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Crise tunisienne : Et si le Tunexit était le début de la solution ?

Libre-circulation

La Tunisie, qui a beaucoup perdu dans son association avec l’Union européenne, devrait envisager sérieusement de mettre en question ses relations avec Bruxelles.

Par Mohamed Rebai *

Les Européens nous appauvrissent avec leurs produits industriels et biens d’équipement surfacturés alors qu’ils achètent nos produits manufacturés, agricoles et miniers pour une bouchée de pain, rendant notre vie de plus en plus difficile. Faut-il repenser l’accord de libre échange conclu entre la Tunisie et l’Union européenne en 1996, l’amender en instaurant des mesures de sauvegarde ou carrément le résilier (Tunexit) ? On a, aujourd’hui, de bonnes raisons pour nous poser cette question.

Le séisme du Brexit

Le Brexit (référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne) l’emporte avec 51,9% des voix. La Grande-Bretagne quitte l’Union européenne après 43 ans de vie commune. Mais elle ne va pas sortir immédiatement. Il va falloir, au préalable, mettre en exécution les résultats du référendum du 23 juin 2016 par un gouvernement annoncé pour le mois d’octobre prochain qui va négocier dans la foulée la suppression de 7.800 textes liant les Britanniques à l’Europe. C’est un travail énorme, de longue haleine, qui demande un temps et une concentration phénoménale.

La Grande-Bretagne (regroupant l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord) est une grande nation comptant 64,1 millions d’habitants. Elle est la cinquième puissance économique mondiale, présente dans les cinq continents et dominant un territoire où le soleil ne se couche jamais. Elle sa propre histoire, ses propres institutions et un système juridique de droit commun (Common Law) unique au monde.

Cette décision de référendum a été rendue possible grâce à un concours de circonstances inédit : la mise en pratique de l’article 50 du traité de Lisbonne signé en 2009, mais qui n’avait jusque-là jamais été utilisé («Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union») pour conjurer la peur d’une immigration massive essentiellement en provenance des pays arabes et musulmans, qui connaissent présentement des conflits majeurs provoqués en grande partie par l’Occident.

Ainsi, la rhétorique des anti-immigrés a bien fonctionné et engendré l’émergence du parti anglais europhobe Ukip.

Le premier ministre David Cameron a ouvert la boîte de pandore qui s’est refermée sur ses doigts. Son pays, qui devient fracturé et divisé, connaîtra des jours difficiles mais il s’en remettra. C’est une grande machine qui produit et exporte. Un pays prospère et puissant peut le faire. Ils vont se débarrasser sous peu des Européens autres que Britanniques et des migrants musulmans dans l’espoir de libérer des logements et des emplois. La Grande-Bretagne va s’isoler un bon moment mais, qui sait, elle reviendra peut-être un jour au bercail.

Les incidences financières

Reflétant les inquiétudes suscitées par le Brexit, la livre sterling a dégringolé, ces deux derniers jours, par rapport à l’euro. Les grands financiers de la City (première place mondiale) rendent la livre et achètent en masse les dollars. Ce qui va accentuer davantage la pression sur la monnaie britannique, qui va se déprécier momentanément.
La livre sterling est l’unité monétaire ayant cours légal au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Symbolisée par le signe £, elle est l’une des plus anciennes monnaies encore en circulation. C’est aussi la quatrième devise la plus traitée sur le marché des changes.

Beaucoup d’investisseurs et banquiers étrangers menacent de quitter le Royaume Uni pour s’installer dans d’autres places financières européennes qui ne sont pas trop distantes : Milan et Rome (MR), Amsterdam (AM), Bruxelles (BR), Zurich et Genève (AG), Frankfurt et Hambourg (FH), Paris (PA) et qui deviennent de plus en plus attractives à l’image des places financières internationales : New York (NY), Tokyo (TK), Singapour (SI), Hong-Kong (HK), Los Angeles et Sans Francisco (LS), Panama (PN), Toronto et Montréal (TM). Elles sont 3.500 institutions financières rien qu’à la City dont JP Morgan qui emploie 16.000 personnes. C’est colossal.

Le plus inquiétant c’est la montée de l’euroscepticisme et des populismes. En effet, 53% des Français, 49% des Suédois, 47% des Espagnols et 45% des Allemands souhaitent un référendum sur le maintien ou non de leurs pays dans l’Europe. L’Écosse, qui a voté pour le maintien, relance l’idée d’indépendance. Les Britanniques vont certainement revenir aux taxes douanières et ériger un barrage aux produits importés.

Le déficit commercial tunisien toujours en faveur de l’Europe

La part du lion des échanges commerciaux de la Tunisie se fait avec l’Union européenne à hauteur de 75%. Ses échanges extérieurs aux prix courants ont enregistré, durant les 5 premiers mois de 2016, une baisse de 2,6 % à l’export et une hausse de 0,8% à l’import.

En valeurs courantes, les échanges commerciaux de la Tunisie avec l’extérieur ont atteint l’année écoulée 27.607,2 MD en exportations et 39.654,8 MD en importations, enregistrant ainsi des variations à prix courant de, respectivement, -2,8% et de -5,7% par rapport à la même période de 2014. La balance commerciale qui profite largement aux Européens est toujours déficitaire et le déficit structurel s’élève à 12.047,6 MD soit 1.095 D par tête de pipe. C’est énorme.

