Le passage de Sihem Bensedrine, présidente de l’IVD, devant l’Assemblée était très attendu, mais le débat a été biaisé. Mauvais signe pour la suite…
Par Noura Borsali *
Le débat budgétaire relatif à l’Instance Vérité et Dignité (IVD) ne s’est pas déroulé sans remous. Plusieurs interventions ont fait état de son fonctionnement et de sa gestion contestés tout en exprimant leur soutien au processus de justice transitionnelle vu comme un des piliers importants de la transition démocratique que vit actuellement notre pays.
En dehors de quelques interventions posant les vraies questions relatives à l’IVD, il a manqué, sous le toit de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), l’objectivité et l’analyse ainsi que des recommandations qui auraient été, pourtant, utiles à l’instance.
L’IVD, fer de lance d’Ennahdha
Des députés, surtout ceux appartenant au parti islamiste Ennahdha, ont confondu sciemment le processus de justice transitionnelle, l’IVD et sa présidente. On y a joué – chose grave – sur la question des victimes, sur leur propre victimisation et les sentiments des téléspectateurs pour éluder les vraies questions qui se posent à propos de l’IVD et montrer que le processus de justice transitionnelle est mis en danger. D’où toute critique de l’IVD, constructive soit-elle, suscite, pour ces mêmes députés, suspicion et est assimilé à une remise en cause du processus.
Le parti nahdhaoui a défendu bec et ongles et sans aucun discernement la présidente de l’IVD confondant sa personne avec le processus de justice transitionnelle en dépit des griefs qui sont reprochés à sa gestion de l’instance et aux auditions publiques que des voix ont trouvées dirigées, partisanes et ne répondant pas aux critères qu’imposent ces témoignages…
Par ses prises de positions ne comportant ni critiques constructives, ni recommandations, le parti Ennahdha a prouvé qu’il fait de l’IVD son fer de lance, altérant ainsi l’indépendance de cette dernière telle que consignée dans le texte de loi relatif à la justice transitionnelle et que, pourtant, bon nombre parmi ses militants ont voté à l’Assemblée nationale constituante (ANC).
Cette complaisance est dangereuse et n’augure rien de bon pour l’avenir démocratique du pays dans le sens où elle piétine des principes fondateurs d’un État de droit, à savoir le respect des institutions, la transparence, la démocratie interne et jusqu’au respect de la loi fondatrice de l’IVD.
Ces interventions – en refusant toute idée de critique et de réforme de l’IVD – ne sont-elles pas en train de préparer un nouvel autoritarisme et ce que ce dernier implique comme abus de toutes sortes?
Le débat a été réduit désormais à une confrontation entre défenseurs de la présidente et ses adversaires. Les représentants de Nidaa Tounes, très virulents et dont certains ont demandé à la présidente de l’IVD de démissionner, ont fini, compte tenu de leur rapprochement avec Ennahdha, par voter, en bonne majorité, le budget de l’instance.
Quant aux représentants du Front populaire, ils ont brillé ainsi que d’autres député-e-s (venu-e-s de la mouvance dite démocratique) par leur absence au débat et par le soutien sans discernement apporté à ladite présidente par les rares présents parmi eux.
Il faut noter, cependant, quelques voix qui ont tenté d’exprimer des griefs, telles que celles des députés Hager Ben Cheikh Ahmed, Adnène Hajji, Mustapha Ben Ahmed, Rym Mahjoub… qui ont pointé du doigt quelques dysfonctionnements de l’IVD et son manque d’impartialité dans la gestion des audiences publiques.
Des députés n’ont pas trouvé les réponses de la présidente de l’instance convaincantes, ni à la hauteur de leurs attentes. Des non dits, des interprétations subjectives et des questions en suspens ont certes caractérisé l’intervention de cette dernière.
Certains députés appartenant aux partis Afek et Nidaa Tounès ont quitté la salle, exprimant leur mécontentement vis-à-vis de ce qu’ils avaient considéré comme un excès de langage et un manque de respect à leur égard de la part de la présidente de l’IVD qui a esquivé, selon eux, la plupart de leurs questions.
Un débat en somme biaisé – comme de coutume – hélas !, dans notre pays, entravant le succès d’une telle entreprise considérée par bien de citoyens comme une chance historique et une étape importante et nécessaire de la transition démocratique que vit la Tunisie.**
* Journaliste et écrivain.
** Les titre et intertitres sont de la rédaction.
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