Accueil » Tunisie : De la dictature musclée à l’anarchie

Tunisie : De la dictature musclée à l’anarchie

Manifestations-Janvier-2016

Protestations sociales en janvier 2016.

Que reste-t-il de la Tunisie que nous avons rêvée, le soir du janvier 2011? L’anarchie est-elle en train de succéder à la dictature? Cette crainte est on ne peut plus légitime.

Par Monia Sanekli *

D’habitude, nos débats politiques se tranchent par des allégeances ou un optimisme qui trompe. Ce qui est politiquement convenable et correct n’est plus compréhensible quand la situation est alarmante. Il ne s’agit pas de déformer la réalité pour la rendre correcte mais de bien ouvrir les yeux pour mieux la voir et la corriger.

Il va sans dire que la Tunisie a subi, en janvier 2011, un séisme ou un choc inédit dans son histoire. Peu importe sa dénomination, qu’il s’agisse de révolution ou de complot, de petit désordre ou de chaos généralisé, de construction ou de reconstruction, les résultats sont les mêmes. En faire un bilan est peut être trop tôt, mais fermer les yeux et jouer aux sourds, muets et aveugles serait criminel. Il serait assurément opportun et nécessaire de travailler à bien nommer et bien dessiner le contenu et les contours de ce qui nous arrive en évitant les pièges de l’idéologie, du corporatisme ou de l’intellectualisme pompeux. Questionner le réel et souligner son état de fait, afin de mieux le contrôler, en attendant de pouvoir le changer. On ne peut pas faire changer sans contrôler, or, notre réel nous échappe et est hors contrôle.

Par souci de clarté, on essayera d’exposer notre point de vue d’une manière simple, claire et évidente, comme le voudrait le cogito cartésien et pour ne point avoir besoin d’arguments fallacieux comme le voudrait l’intuition nietzschéenne.

Une situation économique inquiétante :

C’est peu dire que le pays est au bord de la faillite, dont les signes avant-coureurs sont déjà là :
– crédits extérieurs gigantesques et grotesques et un taux d’endettement passé de 40% à 60% du PIB entre 2011 et 2016;
– fuite de capitaux;
– chute alarmante du dinar;
– corruption, évasion fiscale par les grands et les petits entrepreneurs et vol manifeste du contribuable;
– hausse des prix et baisse intenable du pouvoir d’achat;
– fonds et biens acquis de manière souvent arrogante et illégale;
– manque de transparence quant à certaines dépenses de l’Etat;
– baisse inquiétante des investissements étrangers;
– développement sans précédent de l’économie parallèle, de la contrebande et des mafias qui imposent leurs lois;
– baisse du taux de croissance (0,4% attendu cette année);
– creusement des inégalités sociales et augmentation de la pauvreté;
– apparition d’une caste de «nouveaux riches» qui disposent d’énormes fonds sans travailler et sans investir, de l’argent facile, stérile et souvent non-imposable car non-déclaré;
– absence totale d’un programme sérieux ou d’un réel plan d’action pour le redressement de cette situation.

Une situation politique confuse 

La situation politique est encore pire, caractérisée surtout par l’insécurité, l’impuissance du gouvernement, la stérilité des institutions de l’Etat et surtout les conflits de pouvoir qui finissent par devenir le seul souci du gouvernement. Enumérons les maux :
– un système presque totalement effondré ou tout individu est un «Etat» en soi, un total chaos du «tous contre tous» et que «le plus fort gagne», où la citoyenneté est devenue en danger sinon inexistante;
– une menace terroriste quasi permanente et de plus en plus banalisée;
– des partis politiques vaguement démocratiques transformés en groupes fantoches engagés dans la course aux postes et aux privilèges;
– un gouvernement déchiré, impuissant et conflictuel par l’aveu même du chef de l’Etat lui-même;
– un parti islamiste qui domine le processus de choix et de prise de décisions;
– un Etat totalement infiltré par les islamistes dont l’incompétence est incommensurable;
– une médiocrité politique qui règne ipso facto au plus haut niveau de l’Etat;
– un effacement des valeurs politiques et des contradictions idéologiques, la droite se substituant à la gauche et vice et versa;
– un triomphe du pragmatisme sauvage et sans scrupules;
– une société civile atrophiée ou partisane, donc inutile et inefficace;
– des députés engagés dans des conflits d’intérêts et des usages d’influences;
– une diarrhée de liberté d’expression qui ne tient plus du «droit humain» mais trahit une «conscience altérée» et génère le chaos;
– une UGTT transformée en parti politique, réclamant le pouvoir et en totale déviance avec sa tâche syndicale originaire;
– une justice phagocytée par les groupes d’intérêt et largement corrompue;
– une impunité et un banditisme qui règnent au plus haut niveau de l’Etat.

Que reste-t-il de la Tunisie que nous avons rêvée, un certain janvier 2011? Que reste-t-il de la Tunisie que nous avons tous connue, mieux tenue, équilibrée et plus soucieuse de justice, même sous la dictature de Ben Ali?

* Docteur agrégée en philosophie.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!