Tous les secteurs d’activités sont à la hausse particulièrement celui du textile, habillement et chaussures (+6,2%) employant une main d’œuvre peu qualifiée et à bon marché (185.000 personnes travaillent dans les industries exportatrices). Seul le secteur des mines de phosphate et dérivés connait une régression inquiétante de 27,5% suite aux nombreuses grèves et sit-in. Ce qui va nous pénaliser aussi bien à l’import qu’à l’export de ces mêmes produits.

Le manque à gagner serait de 5.000 MD presque l’équivalent du budget consacré au développement dilapidé en quelques années particulièrement avec la troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, qui a mis le pays à genoux.

Les effets pervers du glissement continu du dinar tunisien

Avec le glissement continu du dinar atteignant les 48,75% par rapport au dollar et respectivement 26,16% et 29% par rapport à l’euro et à la livre sterling, il est malheureux de constater que des jeunots à peine sorties des grandes écoles de commerce travaillant au Fonds monétaire internationale (FMI), à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) à la Banque africaine de Développement (BAD) ou à la Banque Mondiale (BM) ou aux agences de notation «The Big Three» (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings) nous dictent ce que nous devons faire. Tandis ce que les autorités du pays ferment les portes devant les véritables compétences nationales.

Les investisseurs étrangers opérant dans le cadre de la loi 72 (favorisant les activités industrielles totalement exportatrices) restent les seuls qui tirent profil de la dégringolade du dinar tunisien puisque les transferts des salaires tout comme des dividendes se font en devises étrangères. Ils vont payer moins sur les salaires et gagner plus sur les bénéfices. Avec un écart aussi important sur le taux de change, ils vont également gagner en compétitivité sur le dos des Tunisiens avec la bénédiction des politiques et des religieux.

Les répercussions sur la Tunisie

Dans cet ordre d’idées, je pense que le Brexit n’aura aucune incidence sur le dinar tunisien. D’abord parce que dès 1944 (accords de Bretton Woods), le nouveau système universel est un étalon de change or dont la monnaie clé est le dollar. Ensuite parce que tous nos crédits étrangers sont payables en dollars états-uniens ou en euro et non en livre sterling. Et enfin parce que le volume des échanges avec la Grande-Bretagne est vraiment insignifiant (1,5%).

C’est une volonté politique des grands de ce monde. La petite Tunisie qui ne travaille plus n’a rien à voir là-dedans.

Toutefois, le dinar tunisien continuera à glisser tant que les autorités monétaires du pays ne tiendront pas le taureau par les cornes pour assurer le rééquilibrage de la balance commerciale, la relance de la production et de l’exportation. C’est une question vitale de haute importance pour la croissance économique du pays. A priori personne n’y accorde la moindre importance. Le pays frappé de langueur est livré à lui même sans décideurs et sans gardes fous.

Sans impact palpable sur l’évolution des exportations, la décision unilatérale des autorités monétaires du pays de faire dévaluer le dinar ne fera qu’aggraver l’inflation importée, la dégradation du pouvoir d’achat, la régression de l’investissement local, le déficit de la balance commerciale et l’endettement extérieur.

Faut-il envisager un Tunexit avec l’Union européenne ?

Depuis l’accord de libre échange conclu avec l’Union européenne (1996), l’industrie tunisienne a été totalement massacrée au profit d’une poignée de nantis proches des gouvernements successifs qui veillent sur leurs intérêts propres en important massivement des produits vraiment inutiles.

Vingt ans après, on s’est retrouvé avec 800.000 chômeurs sur les bras. Ils ont inventé de toutes pièces un programme de mise à niveau pour nous espionner et nous filer du matériel obsolète. On a cru naïvement un certain moment que Salah et Belgacem vont se mettre au niveau de Fritz et François ! Bien au contraire, ils nous ont achevés à coups de dumping mortel.

Faut-il arrêter immédiatement les pourparlers engagés depuis peu pour la libération des produits agricoles pour la simple raison qu’ils vont nous asphyxier avec leurs produits génétiquement modifiés et revoir en même temps l’accord de libre échange des produits manufacturés datant de 20 ans en instaurant rapidement des clauses de sauvegarde, en l’amendant ou en le supprimant carrément (Tunexit), tout en rationalisant les importations superflues. Je trouve que c’est jouable. A tout, il y a un commencement.

Le tout devrait être harmonieusement couronné par une bonne réforme fiscale sinon bonjour les dégâts avec les contestations sociales qui s’ensuivront inéluctablement. Les pays qui ne protègent pas, peu ou prou, leurs industries de la concurrence étrangère ne réussissent pas, d’après le FMI lui-même. Tous les gouvernements qu’on a connus après la révolte de 2011 n’ont pas réussi à mettre en œuvre les nombreuses idées pour réformer la Tunisie.

Jusqu’à quand ils continueront à nous appauvrir avec leurs produits industriels et bien d’équipements surfacturés alors qu’ils achètent nos produits manufacturés, agricoles et miniers pour une bouchée de pain rendant notre vie de plus en plus difficile?

Les déroutes ont une vertu, elles donnent une idée claire de ce qu’il ne faut pas faire. L’art de gouverner est de plus en plus difficile en démocratie, il faut la confier à ceux qui le maîtrisent. Jusqu’à présent, aucun des hommes politiques que l’on voit défiler à la télé n’est potentiellement valable. Ce sont tous des médiocres et des opportunistes, et pourtant la Tunisie ne manque pas d’hommes de grand talent pour bien gérer et mieux administrer les affaires publiques en mettant les intérêts supérieurs du pays au-dessus des intérêts des lobbys des rentiers.

* Economiste.

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