Dans la révolution tunisienne, la 1ère du 21e siècle, le numérique et l’oralité de l’image ont joué un grand rôle. C’est une révolution «glocale»…
Par Fawz Ben Ali
Dans le cadre des «Mardis de l’IFT», l’Institut français de Tunisie, en partenariat avec l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), a organisé, le mardi 26 janvier 2016, une conférence suivie d’un débat avec l’écrivain français Jean-Marc Salmon à l’occasion de la sortie de son nouveau livre ‘‘29 jours de révolution : histoire du soulèvement tunisien’’, paru ce mois aux éditions Les Petits Matins.
Enseignant-chercheur à l’Ecole de Management à Evry, en France, et ancien directeur du Bureau du livre français de New York, Jean-Marc Salmon est avant tout historien et sociologue. C’est ce qui l’a en effet amené à s’intéresser de près à la révolution tunisienne dans une approche socio-historique, un projet dans lequel il s’est investi à bras-le-corps.
Une révolution de palais ?
Dans son nouvel ouvrage, Jean-Marc Salmon retrace l’histoire du soulèvement et le mouvement protestataire qui l’a nourri du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Dans son enquête, il s’appuie sur 95 entretiens et témoignages d’acteurs significatifs ayant fait part des 29 jours de manifestations réprimées, parmi lesquels figurent des syndicalistes, des avocats, des artistes, des bloggeurs, des étudiants…
Ce large corpus d’informations et de témoignages a aidé l’auteur à bien restituer les événements clés de la révolution, ce qui a donné naissance à un ouvrage richement documenté. Quant à définir le genre et la nature de ce livre, Salmon l’inscrit dans la littérature académique et le considère comme «un ouvrage hybride», dans la mesure où les techniques et méthodes de travail auxquelles il a eu recours sont historiques et sociologiques à la fois.
J.-M. Salmon explique que son choix s’est porté précisément sur la Tunisie comme sujet de travail parce qu’il estime qu’il s’agit de la première révolution du 21e siècle, même s’il reste assez sceptique quant à sa nature, s’interrogeant si ce n’était finalement qu’une «révolution de palais». Il ajoute cependant que nous ne sommes pas près d’en être certains tant que nous n’avons pas éclairci le mystère autour de ce qui s’est réellement passé le jour du 14 janvier 2011 au Palais de Carthage.
«L’émotion l’a remporté sur la rationalité».
Une révolution numérique
Dans son livre, J.-M. Salmon décrit la révolution tunisienne comme un mouvement moderne, d’une grande innovation qui se manifeste dans la rupture qu’elle marque avec les précédentes révolutions fondées sur des références textuelles où les discours révolutionnaires étaient jusque-là réservés aux élites. Avec le 14-Janvier, la tradition des grands textes a volé en éclats pour laisser place au numérique et à l’oralité de l’image. «Dans ce nouveau cycle de protestations sociales, l’émotion l’a remporté sur la rationalité», explique J.-M. Salmon. «Les anciens repères ne fonctionnent plus très bien», ajoute-t-il.
L’auteur français met l’accent sur ce qu’il appelle «le bouclage numérique» : un phénomène original qui réunit la rue, le téléphone portable, internet et la télévision. Il s’agit d’un processus répétitif où on filme les manifestations dans la rue avec un téléphone portable, on partage les vidéos sur les réseaux sociaux que les chaînes transnationales diffusent le soir même. Partant de là, on pourrait dire qu’il s’agit d’une révolution numérique, qui n’aurait pas eu lieu sans le pouvoir d’Internet avec ses réseaux sociaux et ses cybermilitants.
«C’était une spontanéité auto-organisatrice.»
Un soulèvement «glocal»
Autre caractère intrinsèque de la révolution tunisienne, selon J.-M. Salmon, c’est l’absence de dirigeants et de porte-parole, en effet, tout le monde s’est rassemblé autours du même étendard. Le malaise social qui régnait dans les zones intérieures a fait naître un soulèvement populaire spontané qui a gagné en terrain au fil des jours ayant suivi l’immolation de Mohamed Bouazizi. Il insiste sur ce point en disant: «C’était une spontanéité auto-organisatrice. Le mouvement n’a pas été décidé à l’avance (…) Personne n’a pensé que ça déboucherait sur une révolution.»
J.-M. Salmon décrit ce soulèvement de 29 jours de «glocal». Ce néologisme, dit-il, est né du caractère local des protestations de Sidi-Bouzid et global du moment où il y a eu nationalisation et politisation de ce mouvement pour qu’il soit par la suite adopté partout dans le monde (émeutes à Istanbul, Madrid… et révolutions du monde arabe).
L’auteur de ‘‘29 jours de révolution : histoire du soulèvement tunisien’’ conclut sur une note positive, reconnaissant que la Tunisie demeure un modèle unique qu’on ne pourrait comparer au reste du monde arabe, du moment où c’est le pays qui s’en est le mieux sorti, évitant tout conflit civil, contrairement à la Libye, l’Egypte ou la Syrie, qui ont sombré dans le chaos et la guerre ou sont tombées dans de nouvelles formes de dictatures. D’ailleurs le prix Nobel de la Paix 2015 décerné au Quartet du dialogue national en est la meilleure preuve.
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