Du Liban en Afghanistan, en passant par la Syrie, économies de guerre, économies de la drogue et terrorisme ont une longue histoire commune dans les pays du Moyen Orient.
Par Roland Lombardi *
La Méditerranée et le Moyen-Orient ont toujours été le théâtre des trafics de drogues et des économies souterraines. N’oublions pas que dans le passé, mais encore aujourd’hui, la Turquie, le Liban et l’Afghanistan ont toujours fait partie des plaques tournantes importantes du trafic des stupéfiants.
Liban : la drogue finance la guerre civile
En temps de crise et de guerre, ces trafics se développent d’autant plus. Economies de guerre et économies de la drogue ont en effet une longue histoire commune dans la région comme ailleurs… Il y a donc de fortes synergies entre les économies de guerre civile et les économies de la drogue. Par exemple, le trafic de hashisch (entre autres) a explosé au Liban durant la guerre civile dans les années 1970-1980. En effet, les milices de tout bord, quelles que soient leurs appartenances religieuse, politique, sociale et idéologique se sont rapidement accoquinées avec des caïds locaux pour se lancer dans le trafic de drogue. Cette activité criminelle s’est même développée et organisée sur une vaste échelle, sur le plan local mais aussi sur le plan international. Toutes les forces en présence sur le territoire libanais, toutes sans exception, y trouvèrent leur compte. Représentant des sommes mirobolantes, la drogue était un moyen de financement des plus lucratifs. A un moment donné, chacune des milices pouvait facilement se passer des aides et des subventions en armes et en argent des pays «parrains». Ce trafic avait son propre budget qui pouvait alors se chiffrer en centaines de millions voire en milliards de dollars pour certains groupes.
Afghanistan : talibans et Al-Qaïda et les trafics de stupéfiants
La culture du pavot et l’usage de l’opium (décoction, ingestion) sont des pratiques multiséculaires en Afghanistan. Certaines sources les font remonter au XIIIe siècle. Jusqu’au XIXe siècle, l’opium était même un monopole d’Etat. Après cette période, malgré la politique des drogues fondée sur la prohibition et en dépit des interdictions officielles de la culture de la plante, la pratique continua surtout dans le nord du pays. Une partie de la production était alors envoyée vers l’Iran et la Turquie, pays dans lesquels l’opium était transformé en héroïne.
Ainsi, jusque dans les années 1970, la production représentait quelques centaines de tonnes. Plus difficile à cultiver que le blé mais beaucoup plus rentable que celle-ci, la culture de l’opium a ainsi permis à nombre d’Afghans parmi les plus pauvres de subvenir à leurs besoins vitaux. Mais c’est avec la guerre qui suivit l’intervention soviétique en 1979 que la production de l’opium va exploser. D’abord, car elle va financer la lutte armée des moudjahidines contre les Russes, puis surtout, car les trafiquants vont profiter du chaos dans lequel le pays était plongé afin de pousser les paysans à cultiver la plante.
A partir des années 1990, l’industrie de la drogue profita aux groupes armés qui se disputaient le pouvoir central et qui se trouvaient en manque de ressources financières depuis le recul des aides américaines et saoudiennes. L’essor de l’économie des opiacés est alors contrariée un moment par les talibans qui prennent le contrôle du pouvoir central en 1996. Toutefois, en 1999, la production atteint des records historiques avec 4.600 tonnes ! Le mollah Omar, le chef des talibans, publie durant l’été 2000, un décret interdisant la culture du pavot, la décrétant impie mais multipliant par dix les prix de l’opium. Un certain recul est alors notable mais de courte durée. De plus, l’Afghanistan est aussi devenu progressivement un pays producteur et exportateur d’héroïne.
Enfin, suite à l’intervention occidentale consécutive aux attentats du 11 septembre 2001, la production d’opium est considérablement relancée pour financer les insurgés et les factions du pouvoir liées à l’Otan. Chefs de tribus et seigneurs de guerre y trouvèrent alors aussi et inévitablement leur compte. Même si ces trafics de drogues sont à l’origine de désaccords au sein d’Al-Qaïda et des talibans, certains pensant que le trafic de drogue va à l’encontre des principes de l’Islam et d’autres pensant que les deux sont compatibles, il était inéluctable que les organisations terroristes ne laissent pas échapper ce juteux commerce dans d’autres mains…
Daech et le Captagon
Même si le parallèle est un peu rapide, déjà au Moyen-âge, les Hashashins de la secte d’Hassan Ibn Al-Sabbah consommaient du hashisch avant de commettre leurs assassinats ou d’aller au combat.
Aujourd’hui, ce n’est plus un secret pour personne que bon nombre de combattants djihadistes utilisent diverses drogues et particulièrement du Captagon. Par exemple, l’autopsie du jeune tunisien responsable de la tuerie de Sousse, en juin 2015, a mis en évidence que le terroriste était sous l’emprise de drogue et notamment la fénéthylline, plus connue sous le nom de Captagon. Cette substance est une «super-amphétamine» qui entraîne une résistance à la fatigue, une vigilance accrue et une altération du jugement. Mais elle provoque aussi à terme de graves problèmes cardiaques. D’après les spécialistes, et les consommateurs, cette drogue synthétique donne l’impression à celui qui la consomme d’être invincible.
