Charles-Ferdinand Nothomb, ancien vice-Premier ministre belge et ancien ministre des Affaires étrangères, personnalité active dans la société civile européenne, est en visite à Tunis pour trois jours.
Propos recueillis par Imed Bahri
Le centre d’intérêt de Charles-Ferdinand Nothomb est de promouvoir l’activité de la société civile dans le développement du monde rural. Un sujet sensible pour la Tunisie née en 2011. Son intérêt englobe aussi la coopération euro-méditerranéenne et avec le monde arabe. Sa préoccupation est aussi l’immigration et la suite de morts, jeunes en particulier, en Méditerranée et il souhaite contribuer à enrayer cette tragédie en appelant à prêter davantage attention aux jeunes et aux femmes dans a ruralité. M. Nothomb est en visite au titre de président de la Fondation du Dialogue Sud-Nord Méditerranée.
Kapitalis : Que proposez-vous M. Nothomb ?
Charles-Ferdinand Nothomb : Dans l’esprit de notre action en direction de la société civile et en particulier des jeunes et des femmes dans la ruralité, le «lieu» Tunis est triplement symbolique. C’est la ville ou nous avons traité, lors de notre congrès de 2012, de l’idée de fond, qui marque la nécessité de coopérations entre la société civile et les autorités, et vice versa.
La Tunisie est aussi le pays de la révolution; elle est vue de l’extérieur comme un modèle de construction citoyenne qui a permis une transition sans guerre civile ni troubles marquant, l’écriture d’une Constitution imparfaite mais la meilleure dans le monde arabe, la normalisation des relations avec les mouvements islamistes et, enfin, parce que cette révolution est partie d’un jeune, d’une région rurale oubliée. Ce fait a manifesté aux yeux du monde la nécessité de ne plus les laisser en marge, les jeunes comme les régions.
La marginalisation, l’absence de perspectives positives, de programmes d’équipement, de plan de développement soutenu par une autorité locale dialoguant avec la société civile locale, le découragement des sociétés civiles locales ne trouvant pas sur place d’autorités capables de prendre avec elles les décisions nécessaires et d’obtenir du pouvoir central les moyens nécessaires, provoque l’exode vers des villes qui ont déjà leurs problèmes, ou au-delà des côtes, au prix de risques insensés en traversant la mer.
Vous avez été ministre des Affaires étrangères quand l’Europe avait pris conscience de son intérêt à coopérer avec le monde arabe et la Méditerranée, comment évaluez-vous les bouleversements en cours?
Il y a toujours eu en Europe un souhait de coopérer avec le monde arabe, mais il n’y a pas eu toujours la bonne manière.
L’Europe a abandonné le cadre du dialogue euro arabe pour se focaliser sur la coopération méditerranéenne. Cette relation est bloquée, en raison des conflits de l’est méditerranéen qui empêchent un dialogue apaisé avec des vues communes, sur le long terme.
Le dialogue sud-nord ou la coopération ‘‘5+5’’ (entre les pays de la Méditerranée occidentale), évite cet écueil et doit donc être privilégié.
Dans le cadre sud-nord, qui forme l’axe de travail de la Fondation que j’ai l’honneur de présider, nous œuvrons pour la recherche d’un véritable partenariat sur un pied d’égalité, inspiré aussi bien de la rive sud que nord. Un tel dialogue doit respecter les particularités de chacun,
On peut rêver aussi d’un ensemble euro-maghrébin respectant les spécificités et les volontés nationales et, les calendriers nationaux comme la spécificité de l’Union européenne (UE), avec 28 États membres, de n’avoir pas toujours la souplesse d’adaptation voulue.
Comment jugez-vous la montée des forces isolationnistes au nord (extrême droite nationaliste) et au sud (extrémisme religieux) ?
Au nord, il y a une montée de l’insatisfaction contre les systèmes politiques ressentis comme trop éloignés du citoyen malgré le respect des principes démocratiques et un sentiment d’insécurité face aux migrations mal gérées.
Au sud, l’équilibre contenu dans la Constitution tunisienne, respectant la laïcité de l’Etat et le respect des religions, est loin d’être trouvé partout, où s’organisent des mouvements hostiles à l’ordre établi. Tout cela doit être dépassé par des réformismes équilibrés.
Sans nier les problèmes, nous devrions tous nous atteler à les résoudre dans la coopération et le respect mutuel. À commencer, dans chacun des pays, au Nord comme au Sud, par le respect du jeu démocratique. La coexistence civique est la clé.
On souligne aujourd’hui le poids de la mondialisation, comment éviter qu’il creuse davantage un développement économique encore inégal ?
La mondialisation, les échanges et la concurrence sont sources de progrès économiques mais les transitions sont nécessaires, les États doivent y aider par des réglementations visant à faire respecter les règles de concurrence par les partenaires et éviter l’écrasement des petites entreprises, ou les économies encore fragiles, par des monopoles, surtout dans des secteurs qui nourrissent la culture locale. C’est ce que nous essayons de faire avec le marché commun européen. La Tunisie, dont l’Europe est le principal partenaire économique, principal s’associe progressivement à ces règles au titre de l’ancrage au marché et c’est un pas dans la bonne direction pour contenir les effets de la mondialisation.
La question migratoire occupe les esprits et préoccupe fortement. Quel serait le moyen le plus juste pour une maîtrise des flux migratoires qui soit humaine?
Il faut relativiser la façon dont on perçoit le problème, lequel nourrit il est vrai des sentiments douteux. Il y a certes, en Europe, un fort courant d’hostilité dans une partie de la population, mais il y a aussi un grand sentiment de solidarité pour accueillir les migrants, qu’ils soient réfugiés de guerre ou émigrés économiques.
Le tort, à mon avis, est que ces flux sont incontrôlés, non prévus. Les organiser aurait suscité moins de peur au Nord, et moins d’exploitation par des trafiquants de détresse, et d’accidents mortels dans des embarcations de fortune.
Les pays du sud de la Méditerranée font face aussi à l’arrivée d’émigrés de pauvreté venant du Sud-Sahara. Y faire face est une obligation commune pour les recevoir dignement. Nous devons nous épauler, notamment pour aller à la source du problème et surtout de diminuer la pauvreté dans les régions rurales du nord de l’Afrique et du Sahel.
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