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Discours (imaginaire) d’investiture de Youssef Chahed

Youssef-Chahed-Parlement

Le discours que ne prononcera pas le chef de gouvernement désigné, Youssef Chahed, qui s’apprête à solliciter la confiance de l’Assemblée. Les vérités, on le sait, sont indicibles.

Par Yassine Essid

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

A l’épreuve des faits les figures se brouillent. La formation de ce gouvernement, que je soumets aujourd’hui à votre approbation, a été bel et bien une épreuve d’endurance et de force d’âme.

Ce résultat, incarné aujourd’hui par ces rangées de novices jetés brutalement dans l’impitoyable arène politique et qui ne seraient rien hors de leurs costumes sombres, tient du prodige. Je viens d’en faire l’amère expérience. Les douces perspectives que laissait poindre ma nomination tant rêvée qui annonçait des années de plénitude, disparurent derrière moi. La réalité des choses a fait perdre à mes rêves leur puissance et leur relief.

J’entrais progressivement dans une vie d’isolement absolu exposé que j’étais, durant de longues et éprouvantes consultation, aux vaines surenchères, aux revendications déraisonnables et à la démagogie des représentants des partis, alors que je croyais naïvement que face à l’urgence des problèmes à régler et la gravité de la situation du pays, les frontières idéologiques s’aboliraient entre les diverses parties prenantes.

L’expérience débilitante du traitement des candidatures proposées et le processus de sélection des centaines de CV me donnèrent le sentiment d’être un vulgaire professionnel des ressources humaines et la composition du futur gouvernement un nouveau gadget de la politique de recrutement d’une entreprise.

Comme vous le savez tous, mon ascension fulgurante à cette fonction a été largement controversée. Certes, je suis un célèbre inconnu doublé d’un néophyte en politique. Mais j’ai été à bonne école, celle de mon ami Hafedh Caïd Essebsi qui a emprunté le même chemin que le mien et qui incarne à lui seul le renouvellement des générations. Qualifié de «fils à papa», voire de «simplet» qui ne maîtrise rien, il s’est hissé grâce à son sens politique et à la subtilité de ses analyses à la tête du parti familial.

J’insiste par ailleurs sur la question de la gestion patrimoniale et clanique du pays ainsi que ma soi-disant lointaine parenté aux Caïd Essebsi. Ce ne sont là que de malveillantes allégations. Car n’avons-nous donc pas tous des ancêtres communs bien que nous ne soyons pas identiques? L’anthropologie biologique a montré en effet que nous ne sommes que le fruit d’une grande loterie génétique et ceux qui se ressemblent physiquement peuvent ne pas se ressembler du tout génétiquement, et réciproquement.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Au moment où s’ouvre, comme je l’espère, une page nouvelle de l’histoire de la Tunisie, le cœur plein d’espoir et la volonté inébranlable, mes pensées vont d’abord à mes prédécesseurs dans cette fonction qui, malgré leurs tristes bilans, leur dissimulation de la réalité, les inquiétudes d’avenir, les misères et les peines qu’ils m’ont léguées et dont je me retrouve aujourd’hui accablé, se sont eux aussi sacrifiés pour le bien du pays.

Cependant, je ne compte nullement défaire ce que mes précurseurs ont fait et faire ce que d’autres déferont. Voilà bien le type de politique que les Tunisiens abhorrent par-dessus tout.

Mes pensées s’adressent naturellement à mes compatriotes au chômage ainsi qu’à ceux qui sont en proie à tant de difficultés de l’existence et qui demeurent ingénument persuadés que les changements de gouvernements génèrent inévitablement plus d’emplois et plus de prospérité.

Tout malheureux que je suis, je reste toutefois convaincu que la politique insufflée par le Grand Timonier, l’initiateur de «l’Accord de Carthage», sera conforme aux principes qu’il n’a jamais cessé de proclamer : tolérance, justice, progrès, cohésion et solidarité. Tous les ministres qui siègent sur ces bancs y sont acquis.

Je crois pour ma part qu’une certaine forme de clivage politique a vécu. Les Tunisiens ont fini par ne plus croire à la politique, ni aux politiques, encore moins à toute forme d’alternance parce qu’ils ont évolué plus rapidement que n’ont su le faire les grands commis de l’Etat qui sont restés prisonniers des modes de gouvernance et d’idéologies éculées.

Aujourd’hui tout va trop vite, plus vite que les idées des gouvernements qui ne connaissent des réalités que ce que veulent bien leur faire croire les statistiques et ne mesurent aucunement les problèmes des gens ni leurs aspirations réelles.