D’après certaines rumeurs reprises par plusieurs médias, le Captagon serait produit en Bulgarie. Pour l’heure, nous sommes dans l’impossibilité de le confirmer officiellement. Par contre, ce qui est certain, c’est que cette drogue (comme la contrebande d’Extasy et autre Viagra) était bien présente et de manière exponentielle au Maghreb et au Proche-Orient bien avant l’apparition même de Daech. En tous cas, jusqu’en 2011, le centre névralgique de sa fabrication et de son trafic se situait plutôt au Liban. Depuis, la production se serait largement délocalisée vers la Syrie. Ainsi, cette drogue serait devenue incontournable notamment chez les djihadistes syriens puisqu’elle serait assez simple à fabriquer. Les comprimés seraient ensuite transportés par bateau ou par voie routière de la Syrie vers le Liban et la Jordanie, et vendus entre 5 et 20 dollars l’unité ou parfois échangés contre des armes.
D’après l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (Onuc), les quantités de pilules saisies dans les pays de la région auraient fortement augmenté ces dernières années : plus de 11 tonnes de Captagon en 2013 (principalement en Arabie saoudite), contre 4 seulement en 2012.
Durant l’automne 2015, un prince saoudien a été arrêté à l’aéroport de Beyrouth alors qu’il tentait d’embarquer pour Riyad dans un avion privé avec près de 2 tonnes de pilules de Captagon et de la cocaïne. Deux autres tonnes de cette amphétamine furent saisies par la police turque dans le sud du pays à la frontière syrienne…
Il est certain que pour asseoir leur emprise sur les territoires qu’ils contrôlent en Syrie et en Irak, les combattants de l’Etat islamique (EI, Daech) multiplient les activités criminelles et les trafics. Assurément, on peut dire que ce commerce est capté pour une bonne partie par Daech. D’autant plus que les revenus issus de la vente du pétrole, par exemple, sont en forte baisse du fait des derniers revers subis depuis l’intervention russe et les frappes de la coalition occidentale.
Trafic de drogue et terrorisme
Suite aux attentats qui ont touché Paris et Bruxelles, certains observateurs ont rapidement fait le lien entre trafic de drogue et terrorisme. De fait les passés de petites frappes de quartiers populaires de la plupart des auteurs des attaques des deux villes européennes ne cessent d’intriguer et renforcent le soupçon d’un lien fort entre terrorisme et criminalité, notamment le trafic de stupéfiants. Même s’il est bien connu que les frontières entre délinquance et salafisme violent sont poreuses, il est toutefois très hasardeux d’affirmer que le trafic de drogue alimente directement le terrorisme qui touche l’Europe. Pour cela, il faut rappeler que les terroristes de Paris et de Bruxelles n’étaient en réalité que des «voyous ratés» et c’est peut-être là une des raisons de leur basculement dans le salafisme puis l’action violente. Rappelons par exemple que Coulibaly, ancien repris de justice lui aussi, a été obligé de financer ses actions en contractant un crédit à la consommation !
Ainsi, légaliser les drogues dites «douces» comme le réclament certains observateurs et certains responsables politiques est une mauvaise solution. S’il y a trafic c’est qu’il y a une demande et il faudrait plutôt se poser la question de savoir pourquoi la consommation de haschich explose et que celle de la cocaïne s’est démocratisée. Là est la véritable question, sociétale voire civilisationnelle et philosophique, et les autorités européennes devraient surtout s’attaquer à ce problème de demande que génère nos sociétés occidentales. Mais le veulent-elles vraiment? Tant que la demande ne sera pas poursuivie et que la consommation individuelle sera tolérée, le trafic sera entretenu comme il l’est aujourd’hui pour les cigarettes, à moins de pratiquer des prix de vente bas avec les conséquences que l’on connait sur la santé.
En attendant, concernant la question du djihadisme, celle-ci est toujours, en France notamment, trop intellectualisée et sa dimension religieuse souvent écartée au profit de ses dimensions sociale et nihiliste, certes importantes mais non essentielles.
Pour autant, on peut reconnaître aussi qu’il est navrant que nos gouvernements successifs, de par leur angélisme envers certains groupes religieux, leur laxisme judiciaire et leur incapacité à combattre sérieusement le chômage et les problèmes socio-économiques de certains quartiers, ne laissent finalement comme alternatives à une certaine jeunesse que le salafisme ou la délinquance.
Par ailleurs, à l’inverse de ce que nous avons trop tendance à croire, les «gros poissons» du trafic de drogue et du grand banditisme ne font pas bon ménage avec les terroristes. Ainsi, pour démanteler les réseaux terroristes, l’aide de services de renseignement du Maghreb (marocains et algériens notamment) a sans doute été précieuse, mais il ne serait pas étonnant que des informations cruciales recueillies émanent de caïds (qui sont par ailleurs à des années lumières du salafisme) souhaitant simplement retrouver une certaine tranquillité dans leur quartier afin de protéger et assurer leur lucratif business…
La paix sociale a un prix… et il est souvent plus élevé qu’on ne le croit !
* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
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