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L’affaire du Doyen de la Faculté de médecine de Tunis n’est pas finie

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L’auteur de ce droit de réponse, étudiante en médecine, affirme que le procès l’opposant au Doyen de la Faculté de Médecine de Tunis (FMT) «est loin d’être fini» ?

Par Salsabil Zaghdoud *

Dans un article mis en ligne le 27/07/2016 sur votre site, vous avez fait paraître un article sous le titre «Devant un tribunal pour… avoir respecté la Loi» qui reprenait une lettre ouverte du doyen de la faculté de médecine de Tunis dans laquelle il informait l’équipe pédagogique de la faculté de la plainte que j’ai déposée contre lui.

En réponse à cette publication je souhaite porter à la connaissance de vos lecteurs les éléments suivants:

J’ai effectivement déposé plainte entre les mains du Procureur de la République contre le refus du Doyen d’exécuter l’arrêt rendu par le tribunal administratif de Tunis le 30 octobre 2015 ordonnant le sursis à l’exécution de la décision de rejet de ma demande de mutation.

Si cette plainte a été déposée contre un agent public dans l’exercice de ses fonctions, c’est parce que malgré tous les recours gracieux exercés, la seule voie qui me restait pour préserver mon droit à l’enseignement était d’engager un recours contentieux devant la justice de mon pays.

Si cette plainte a été déposée et acceptée par le Procureur de la République(1), c’est bien parce que le Doyen a refusé d’exécuter une décision du Tribunal administratif qui, constatant des irrégularités dans les procédures de mutations en a ordonné la suspension de l’exécution. Dois je rappeler que les décisions du Tribunal administratif s’appliquent à toute l’administration jusqu’au Premier ministre(2) ?

Malgré une lettre-pétition de plus de 70 députés, de tous bords politiques confondus, dans laquelle ils appelaient le ministre à faire exécuter cette décision, malgré le soutien de nombreuses associations qui considéraient que la procédure de mutation n’avait pas été transparente, honnête et loyale, le Doyen a refusé d’appliquer la loi.

Si cette plainte a donné lieu à un procès public, c’est bien parce que le Procureur de la République, après une enquête de la police judiciaire, considérait que l’infraction était constituée.

Alors, oui, j’affirme que dans ma Tunisie, après la Révolution du 14 janvier, il n’y a plus de «caste» qui serait au-dessus de la loi. Il est normal qu’un fonctionnaire rende des comptes lorsque des erreurs, des injustices ont été commises. Le Doyen de la faculté de médecine est un citoyen, comme je le suis, nous sommes donc égaux devant la loi.

Je me dois, à ce stade de ma réponse, d’apporter quelques éléments me concernant.

Je me prénomme Salsabil Zaghdoud, j’ai 22 ans, je suis Franco-tunisienne. Après ma naissance et des études en France, je me suis installée en Tunisie où j’ai poursuivi mes études en 1ère année secondaire.

L’année dernière, j’ai été admise en 3e année de médecine, sans affectation universitaire.

Au cours de ma scolarité, je me suis efforcée de donner le meilleur de moi-même malgré les difficultés et en particulier celle de devoir m’adapter à un système d’enseignement complètement nouveau pour moi.

Je n’ai pas ménagé mes efforts pour les surmonter. Après avoir obtenu mon baccalauréat tunisien, j’ai donc passé le concours de réorientation et j’ai été admise à la faculté de médecine de Monastir.

Alors que mes parents résidaient à Tunis, j’ai accepté comme beaucoup de quitter le cocon familial pour suivre mes études à Monastir. Forcée de constater que ce nouveau déracinement après celui de mon installation en Tunisie ne m’a pas permise d’entamer mes études sereinement. C’est la raison pour laquelle, j’ai souhaité bénéficier d’une mutation vers la FMT à l’issue de ma 2e année.

J’ai toujours cru en la méritocratie républicaine que ce soit en France ou en Tunisie et mon parcours le démontre.

A aucun moment de ma scolarité, je n’ai eu à bénéficier de «passe-droit» ou de «piston». C’est pour ces raisons que face à ces irrégularités dans l’examen des dossiers de mutations, j’ai décidé de me battre contre cette injustice flagrante.

A la suite de ma plainte devant le Tribunal administratif contre la décision du ministre de l’Enseignement supérieur de rejet de ma demande de mutation, le tribunal a, dans son arrêt du 30 octobre 2015, fait droit à ma requête en ordonnant au ministre la suspension de sa décision.

En application de cette décision, le ministre de l’Enseignement supérieur a adressé au Tribunal administratif un courrier en date du 30 novembre 2015 indiquant qu’il enjoignait au Doyen de la Faculté de m’inscrire dans son établissement. Dans sa réponse, le Doyen a justifié son refus en arguant du fait que mon inscription tardive perturberait l’organisation des cours et des examens…

Pourtant, le Doyen indiquera lors de son procès qu’une nouvelle commission s’était réunie le 8 février 2016 pour statuer sur les demandes de mutations alors même que les étudiants étaient déjà affectés à Tunis et avaient déjà passé leurs examens en janvier 2016!

On notera tout d’abord qu’il aura fallu la tenue d’un procès public pour apprendre qu’une 2e réunion avait été organisée mais que surtout cette commission s’est tenue sans la publicité indispensable à la régularité de la procédure.

En effet, les conclusions de cette commission ne m’auront été communiquées que le 20 juillet 2016 à l’audience du tribunal cantonal de Tunis. De plus, le Doyen estimera dans sa lettre que la 2e commission, confirmant les résultats de la réunion initiale (31 août 2015) a été validée par le ministre et par conséquent que ces décisions étaient régulières.

Je dois préciser à vos lecteurs que le Tribunal administratif aura, à statuer sur le fond de mon recours en excès de pouvoir, et appréciera, sûrement, le moment venu, ce «tour de passe-passe».

Car, cette affaire est loin d’être finie. En effet, les soupçons d’irrégularités étant susceptibles de constituer un délit de corruption, ils ont été portés à la connaissance de l’instance nationale de lutte contre la corruption, par deux associations tunisiennes spécialisées. L’instance nationale a décidé d’ouvrir une enquête.

Si je m’obstine à me battre c’est parce que depuis un an, je vis recluse chez moi car empêchée de suivre mon cursus universitaire par la seule volonté d’un doyen. Je vis cette souffrance au quotidien comme un calvaire. Mon moral est au plus bas et les conséquences psychologiques de cette injustice sont très importantes. Ma famille n’est pas épargnée par ce traumatisme et le coût de ce préjudice moral et financier devient insupportable.

Si je m’obstine à me battre c’est au nom de ces centaines de familles qui sont dans la même situation et qui n’ont pas pu engager d’actions judiciaires.

Pour cela, je puise la force de me battre dans le soutien de ma famille et de mes amis. Je mènerai ce combat, aussi long et difficile soit-il, jusqu’au bout, pour faire respecter la loi.

* Etudiante en médecine.

Notes :
1) En application de l’article 315-1 du Code Pénal, «sont punis de quinze jours d’emprisonnement et de quatre dinars huit cent millimes d’amende: ceux qui ne se conforment pas aux prescriptions des règlements et arrêtés pris par l’autorité compétente».
2) L’article 11 de la Loi n° 72 – 40 du 1er juin 1972, relative au Tribunal administratif, dispose que «l’inexécution volontaire des décisions du Tribunal administratif constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l’autorité administrative en cause.»

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