Siège de l’Etablissement de la télévision nationale à Tunis.
Le domaine de l’audio-visuel public est un terrain miné où les responsables politiques évitent de s’aventurer. Des réformes drastiques doivent pourtant y être menées d’urgence.
Par Salah El-Gharbi
Après des années de tergiversations, voilà que Khaled Chouket, porte-parole du gouvernement, vient enfin d’annoncer que l’Etat compte statuer définitivement sur le sort des trois institutions médiatiques qui font partie des biens confisqués à la famille de l’ancien président Ben Ali déchu en 2011.
Il s’agit de la cession, par vente aux enchères, de la station de radio Shems FM, qui appartenait naguère à Cyrine Ben Ali, et du groupe Dar Assabah, propriété de Sakher El-Matri, mais aussi de la nationalisation de la radio religieuse Zitouna, fondée par ce dernier, mais qui, compte tenu de sa spécificité, rejoindra l’Etablissement de la radio nationale.
La situation ambiguë des médias du service public
Cette décision tant attendue vient mettre un terme aux spéculations à propos de l’avenir de ces institutions qui ont connu des mouvements sociaux et de véritables crises de management et de gestion. D’ailleurs, dans sa déclaration à la presse, M. Chouket, s’est empressé de rassurer les salariés de ces entreprises en promettant de les faire participer à l’élaboration des cahiers de charges portant sur la liquidation de ces biens.
Toutefois, si l’on ne peut que se réjouir que le gouvernement ait décidé de régler définitivement la situation litigieuse de ces institutions, on ne peut que s’étonner que les autorités ne soient pas pressées de s’attaquer à un dossier plus épineux et plus urgent que celui des biens confisqués, à savoir celui des institutions médiatiques appartenant au service public, aussi bien dans l’audio-visuel que dans la presse écrite, et qui souffrent d’une carence aggravée d’année en année et constituent un fardeau pour les contribuables, leurs comptes étant généralement déficitaires…
Manifestement, le domaine de l’audio-visuel public est un terrain miné où les responsables politiques évitent de s’aventurer. Bien que tout le monde soit conscient de la nécessité de mener des réformes drastiques pour sauver ces institutions de la déperdition, dans un environnement régi par une concurrence assez féroce, personne n’ose se prononcer sur cette question.
Des réformes urgentes toujours reportées
Ainsi, depuis le départ de Ben Ali, et malgré la valse des directeurs à la tête des différentes institutions, on n’a fait que nous bassiner avec des projets de réformes sans lendemain. Sachant que toute réforme du secteur devrait passer inéluctablement par le dégraissage du mammouth et par une meilleure gestion des ressources humaines, tous se sont résignés à s’accommoder du statu quo. Aussi bien les responsables, qui préfèrent la politique de l’évitement, que les employés, jaloux de leurs privilèges, souvent injustifiés, tous semblent unanimes contre toute velléité de changement.
S’il y a urgence, c’est parce que la radio et la télévision d’Etat souffrent d’une crise endémique qui remonte au début même de la création de la télévision, suite à l’ingérence du politique, aux recrutements arbitraires, à la mauvaise gestion des deniers publics, et aux différents types de dysfonctionnement au sein même de ces importantes entreprises… Et cette crise est perceptible à travers la faiblesse du taux d’audience, due essentiellement à la qualité souvent médiocre des produits proposés au public.
Par conséquent, et face à cette situation presque calamiteuse de ce secteur assez sensible, il est temps que le pouvoir lui accorde de l’importance et permette à ces entreprises publiques d’affronter dans de meilleures conditions la concurrence du secteur privé, en plein essor.
Il est temps aussi que les responsables politiques tiennent compte des spécificités de ce secteur et qu’ils comprennent qu’on ne peut plus gérer, en 2016, une télévision ou une radio, des espaces de créativité, comme on gère un service administratif.
‘‘La Presse’’ et ‘‘Assahafa’’ : Une presse d’Etat a-t-elle une raison d’être ?
La réforme, si réforme il y a, doit aussi toucher les deux organes de presse, en l’occurrence, ‘‘La Presse’’ et ‘‘Assahafa’’, propriétés de l’Etat tunisien. Est-il sensé qu’un Etat qui se veut démocratique puisse détenir des journaux? Même si personne ne doute du professionnalisme des journalistes au sein de ces institutions et que ‘‘La Presse’’ semble s’en tirer financièrement tant bien que mal, la menace est toujours là, et ces journaux ont besoin, pour se moderniser et être réellement compétitifs, aussi bien d’investissements que d’une nouvelle stratégie de développement.
Pour protéger ces institutions, on ne peut s’offrir le luxe les garder trop longtemps sous perfusion. Il serait, alors, judicieux de les libérer financièrement et de les engager dans une nouvelle dynamique. Toutefois, pour que cette éventuelle réforme puisse réussir, il serait impératif d’impliquer les femmes et les hommes qui y travaillent dans tout projet de restructuration, en leur garantissant la possibilité de bénéficier, par exemple, de parts dans une éventuelle recapitalisation des deux entreprises.
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