Le flou qui règne dans le secteur des hydrocarbures en Tunisie résulte, essentiellement, de l’incompréhension des termes techniques et de la confusion des textes juridiques.
Par Wided Ben Driss*
La polémique autour de la richesse de la Tunisie en hydrocarbures et de leur exploitation par les compagnies étrangères a été remise en avant à plusieurs reprises depuis la révolution. La campagne «Winou el-pétrole ?», en 2015, a pris de l’ampleur et a oscillé entre humour sur la toile et manifestations politiques dans la rue. A part les slogans provocateurs, les demi-vérités et des accusations infondées, on n’a rien gardé en mémoire et le flou persiste encore au sujet du secteur des hydrocarbures en Tunisie. Pour preuve, les voix de protestation qui s’élèvent à chaque fois que le ministère de l’Energie et des Mines accorde des permis d’exploration ou d’extension ou les renouvelle, après accord de la Commission consultative des hydrocarbures (CCH).
Il est à noter qu’il n’y a pas eu signature de nouvelles conventions depuis 2010 et que, par conséquent, aucun nouvel opérateur n’est venu, depuis, en Tunisie. En revanche, plusieurs permis ont été rendus et des opérateurs ont quitté la Tunisie. Il n’y avait, en 2015, que 31 permis, contre 52 en 2010, et ceci est la conséquence de la situation générale dans le pays et, surtout, de la crise mondiale du secteur pétrolier.
La Tunisie a des richesses en pétrole et gaz assez limitées, qui sont proportionnelles aux surfaces de ses potentiels bassins sédimentaires et en fonction de sa géologie compliquée. Le facteur de succès est faible : 1 puits positif sur plus de 10 forés. C’est pourquoi Tunisie a révisé son code hydrocarbure de sorte à le rendre plus incitatif pour les opérateurs étrangers et les inviter à investir et à explorer dans notre pays.
La Tunisie comporte encore des zones sous explorées et l’encouragement des opérations de prospection et d’exploration vise à mettre en évidence de nouvelles découvertes d’hydrocarbures. Il est compréhensible que les grands opérateurs mondiaux en quête de champs géants n’aient pas été intéressés par le potentiel de la Tunisie et ce ne sont que les moyennes et les petites compagnies qui se hasardent encore et prennent le risque d’investir dans notre pays.
Il faut aussi savoir que tous les travaux de prospection, d’exploration et d’appréciation sont aux frais et risques de l’opérateur et que l’Etat (à travers l’Entreprise tunisiennes des activités pétrolières, Etap, partenaire des opérateurs) ne cotise qu’en cas de participation à une découverte. Il va sans dire qu’attirer de nouveaux investisseurs nécessite une conjoncture encourageante, se résumant en priorité en un cadre légal clair, un potentiel bien présenté et évidemment un minimum de sécurité.
Le flou qui règne dans le secteur des hydrocarbures en Tunisie résulte du cumul de 3 facteurs décourageants, que nous analyserons dans ce qui suit.
1- L’incompréhension des termes techniques et la confusion des textes juridiques :
Bien qu’il y ait un effort de la part du ministère de l’Energie pour rendre l’accès facile à l’information sur son site web (open data), des partis politiques, des associations, des journalistes et des citoyens continuent de pointer le manque de transparence et même la corruption dans le secteur des hydrocarbures.
A ce jour, aucun ministre n’a pu convaincre l’opinion en donnant un état clair de la situation. Et pourtant, tous les opérateurs sont liés avec l’Etat tunisien par des contrats (conventions et cahiers des charges) en accord avec la loi des hydrocarbures.
A entendre les déclarations et à lire les commentaires, des confusions persistent entre permis et concessions et entre les divers types de contrats. Il est à clarifier que les 31 permis d’exploration actuellement en vigueur sont opérés par 25 opérateurs, qui, évidemment, ne produisent pas tous du pétrole ou du gaz. Il est aussi à souligner que parmi ces opérateurs, il y a ceux qui font de la prospection et de la recherche, et que seuls 13 parmi eux possèdent des concessions et produisent du pétrole ou du gaz.
Les opérateurs qui ont des permis de prospection ou de recherche effectuent tous les travaux à leurs frais et risques (l’Etat tunisien ne participant pas aux frais).
Les contrats ne sont pas identiques car ils sont régis par des lois différentes (Loi 1953, Loi 1985 et Loi 1990) et se déclinent en contrats d’association et contrats de partage.
Les extensions et les renouvellements des permis sont accordés aux opérateurs en respect des clauses des contrats signés au préalable et non pas en tant que faveur. De plus toute extension est octroyée en contrepartie de travaux additionnels et, donc, d’un investissement.
La Tunisie est, on le sait, un pays qui a su assurer la continuité de ses institutions et il se doit donc de respecter les conventions signées auparavant avec les opérateurs.
2- Suspicions de corruption :
Depuis 2011, le rapport de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation, ainsi que les rapports et annexes publiés par la Cour des Comptes, ont évoqué des déviations dans le secteur des hydrocarbures, mais il n’y a pas eu de clarification ultérieure. Il y a donc un manque de suivi. A titre d’exemple, le rapport 27 a soulevé des infractions, mais le rapport 28 n’est pas revenu sur le sujet.
Les rapports de la Cour des Comptes sont volumineux (plus de 600 pages) et leur compréhension ne semble pas à la portée de tous.