A quoi cela tient-il? Avant tout aux privilèges matériels d’une fonction qui a pourtant perdu de son prestige : voiture avec chauffeur, salaire confortable, et bien d’autres avantages y afférant.

Pendant ce temps, hommes et femmes se soucient chaque jour de leur avenir et celui de leurs enfants, souffrent de la cherté de la vie, de l’exiguïté de leur logement, de l’effondrement du système éducatif délivré à leurs enfants à l’école aussi bien qu’à l’université, de la délinquance, de la corruption à tous les échelons, de l’incivisme, de l’atteinte à l’environnement, et bien d’autres maux. Dans tous ces domaines, la lutte s’annonce longue, difficile, ponctuée d’échecs et décourageante.

Le déni de la réalité empêche de réformer l’Etat. Aussi ai-je décidé, grâce à l’appui moral de mes deux mentors, «Si El-Béji» et le «Cheikh Ghannouchi», de procéder à un certain nombre de réformes qui n’attendent que votre appui pour se réaliser dans les faits.

Un ministre doit être avant tout un homme ou une femme de terrain, connaissant bien les réalités du pays, mesurant bien les conditions de vie de ses compatriotes, anticipant leurs aspirations réelles.

Pour ce faire, je compte supprimer leurs grandes berlines de fonction, les chauffeurs et les serviteurs et de les encourager, autant que faire se peut, à utiliser leurs propres véhicules ou bien les transports publics. De même que leur salaire sera identique à celui qu’ils percevaient avant d’entrer en fonction. Ils seront soignés dans les hôpitaux publics et feront en personne les insoutenables démarches auprès de l’administration. Car plus on est proche du citoyen, plus on est conscient de la réalité des problèmes, plus on est à l’abri de la colère et de la vindicte populaire.

L’intérêt d’une telle décision aura au moins le mérite d’éviter à mes successeurs les indécentes bousculades que j’ai vécues pour le partage des portefeuilles ministériels. On verra alors combien de candidats aspireront encore à servir l’Etat pour assurer la promotion de la vertu dans la conduite des affaires du pays.

J’ai également décidé de supprimer le conseil des ministres, devenu une véritable foire aux cancres, pour le remplacer par des conseils interministériels restreints.

La religion étant avant tout une affaire relevant de la sphère privée, j’ai décidé de réduire progressivement toute intrusion du religieux dans l’espace public. Les prières ostentatoires accomplies aux abords des mosquées seront interdites de même que l’usage des hauts parleurs ainsi que l’inadmissible interruption des programmes par la radio et la télévision pour lancer l’appel à la prière.

Il est évident qu’aucune loi n’abolira jamais le droit de grève. Cependant, les actions collectives engagées sans préavis, les revendications intempestives, voire futiles, les occupations des lieux de travail et les entraves à la liberté du travail et de la circulation, seront lourdement sanctionnées avec ou sans le consentement des syndicats qui aspirent, par une arrogance désormais inadmissible, à devenir un Etat dans l’Etat et à décider de la politique du gouvernement.

De même qu’il est grand temps de revoir la politique de lutte anti-corruption. Désormais toutes ces pratiques qui sapent les institutions démocratiques, ralentissent le développement économique et contribuent à l’instabilité gouvernementale, seront considérées comme des crimes contre l’Etat et sanctionnés en tant que tels.

Mesdames et Messieurs,

Je me suis, dans cette déclaration, soigneusement abstenu de toute mise en cause, de toute insinuation. Cependant, il est de notre devoir de prendre en compte un certain nombre de facteurs. En fait autant d’écueils qui, en se conjuguant, paralysent toute résolution et toute réforme.

Le premier facteur relève de la réalité générale du pays, qui a atteint un seuil de rupture avec tous les principes de la démocratie, de la citoyenneté, de la soumission à la loi et du respect de l’autorité. Or, pour réussir à développer une gouvernance démocratique durable, remettre les choses à l’endroit et les Tunisiens dans le droit chemin, il faudrait inscrire l’action politique dans une perspective à long terme qui ne peut en aucune façon être tributaire d’un gouvernement promis à une vie brève et chahutée. Rien ne serait plus contraire aux leçons que nous a enseignées, à sa manière, notre guide à tous, Béji Caïd Essebsi.

En tant que futur Premier ministre, mon propos sera jugé sans doute sévère. C’est parce qu’il émane avant tout d’un citoyen dont l’enthousiasme est entier et l’espoir intact. Un citoyen qui a peut-être la naïveté de croire avoir compris les réalités du monde, de l’économie, de la société, de la culture; convaincu que son modèle redressera le pays. Bref, qui réclame que vous accordiez votre confiance à des inconnus tout en présumant que ce pays est encore vraiment gouvernable.

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