Anis Amri, auteur présumé de l’attentat au camion, le 19 décembre courant, à Berlin.
La Tunisie, qui était longtemps à l’avant-garde du modernisme dans le monde arabo-musulman, se voit réduite, aujourd’hui, au rang de pépinière du terrorisme…
Par Dr Mounir Hanablia *
Un phénomène nouveau interpelle nos consciences ou ce qu’il en reste dans ce pays: de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, auteur de l’attentat-suicide de Nice, le 14 juillet 2016, à Anis Amri, auteur présumé de l’attentat du 19 décembre courant à Berlin, nous sommes en train de devenir un peuple infréquentable.
Des jeunes tunisiens sont de plus en plus impliqués dans des actes abominables commis dans des pays dont ils ne sont pas les ressortissants, au nom d’une interprétation morbide d’antiques commandements religieux, et cherchant à causer le plus de morts et le plus de dégâts possibles.
Aux sources du jihadisme tunisien
Ce phénomène avait commencé avec le premier Tunisien à faire partie d’une organisation terroriste, Fouad Ali Salah entre 1985 et 1986 et les attentats qui avaient alors secoué la capitale française.
Plusieurs années plus tard, deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001, à New York et Washington, il y avait eu l’assassinat du fameux commandant afghan Ahmed Shah Messaoud par deux Tunisiens prétendant être des journalistes, et opérant pour le compte d’Al-Qaida et on s’était alors aperçu de l’implication importante des Tunisiens dans le «jihad» en Afghanistan.
Plus tard, après l’attentat-suicide contre la synagogue de Djerba, en avril 2002, perpétré par le Franco-tunisien Nizar Naouar, et l’affaire du «maquis» de Grombalia sous Ben Ali, en décembre 2006- janvier 2007, les jihadistes tunisiens avaient commencé à faire parler d’eux plus fréquemment.
Ainsi, après la première et traditionnelle période d’auto-glorification du printemps tunisien pionnier des printemps arabes, on avait eu la mauvaise surprise d’apprendre que quelques compatriotes avaient été détenus ou même exécutés dans les geôles irakiennes pour avoir commis des attentats terroristes contre des lieux saints chiites, dont la destruction des mausolées de l’imam Ali et de Hassan El-Askari, à Samarra.
Après les premières élections authentiquement démocratiques, en octobre 2011, au cours desquelles la volonté populaire s’était pleinement exprimée dans notre pays en faveur d’un parti politique totalement désinhibé face au risque terroriste, le parti islamiste Ennahdha en l’occurrence, les exhortations à aller combattre l’impie Bachar Al-Assad étaient devenues quelques uns des thèmes habituels que tout imam «engagé» devait produire au cours de ses prêches sous peine d’être démis de ses fonctions par son auditoire, et le mince ruisseau de jeunes sportifs ayant acquis la forme physique par des exercices sportifs effectués sur le mont Chaambi, s’était rapidement transformé en un puissant courant les déversant en Syrie via la Turquie, où ils s’étaient rapidement distingués autant par leur indiscipline que par leur sauvagerie, leurs atrocités, en rapport avec une addiction supposée au Captagon.
Fait surprenant, les filles avaient été nombreuses à faire le déplacement ce qui avait fait acquérir rapidement à ces brigades internationales une réputation de dissolution des mœurs plutôt paradoxale pour des gens se réclamant du puritanisme le plus strict.
Aux sources du jihadisme musulman
Mais le terrorisme est-il intrinsèque à l’islam ainsi que ses détracteurs le suggèrent de plus en plus? En terre d’islam, il avait débuté très tôt après la Fitna par l’apparition des Khawarij, des groupes anarchistes responsables de l’exécution de Ali Ibn Abi Taleb et de nombreux gouverneurs omeyades; puis il y avait eu la fameuse secte hétérodoxe des Ismaéliens Nizarites dont le chef, qualifié de Vieux de la Montagne, envoyait ses «fida’is», drogués à l’opium, il faut bien le préciser, assassiner les membres éminents de la communauté sunnite, les Mamlouks et les Seldjoukides , et ce qui avait frappé les contemporains, parmi lesquels les Croisés, occupant alors le littoral palestinien, avait été leur total mépris de la mort et de la torture.
L’un des rares bienfaits des invasions mongoles avait été de parvenir à extirper cette secte terroriste.
Mais au XXe siècle, les actes terroristes avaient commencé essentiellement avec les Frères musulmans d’Egypte, responsables de l’assassinat du premier ministre Nokrachi Pacha, puis quelques années plus tard d’un attentat raté contre le président Nasser qui leur avait valu une guerre sans merci, suivi en 1981 de l’assassinat du président Sadate, par des officiers proches de la mouvance.
Le terrorisme : un fléau universel
Mais le terrorisme a-t-il été l’apanage des musulmans? En Inde, depuis l’époque Moghole, des groupes hindous qualifiés de Dacoits assassinaient après les avoir dépouillés les caravanes, et à la fin de l’ère coloniale Britannique, un parti ultra nationaliste appelé RSS avait assassiné le Mahatma Gandhi.
Au Japon, l’avènement de l’ère Meiji avait vu de nombreux samouraïs recourir au terrorisme, contre les tenants du modernisme, et le chauvinisme japonais avait accompagné la montée du militarisme nippon, tous ceux qui étaient réputés être pacifistes étaient assassinés par des militaires prétendant agir au nom de l’empereur, et il avait fallu la défaite de 1945 pour en venir à bout.
