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Pour un musée du patrimoine judaïque tunisien

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La Tunisie, «terre de tolérance et de multitude», est en passe d’emboîter le pas au Maroc, en se dotant d’un Musée national juif, le deuxième de son genre dans le monde arabe.

Par Habib Trabelsi

«Votre réflexion aujourd’hui porte sur la faisabilité d’un musée des juifs de Tunisie. Je considère que cela est faisable et même nécessaire», a affirmé, sans ambages, Salma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, à l’adresse des participants à un séminaire scientifique, en marge du pèlerinage juif annuel à la synagogue de la Ghriba, la plus ancienne d’Afrique, sur l’île de Djerba, qui s’est bien déroulé sous haute surveillance.

Un « beau projet »

«Les juifs de Tunisie ont une si longue histoire depuis la haute antiquité. Une si longue histoire mérite d’être conservée, connue, étudiée et transmise aux générations futures (…). C’est ainsi que nous préservons notre jeunesse des dangers du repli sur soi dont on a vu les conséquences néfastes», a souligné la ministre dans une allusion à la montée du radicalisme et à la multiplication des attaques terroristes dont la plus inédite a été la tentative avortée de l’organisation terroriste de Etat islamique (Daech), début mars, d’instaurer «un émirat» à Ben Guerdane, quelques dizaines de kms plus au sud.

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«La communauté juive plonge ses racines dans notre histoire plurimillénaire (…). Tant de médecins, de philosophes, d’artisans issus des communautés juives à Kairouan, Mahdia ou Tunis… ont enrichi notre histoire par leur savoir, leur savoir-faire et qui méritent une plus grande visibilité dans notre culture contemporaine. Les élites juives de Tunisie ont joué un rôle pionnier et beaucoup parmi eux ont brillé dans plus d’un domaine. L’héritage culturel des juifs en Tunisie a aussi sa profondeur populaire dans les arts culinaires, la musique, les sports, la peinture et tant d’autres formes d’expression, qui méritent leur place naturelle dans les collectivités et les musées», a rappelé la ministre.

La communauté juive de Tunisie a en effet offert à la Tunisie d’éminents hommes politiques, de médecins et d’avocats émérites, de champions sportifs de réputation mondiale, d’artistes (musiciens, chanteurs, peintres…) charismatiques, mais aussi d’hommes de lettres, de journalistes et d’industriels illustres.

«La Tunisie, terre de brassage, d’amitié et de culture ouverte et plurielle, a besoin de redécouvrir sa diversité culturelle et religieuse. Si la Tunisie a besoin de se réconcilier avec son histoire, ce n’est pas uniquement avec son histoire récente qui a façonné notre modèle sociétal moderne et ouvert», a insisté Mme Elloumi Rekik, avant d’affirmer l’engagement de son département à soutenir «le beau projet» de la création d’un musée juif.

«En souhaitant à votre séminaire le plein succès, je vous affirme mon engagement entier et celui de mon département à être un partenaire solidaire avec votre beau projet quel que soit le lieu choisi pour sa réalisation. Vive le Tunisie, terre de tolérance et de multitude!», a-t-elle conclu, en invitant les séminaristes à tirer profit des «expériences réussies des musées de ce genre à Paris, en Turquie ou au Maroc, qui nous seront d’une grande utilité».

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L’éducation au patrimoine

Habib Kazdaghli, le Doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba (FLAHM), dont le Laboratoire du Patrimoine est l’initiateur de ce séminaire, prend aussitôt acte de l’«engagement du gouvernement» à encourager la création d’un musée des juifs de Tunisie, avant de céder la parole à Roger Bismuth, président de la Communauté Juive de Tunisie.  Celui-ci prend Mme la ministre au mot et exprime ce qui lui «tient beaucoup au cœur».

«Je trouve que c’est très dommage que nos jeunes ne connaissent pas l’histoire de la Tunisie. Je serais très heureux qu’on insiste auprès du ministère de l’Education nationale et celui de la Culture pour que tous les jeunes tunisiens connaissent l’histoire de leur pays», a notamment suggéré l’homme d’affaires et homme politique tunisien. «Maintenant, l’idée de créer un musée des juifs de Tunisie est initiée. C’est un travail de longue haleine», devait-il confier plus tard à Kapitalis.

«Moi je l’ai commencé, mais j’ai 90 ans. Je ne sais pas si j’en verrai le jour. Il fallait d’abord créer l’idée. C’est fait. Je tenais à souligner que nos enfants ne sont pas éduqués à la culture nationale. Ils ne connaissent rien sur leur patrimoine. Chacun de nos dirigeants a cru ou a voulu faire croire que la Tunisie est née avec lui. Je suis un ami de tous (ces dirigeants, ndlr). Mais je suis surtout ami qu’avec mon pays», a ajouté le nonagénaire.

