Des instructeurs militaires américains forment des soldats tunisiens à Bizerte.
Une présence armée américaine sur le sol tunisien vient d’être confirmée par le très officieux ‘‘Washington-Post’’ dans sa livraison du 26 octobre 2016. Décryptage.
Par Jomâa Assâad *
Ce n’est plus un scoop ni un dossier classé «secret défense»… Ergoter sur la forme de cette présence : camp d’entraînement, centre d’assistance technique et logistique, mission médicale, antenne de surveillance électronique… ou, plus logiquement, poste de commandement d’opérations militaires, ne présenterait que peu d’intérêt au regard des errements de nos dirigeants politiques. Ce qui est véritablement vital pour notre pauvre Tunisie ce serait de connaître la mission de pareille implantation militaire.
Un Etat de moins en moins crédible, s’agissant de ce dossier notamment, accule tout analyste à rassembler les pièces disparates du puzzle pour aboutir à des conjectures que d’aucuns pourraient tenir pour de «la science-fiction». Une fois n’étant pas coutume, nous souhaiterions véritablement que s’en soit une. Pourtant, les faits sont têtus… et révélateurs.
Une si vieille histoire
Les pressions américaines visant à s’implanter militairement en Tunisie remontent à des décades, plus précisément depuis que la France métropolitaine, rongée par ses crises endémiques, a perdu en Afrique du Nord son aura. Bourguiba a pu y opposer son veto. Ben Ali, davantage redevable à l’oncle Sam, a louvoyé, au prix de menu services, pour, en fin de compte, connaître le même sort que celui qu’il avait réservé à son prédécesseur… Ses ex-collègues l’acculant à une retraite mystique pour se découvrir en nos pieux islamistes de nouveaux camarades de jeu.
Militaires tunisiens et américains dans une base de Bizerte.
L’ancien chef de gouvernement provisoire, le Nahdhaoui Ali Larayedh, catapulté en ces fonctions à la faveur des remous occasionnés par l’assassinat de Chokri Balaïd, réussit à convaincre l’anti-impérialiste, Moncef Marzouki, président non moins provisoire de la république, de réserver une aire de jeu aux Marines, décret présidentiel plaçant une partie du sud tunisien sous contrôle militaire faisant foi. Le 23 novembre 2013, M. Larayedh, suite à des pourparlers qu’il eut avec le général David M. Rodriguez, patron de l’Africom (Commandement des États-Unis pour l’Afrique), engagea, au nom d’Allâh, l’Etat tunisien à coopérer en vue de l’installation d’une base militaire au sud tunisien.
Le 20 mai 2015, ce fut au tour de Mohsen Marzouk, patriotiquement «coaché» par le célébrissime Freedom House, de parfaire le processus en cosignant avec John Kerry, avec l’aval et en présence du président de la république Béji Caïd Essebsi (BCE), un mémorandum d’entente autorisant l’accès du Pentagone à la base tunisienne. Le paragraphe y afférent fut innocemment oublié par la délégation tunisienne à Washington… jusqu’à ce que le ‘‘Washington Post’’ rende à César ce qui lui appartient. Le président de la république, pas véritablement à son aise dans la langue de Shakespeare, n’a, sans doute pas relevé la réelle portée du paragraphe négligemment relégué en toute fin du document, à la manière d’un vulgaire post-scriptum. A moins que cela n’ait été prémédité par les deux parties, M. Caïd Essebsi y compris.
John Kerry et Mohsen Marzouk signent le mémorandum d’entente entre la Tunisie et les Etats-Unis.
Face à l’horreur daéchienne
Certaines têtes bien-pensantes se féliciteront, «political reality» en bandoulière, qu’avec leur base militaire US bien à eux, les Tunisiens, jouant désormais dans la cour des grands, sont entrés de plain-pied dans le très select pub de la mondialisation. D’autres, agitant l’étendard moderniste, voire même post-moderniste, crieront au devoir national de combattre l’horreur daéchienne, qui est, comme nous le savons tous aujourd’hui, aux antipodes des services secrets américains. Il n’est pas jusqu’aux juteuses royalties en découlant qui ne feront saliver plus d’un, partenaires privilégiés de la «success story» que nous serons universellement reconnus. Et monsieur Néji Jalloul pourra à juste titre se targuer, précurseur visionnaire, d’avoir initié un mouvement anglophone augurant d’une bienheureuse américanophilie.
A cette admirable «French cancan», un bémol cependant. La zone de sécurité décrétée par M. Marzouki, unique point d’accord entre ce dernier et BCE, semble-t-il, s’étend davantage côté algérien que côté libyen. Les Daéchiens libyens serait-ils à ce point déboussolés qu’ils confondraient, dans leur inévitable débâcle, la lointaine Nefta, frontières sud-ouest, avec la toute-proche Ben Guerdane, frontières sud-est ?!
Au reste, les autorités françaises, sacrifiant une fois de trop à l’humour noir, ont tenu, carte géographique à l’appui, à mettre en garde leurs ressortissants contre les éventuels dangers encourus côté algérien bien plus que côté libyen. A moins d’envahir la Tunisie dans son intégralité, nous voyons mal les Daéchiens se retrouver parachutés à Sakiet Sidi Youssef, ville frontalière située au nord-ouest de la Tunisie !
Alors, messieurs de la politique, pour peu que vous éclairiez plus avant notre lanterne, nous vous serions presque reconnaissant des sacrifices auxquels vous nous aviez si patriotiquement invités dans votre exemplaire loi des finances 2017. Nous serions, au moins, aussi rassurés que nos bienfaiteurs américains, aux craintes desquels la présidence de la république a consacré tout un communiqué officiel les éclairant sur le fait que le chèque en blanc signé à leur profit par M. Marzouk, ès qualité, n’était pas en bois.
Au bout du compte, ne seraient-ce pas les Tunisiens, commettant, en la circonstance, un haut fait historique, qui vous ont élus ?!
* Universitaire.
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