Le Front populaire est traversé par des divergences profondes qu’une simple rencontre entre Youssef Chahed et Mongi Rahoui a fait éclater au grand jour.
Par Salah El-Gharbi
Les consultations entreprises par Youssef Chahed, le chef de gouvernement désigné, ne cessent de provoquer des remous au sein de la classe politique. Depuis une semaine, tous les regards sont braqués sur Dar Dhiafa, à Carthage, scrutant le ballet incessant des invités, venus présenter au futur locataire du palais de la Kasbah leurs visions et leurs propositions pour réformer le pays et le faire sortir du marasme dans lequel il se trouve.
La gauche radicale a-t-elle une place au gouvernement?
Vue la variété des horizons politiques auxquels appartiennent les invités, on ne peut que deviner le pari fou de M. Chahed, qui consiste créer un gouvernement à large spectre politique, qui dépasserait le cadre des signataires du «Document de Carthage», qui ont participé aux consultations pour la constitution d’un gouvernement d’union nationale, à l’initiative du président de la république Béji Caïd Essebsi.
Ainsi, conscient que le pays ne peut être gouverné sans que la gauche, dans sa représentation la moins radicale, n’y soit associée, le chef du gouvernement désigné s’est empressé, d’abord, de solliciter la participation d’Al-Massar dans le prochain gouvernement, mais ce parti, bien que signataire du «Document de Carthage», a préféré prendre ses distances.
Mohamed Jmour, Mongi Rahoui et Zied Lakhdar.
C’est dans cette perspective que s’inscrit l’invitation adressée au député Mongi Rahoui, une des importantes figures du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad) et du Front populaire (FP), qui provoque, depuis plusieurs jours, des réactions aussi bien à gauche qu’à droite. Si à droite, on reste sceptique, ne voyant pas l’intérêt d’un tel appel du pied, à gauche, la possibilité que M. Rahoui fasse partie de la prochaine équipe gouvernementale suscite l’embarras des uns et l’indignation des autres.
Plusieurs membres du Watad se sont déjà exprimés sur cette brûlante question, qui les met dans l’embarras face à un «camarade» qui se la joue solo. Zied Lakhdar, le secrétaire général de ce parti de la gauche radicale, a été laconique à ce sujet, alors que son camarade, Mohamed Jmour, s’est montré, lundi, plus véhément, condamnant le choix de Rahoui. Le Parti des Travailleurs, autre composante importante du FP, il a insisté, quant à lui, sur le caractère «individuel» de l’initiative du «camarade» Rahoui.
Mongi Rahoui rompt le pacte sacré des camarades
Si l’entrée de Mongi Rahoui au gouvernement se confirmait, elle serait ressentie comme une véritable trahison par les «frontistes», laisserait des séquelles au sein de cette coalition de gauche et pourrait même compromettre son fragile équilibre établi par l’alliance entre les deux plus puissantes formations politiques rivales qui en constituent les deux béquilles. Les dirigeants du Front ne pardonneraient certainement jamais au «renégat» d’avoir rompu le «pacte sacré» qui consiste à tourner le dos à l’alliance avec les ennemis idéologiques, Ennahdha et Nidaa, les islamistes et les libéraux réunis dans une coalition gouvernementale.
Toutefois, et malgré les prises de positions de Lakhdar et de Jmour, les observateurs savent, depuis longtemps, qu’au sein du FP, le Watad et le Parti des Travailleurs n’ont pas la même stratégie vis-à-vis du pouvoir. En effet, et contrairement aux camarades de Hamma Hammami, les Patriotes démocrates font preuve de plus de souplesse tactique et ne rechigneraient pas à s’associer à un éventuel «gouvernement d’ouverture», si tant est que ce dernier se montrerait ouvert à leurs thèses.
L’entrée de Mongi Rahoui au gouvernement pourrait contrarier la stratégie de conquête du pouvoir de Hamma Hammami.
La tactique de l’opposition radicale
Les deux formations ont plus de divergences qu’on ne le pense, même si leurs dirigeants se font souvent prévaloir d’une unité de façade. Ils n’ont pas, en tout cas, le même agenda politique. L’objectif de Hamma Hammami, qui croit encore en ses chances, reste les présidentielles de 2019, et pour les réussir, il faudrait que le FP continue sur sa ligne dure, stigmatisant l’actuel pouvoir, en comptant sur son éventuel échec pour surfer sur le mécontentement anti-islamistes et des déçus de Nidaa et de Béji Caïd Essebsi pour se présenter comme une alternative crédible. C’est pourquoi, le Front, avec son aile la plus «active», se prépare déjà à mener la vie dure au prochain gouvernement. Dans ce contexte, la présence d’un «Frontiste» dans ce gouvernement, sous quelque prétexte que ce soit, serait l’erreur monumentale à ne pas faire.
Enfin, et au-delà des ambitions politiques de M. Hammami, la survie du Front semble définitivement liée au choix tactique de l’opposition radicale, le seul capable, selon ses dirigeants, de fédérer et de fidéliser toute une partie de l’électorat acquise aux vieilles idées de la gauche et qui risquerait de s’étioler si cette formation politique cédait à d’improbables compromis. Ce choix est-il viable à moyen terme ? Ne risque-t-il pas d’installer un doute chez l’électorat quant au sérieux des Frontistes et leurs capacités de gouverner ?
Cette crainte est légitime et seules les prochaines échéances électorales nous apporteront la réponse.
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