Pour arrêter la débâcle du tourisme tunisien, moribond et à bout de souffle, notamment après les attentats visant ce secteur-clé qui pèse plus de 7% du PIB national, plusieurs voix se sont élevées pour réclamer notamment l’intégration du patrimoine en tant que «discipline à part entière» dans les programmes d’enseignement scolaire.

Ce fut le cas par exemple de l’Association la Manouba pour les Monuments et la Culture (AMMC), dans une «Charte civile du patrimoine en Tunisie», signée précisément à la FLAHM, et dont l’un des six principes stipulait que l’«éducation au patrimoine n’est pas une vue de l’esprit et qu’il est impératif de réformer les programmes d’enseignement scolaire pour intégrer le patrimoine en tant que discipline à part entière».

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Une fin «en queue de poisson»

Pressés par le démarrage des rites du pèlerinage, les autres intervenants ont été pressés de réduire au maximum leur temps de parole.

Sydney Assor, membre éminent de la communauté juive marocaine au Royaume-Uni, a invité les participants à «prendre exemple sur le Maroc», le seul pays arabe à abriter un musée du judaïsme, à Casablanca.

Zhor Rehihil, Conservatrice de ce même musée, a passé en revue l’historique de la création du «Musée du judaïsme marocain, situé dans un ancien orphelinat juif et créé en 1997, quatre ans après la création de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain, fondée par Simon Lévy, à la faveur d’une initiative privée appuyée par le gouvernement du Maroc et par le ministère des Affaires culturelles».

«Il y a actuellement quelque 5.000 juifs au Maroc, dont 2.000 à Casablanca. Nous recevons beaucoup d’ambassadeurs, de touristes, surtout américains. Ces dernières années, nous avons commencé à recevoir des visiteurs arabes, dont des ressortissants émiratis et saoudiens», a notamment affirmé cette fonctionnaire marocaine de confession musulmane.

Hélène Hoog, conservatrice au Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris, a dû «chronométrer» son exposé devant un auditoire squelettique. Elle a esquissé un historique du Musée, avant de renvoyer les participants au site officiel du Musée qui comporte notamment un inventaire de toutes les œuvres.

Nisya Allovi, directrice du Musée juif d’Istanbul, n’a eu que quelques minutes pour parler de cet édifice, une ancienne synagogue, qui abrite l’histoire passionnante des juifs de Turquie (qui compterait aujourd’hui près de 18.000 membres, en majorité à Istanbul) depuis leur arrivée en 1492 dans l’Empire ottoman, chassés d’Espagne, puis du Portugal par les rois catholiques.

L’exposé de Souad Toumi, conservateur au Musée national du Bardo, qui devait porter sur les collections judaïques dans les musées de Tunisie, a simplement été «sucré», faute de… temps.

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«Un Musée juif à Djerba ! Quelle bonne idée!»

A la veille du séminaire, un ancien directeur général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), Wahid Ibrahim, s’était félicité sur sa page Facebook de «l’idée excellente d’un musée juif à Djerba, une idée qui ne manque ni d’intérêt culturel et patrimonial, ni d’intérêt touristique et économique».

«Grâce à ce musée, l’île de Djerba gagnera en notoriété, attirera un nombre conséquents de visiteurs et sortira la Ghriba du ronron de son pèlerinage qui se limite à une petite semaine par an», écrivait ce fervent défenseur du patrimoine et du tourisme alternatif, sous le titre «Un Musée juif à Djerba ! Quelle bonne idée !».

«Grâce à un tel projet, il sera enfin possible de sauver ce qui reste d’un patrimoine matériel et immatériel en péril. Mais pour être viable et ne pas compter parmi les nombreux musées-fantômes réalisés par les services du ministère de la Culture, certaines dispositions devront cependant être prises depuis la conception du contenant, la définition du contenu et la démarche muséographique, jusqu’à la gestion et l’exploitation», soutenait M. Ibrahim, sans se départir de son style élégant, ni de son humour sarcastique.

M. Ibrahim suggérait ensuite plusieurs éléments à prendre en compte concernant le lieu, le thème, le contenant, le contenu, la démarche muséographique, la gestion et l’exploitation. Sur ce dernier point, il a estimé que ce musée gagnerait à être confié à «une structure ad-hoc fruit d’un véritable partenariat public-privé».

Comme d’habitude, ses propositions ont été «applaudies» et largement commentées par ses lecteurs… toujours nombreux.

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