les dépêches de l’agence syrienne Sana, les articles de Reuters et du journal ‘‘L’Express’’.
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