Les sanctions décidées par l’Ordre des Médecins à l’encontre des praticiens impliqués dans l’affaire des stents périmés sont non seulement légères, mais elles n’ont pas été appliquées.
Par Dr Mounir Hanablia
L’affaire des stents périmés a en fin de compte suscité une réaction de l’instance ordinale avec les sanctions frappant un certain nombre de cardiologues incriminés qui pour être réelles ne s’en sont pas moins révélées assez légères eu égard à la gravité des faits. Une réaction qui, compte tenu de l’impact médiatique considérable qui avait accompagné l’affaire, se devait certes d’être significative, sous peine de déconsidération, même si sa teneur demeure limitée au cercle professionnel.
Mais si les sanctions les plus lourdes ont varié entre 6 mois et 3 ans de suspension, celles-ci n’ont intéressé que la pratique du cathétérisme; les cardiologues sanctionnés demeurent libres de consulter dans leurs cabinets et d’avoir une activité professionnelle dans les cliniques, et cela parait déjà assez singulier: comment en effet dissocier dans l’activité globale d’un médecin, qui s’est rendu coupable de manquements professionnels graves, ce qui relève d’une responsabilité pouvant être sanctionnée, et ce pour lequel il ne soit pas punissable?
Et naturellement on peut aussi se poser la question de savoir comment l’instance ordinale a pu établir une hiérarchie de la gravité pour des actes de même nature avec à la clé des sanctions variables.
Une mansuétude très sélective
En admettant que le nombre d’implantations de stents périmés eût dû être proportionnel à la durée de la suspension professionnelle, force est de constater que le cardiologue qui se place en deuxième position pour le nombre de «fautes» est celui qui a bénéficié de la suspension la moins prolongée, ce qui ne laisse pas d’étonner.
C’est déjà là une autre anomalie, et la suivante serait, eu égard à l’hypothèse précédente de la proportionnalité de la peine à la faute, de sanctionner lourdement les médecins aide-opératoires alors que, dans l’absolu, ils n’eussent pas été responsables des stents implantés par leurs collègues; mais si l’instance ordinale a considéré que ces derniers ne pouvaient pas «ne pas savoir», elle semble avoir sanctionné sélectivement, car l’aide opératoire du cardiologue qui a bénéficié de la mansuétude du conseil de discipline ordinal, n’a pas été sanctionné, peut-être du fait de son ancienne appartenance à une glorieuse et puissante institution, et sans doute l’un peut-il expliquer aussi l’autre.
Plus encore, un chef de service hospitalo-universitaire, pourtant largement impliqué, n’a pas été suspendu, et son ministère de tutelle, après une brève interruption de son activité privée complémentaire, décidée par l’ancien ministre de la Santé, Said Aidi, l’a rétabli dans ses droits. Mais cette mesure de grâce n’a pas concerné les autres chefs de service et professeurs privés pour les mêmes raisons de l’activité privée.
Une rumeur attribue cette mansuétude très sélective à l’intervention d’une éminente personnalité d’un parti politique très influent au ministère en question, et qui serait liée au chef de service amnistié par des liens amicaux autant que régionaux.
Un total mépris des lois et des règlements
Dans tout cela, une évidence s’impose : les cardiologues qui ont été sur le plan des principes fort justement sanctionnés par l’Ordre professionnel ont bénéficié en réalité de sanctions légères, mais ils peuvent tout autant faire appel auprès des tribunaux civils des verdicts les frappant avec de bonnes chances d’obtenir gain de cause, ou à tout le moins la suspension provisoire de leur punition, au nom de l’injustice manifeste dans l’attribution des sanctions, dont a fait preuve à leur égard l’instance ordinale. Toujours est-il que, dans son souci de ne pas paraître complaisante, l’instance ordinale leur a quand même offert, certainement involontairement, cette opportunité.
Malgré tout, l’Ordre des Médecins dispose-t-il des moyens nécessaires à l’exécution de ses décisions? Il est permis d’en douter: l’un des cardiologues condamnés vient de nouveau très tôt le matin pratiquer des actes entrant sous le coup de la suspension, dans une clinique cardiovasculaire de Tunis. Et ceci suppose non seulement une complicité au plus haut niveau de la hiérarchie de l’établissement, mais aussi, après la fermeture qui a frappé sa salle de cathétérisme, pendant le ministère Aidi, de nouveau une totale quiétude. Une quiétude bien entendu qui s’accompagne, comme cela a toujours été, d’un total mépris des lois et des règlements. Et ce alors même que le procès en responsabilité pénale initié suite à la plainte de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) n’a pas encore été mené à son terme.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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