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Les dessous de la démission de Abderrahmane Haj Ali

La démission de Abderrahmane Haj Ali est un épisode dans la guéguerre de clans et de positions, qui sévit, depuis plusieurs mois, au sein de l’exécutif.

Par Imed Bahri

La démission d’un directeur général de la sûreté nationale n’est pas un fait anodin. Et celle d’Abderrahmane Haj Ali, présentée hier et annoncée aujourd’hui, mercredi 14 décembre 2016, suscite de nombreuses interrogations, qui plus est à un moment où le pays est engagé dans une lutte sans répit contre les groupes terroristes et où il ne se passe pas un jour sans qu’on annonce le démantèlement d’une cellule dormante ou la découverte de plans d’attentats.

Amélioration de la situation sécuritaire

Ancien responsable de la sécurité présidentielle sous l’ancien président Ben Ali, écarté et envoyé comme ambassadeur en Mauritanie, puis à Malte, durant les 3 dernières années avant la révolution de janvier 2011, à l’instigation de Leïla Ben Ali, disent ses détracteurs, Abderrahmane Haj Ali a passé une longue traversée du désert avant d’être rappelé à la rescousse et nommé, en décembre 2015, à la tête de la direction générale de la sûreté nationale.

Avant son retour au ministère de l’Intérieur, salué par beaucoup de hauts cadres de la sécurité, le pays avait connu une série d’attentats terroristes sanglants : au musée du Bardo, le 18 mars 2015, à l’hôtel Riu Imperial Marhaba à Sousse, le 26 juin 2015, et contre le bus de la garde présidentielle, le 24 novembre de la même année.

Depuis l’arrivée d’Abderrahmane Haj Ali, la cadence des attentats terroristes et des attaques armées contre les forces de l’ordre, dans les massifs du nord-ouest, a beaucoup faibli.

Il y a certes eu, le 7 mars 2016, l’attaque armée contre la ville de Ben Guerdane menée par un groupe de jihadistes venu de la Libye voisine, mais la réaction des forces sécuritaires et armées a été prompte et efficace et le projet de proclamation d’un émirat islamique à Ben Guerdane a été déjoué. Depuis, on ne compte plus les arrestations effectuées dans les rangs des groupes extrémistes religieux et les découvertes de dépôts d’armes, notamment dans le sud du pays.

Le sentiment d’une nette amélioration de la situation sécuritaire dans tout le pays est largement partagé. C’est là, d’ailleurs, le seul élément positif mis à l’actif de l’ancien gouvernement Habib Essid, mis en place en janvier 2015. Et l’actuel chef du gouvernement Youssef Chahed s’est gardé, jusque-là, de toucher à la hiérarchie sécuritaire. Il a même reconduit le ministre de l’Intérieur Hedi Majdoub et le directeur général de la sûreté Abderrahmane Haj Ali, pour éviter de «changer une équipe qui gagne», comme on le dit dans le langage du football.

Les pressions étaient trop fortes

Cependant, on sait que les pressions étaient fortes sur Youssef Chahed pour qu’il limoge Abderrahmane Haj Ali. Elles émanaient, surtout, du président de la république Béji Caïd Essebsi, qui accusait ce dernier de l’espionner (pas moins !).

Le fils du chef de l’Etat, Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nidaa Tounes, principal parti au pouvoir, avait aussi juré d’avoir la peau de Haj Ali, lui reprochant aussi d’espionner le clan familial.

Des lobbys très influents, notamment celui de Kamel Letaief, n’ont cessé, depuis plusieurs mois, de porter contre l’ex-directeur de la sûreté les accusations les plus graves et parfois les plus farfelues : il serait trop ambitieux, comploteurs, au service de certains clans… On l’a même accusé de garder des contacts avec… Ben Ali. Et même de rouler pour Ennahdha. «Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage», dit le fameux proverbe français.

On lui reproche, par ailleurs, d’avoir fait le vide autour de lui, en limogeant certains hauts cadres sécuritaires, notamment Imed Achour, ex-directeur général des services spéciaux, Amor Messaoud, directeur général de la sûreté publique, ou encore Sami Abdessamad, inspecteur général de la sûreté nationale, qui a été pour beaucoup dans le succès de l’opération antiterroriste de Ben Guerdane.

On chuchote aussi que son nom est cité dans deux affaires actuellement examinées par la justice militaire, et quoi encore?

Quoi qu’il en soit, on notera que Youssef Chahed a su résister aux pressions, se gardant de limoger Abderrahmane Haj Ali, de peur de dérégler un système sécuritaire qui commençait à donner satisfaction. Il n’était pourtant pas sans savoir que son prédécesseur au Palais de la Kasbah avait été poussé vers la porte de sortie, en grande partie, pour avoir résisté à ces mêmes pressions et refusé de se séparer de son directeur de la sûreté.

On peut estimer que les pressions les plus fortes pour pousser Abderrahmane Haj Ali vers la démission sont venues, surtout, de la présidence de la république où ce dernier n’a que des ennemis. Outre les Caïd Essebsi père et fils, qui n’en font d’ailleurs qu’un, on peut estimer que Noureddine Ben Ticha, conseiller auprès du président de la République chargé des relations avec l’Assemblée et avec les partis politiques, réputé très proche de Kamel Letaief, a joué lui aussi un rôle important dans cette affaire.

Le différend qui a éclaté entre Abderrahmane Haj Ali et le ministre de l’Intérieur Hedi Majdoub, et qui a culminé, mercredi 14 décembre 2016, en une dispute dont les éclats résonnent encore dans les couloirs de la bâtisse grise de l’Avenue Bourguiba, semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase et poussé l’ex-directeur général de la sûreté à jeter l’éponge.

Cet épisode, dont on appréhende les conséquences, s’inscrit dans la guéguerre de clans et de positions, qui sévit au sein de l’exécutif. Et qui connaîtra, on s’en doute, de futurs développements. Retenons notre souffle…

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