Le sujet de corruption du secteur pétrolier a été exploité par des «pseudos experts» au service de quelques partis politiques, en se basant sur des informations incomplètes voire erronée contenues dans ces rapports.
Un nouveau ministère vient d’être créé pour s’occuper de la gouvernance et qui se chargera, avec l’Instance nationale de lutte contre la corruption, de soumettre tous les dossiers de corruption à la justice, seul pouvoir habilité à juger la véracité des accusations.
Certains activistes politiques et de la société civile ont même demandé de retirer les permis et les concessions et de nationaliser les richesses nationales en hydrocarbures, qui sont la propriété du peuple Tunisien.
A ce propos, il convient de noter que même les grands producteurs de pétrole et de gaz (en Arabie Saoudite et en Algérie) sous-traitent toujours les travaux de recherche et d’exploration, qui coûtent très cher, car il est plus rentable pour les multinationales d’investir à leur frais et risques et de percevoir, en cas de découverte, une proportion allant de 30 à 20% des revenues.
Ces «pseudos experts», qui ignorent tout du secteur, doivent comprendre que l’Etat tunisien n’a pas la capacité financière de faire la sismique et de forer des puits qui coûtent des dizaines de millions de dinars. Ils ne sont pas sans savoir que, pour participer avec OMV au projet Gaz du Sud, l’Etap a contracté deux crédits.
La question qui se pose encore c’est de savoir les motivations réelles de ces partis politiques et ces lobbies. Pourquoi cherchent-ils à semer le trouble dans les esprits ? Est-ce pour faire pression sur les compagnies étrangères opérant en Tunisie pour les chasser et en ramener d’autres? Ou cherchent-ils seulement, en faisant du populisme, à s’afficher pour émerger sur la scène politique?
3- Répercussions de l’Article 13 :
Les travaux et les décisions de la Commission de l’énergie au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC) ont été très influencés, depuis 2011, par ces polémiques autour du secteur des hydrocarbures. Malgré les documents et les clarifications fournis, certains dossiers sont restés en instance, en raison des votes au sein de ladite commission restés en-dessous du quorum légal exigé. Certains dossiers sont encore en suspens depuis et les nouveaux élus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ne semblent pas mettre le dossier de l’énergie parmi leurs priorités.
Le président de ladite Commission a annoncé, récemment, que les dossiers du secteur de l’énergie seront traités prochainement par une sous-commission mixte composé de membres l’ARP, de l’Etap et du ministère de tutelle.
Il est compréhensible que le secteur pétrolier soit un domaine technique assez pointu mais il est admis que les partis au pouvoir et le parlement ont accès aux meilleurs experts du domaine pour élucider les sujets problématiques et pour prendre les bonnes décisions rapidement.
Le secteur attend aussi l’intégration de l’article 13 de la nouvelle constitution dans la révision de la loi sur les hydrocarbures. Il est souhaitable que la révision couvre aussi l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnelles afin de donner à la Tunisie d’éventuelles sources additionnelles d’hydrocarbures à l’avenir.
Dans le but d’encourager les investissements dans le secteur, il est recommandé d’amender la loi sur les hydrocarbures et de la rendre plus flexible au sujet du nombre et de la durée des extensions. Cette dernière recommandation part du principe qu’il est plus bénéfique pour le pays qu’un opérateur continue à investir et à opérer un permis ou une concession qu’il maîtrise (voire à lui imposer des obligations additionnelles) que de le lui retirer et de chercher un nouvel investisseur. Sans compter la perte du temps d’un éventuel appel d’offres, le nouvel opérateur a besoin de temps pour s’établir, évaluer le potentiel et entreprendre de réels investissements. Il est donc dans l’intérêt du pays d’être plus flexible et d’éviter les litiges pour donner une image positive au monde des affaires.
Au regard de l’Article 13**, il est admis que les nouveaux contrats et les conventions ratifiés doivent être soumis au parlement pour approbation. On doit en déduire que les extensions et renouvellements stipulés par les conventions sont des demandes de routine qui doivent être traitées par la CCH, sous la Direction générale de l’énergie (DGE) au ministère de tutelle et l’Etap.
A présent, et avec le rétablissement d’un ministère de l’Energie et des Mines, il est prévu de définir les responsabilités et d’établir les lignes de communication entre le ministère, la CCH et la Comission de l’Energie de l’ARP.
Il est recommandé que le ministère de l’Energie et des Mines exploite la conjoncture mondiale actuelle caractérisée par un prix bas du baril et une régression de l’activité d’exploration et de production pour:
– publier le code des hydrocarbures révisé ;
– résoudre à l’amiable les dossiers des opérateurs en suspens;
– clarifier les relations entre ministère, CCH et Commission de l’énergie à l’ARP;
– intensifier la communication du ministère et vulgariser l’information au sujet des ressources naturelles afin de minimiser les polémiques.
Ces actions seront une solide assise pour affronter les défis futurs, y compris attirer de nouveaux opérateurs à investir en Tunisie, relancer l’activité, améliorer la production, expérimenter les ressources non conventionnelles et faire de nouvelles découvertes.
On sait que la crise mondiale du secteur ne durera pas et que la Tunisie devra être prête pour la reprise.
Le secteur des hydrocarbures est un domaine qui requiert des actions de longue haleine, qui bénéficieront aux générations futures.
* Expert en géosciences.
** Article 13 de la constitution : «Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien. La souveraineté de l’État sur ces ressources est exercée en son nom. Les contrats d’investissement relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation».
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