Mais il y avait eu également depuis l’antiquité un terrorisme juif lorsque des rigoristes religieux qualifiés de sicaires ou de zélotes assassinaient tous les juifs adoptant des coutumes gréco-romaines, et ils avaient été particulièrement actifs pendant le siège de Jérusalem par l’armée de Titus. Mais à l’ère moderne, l’apparition d’un chauvinisme nationaliste juif s’était accompagné d’attentats contre les Anglais puis contre les Palestiniens, enfin d’une politique terroriste qualifiée de terrorisme d’Etat contre les populations arabes.
Et en Europe, le premier groupe terroriste avait vu le jour en Russie, avec l’assassinat du Tsar Alexandre II de Russie par des radicaux révolutionnaires, mais il ne faut nullement oublier le précédent du terrorisme d’Etat inauguré par la révolution française et dont allaient plus tard s’inspirer les Bolcheviques.
Ni les organisations terroristes qui avaient pullulé dans les Balkans, en particulier serbes, responsables de l’assassinat de l’archiduc François Joseph, et inaugurant la première guerre mondiale, puis celle d’Alexandre 1er de Yougoslavie à Marseille en 1930. Et après la seconde guerre mondiale, l’époque des luttes de libération nationale et de la décolonisation avait vu de nombreuses organisations nationalistes recourir au terrorisme, comme l’ETA Basque ou l’IRA Irlandaise, et d’autres avaient situé leur combat dans le nationalisme intransigeant anti communiste comme l’OAS française, ou la lutte pour la dictature du prolétariat à l’instar des Brigades Rouges italiennes ou la Fraction armée rouge allemande.
D’Al-Qaïda à Daech : les spécificités du jihadisme actuel
Mais en quoi le terrorisme de l’organisation de l’Etat islamique (Isis, Daech) auquel ont contribué les «milliers» de jeunes volontaires tunisiens, s’est il distingué de celui de ses prédécesseurs?
D’abord il s’est développé après l’invasion et l’occupation militaire américaine de de l’Afghanistan, en 2001, et de l’Irak, en 2003, et en prétendant établir une structure étatique, celle du califat, ses victimes ont été essentiellement des musulmans. Il en avait détruit les villes, vidé les campagnes et ruiné les pays. Il a provoqué un exode massif des populations vers l’Europe, mais étant données les exactions qu’il a commises contre les minorités, et à cause de quelques attentats spectaculaires dans des capitales occidentales (Paris, Londres, Madrid et Berlin), il est apparu aux yeux du monde comme un mouvement tendant à islamiser par la force l’ensemble de l’humanité, et menaçant tous les pays non musulmans de la planète, ce qui dans les faits est loin d’être vrai.
La deuxième caractéristique de ce terrorisme est sa capacité à diffuser les exactions et les cruautés les plus insoutenables par les moyens de communication les plus modernes, pour ne pas parler de son aptitude (supposée) à recruter même chez les nations non musulmanes.
La troisième est son idéologie simpliste nihiliste, il y a d’un côté les bons et de l’autre les mauvais, et les bons, des paumés frustrés exclus moralement ou matériellement du progrès et du bien-être matériel et social, se trouvent par le biais d’imams manipulant autant les concepts de la haine que la fraternité issue de l’abondance des pétrodollars, justifiés de tuer les mauvais, c’est-à-dire tous les autres.
La quatrième caractéristique est le pouvoir de Daech de faire franchir les frontières internationales à ses adeptes, et là, la responsabilité des Etats devient patente, en particulier celle de l’Etat tunisien.
Si les terroristes arrivent à franchir les frontières et à trouver les soutiens et les moyens leur permettant de passer à l’acte, par-delà leurs pulsions meurtrières, et de la version monstrueuse de la foi religieuse qu’on leur a inculquée, c’est que la folie affère à la méthode et qu’il faille incontestablement s’en demander la raison.
Mais le résultat est là, les musulmans sont désormais haïs, craints, vilipendés, partout dans le monde, et certains parmi eux n’ont désormais plus confiance dans les fondements de leur propre culture.
La vérité est pourtant simple, la culture musulmane n’est pas une culture de guerre, et au contraire elle a permis à des peuples que tout différencie d’acquérir, au-delà de leurs langues, races, et coutumes différentes, un sentiment de destinée et des valeurs humaines communes, dont la cohabitation durant des siècles avec les autres communautés. Elle leur a permis aussi l’accession à un humanisme universel original.
Retour sur le paradoxe tunisien
Il reste le problème de la Tunisie, qui parmi les pays arabo musulmans avait été pendant plusieurs décennies à l’avant-garde du modernisme et qui se voit réduite par le reste du monde aujourd’hui au rang de pépinière du terrorisme.
Prétendre que la Tunisie soit responsable du terrorisme dans son ensemble n’est pas juste puisque c’est un phénomène inhérent à la mondialisation, lié au wahhabisme conquérant, au sous-développement, à la libre circulation des individus, des informations, des biens et des capitaux issus des bénéfices engendrés par l’économie mondiale.
Il n’empêche, il y a une profonde crise morale dans ce pays, le caractère sacré inaliénable de la vie humaine n’y est plus, ou plus suffisamment, enseigné à la jeunesse, et il est peut-être temps de cesser la politique de l’autruche qui a été poursuivie avec constance par les différents gouvernements dans notre pays depuis la révolution de janvier 2011, et prendre enfin les mesures économiques, culturelles, politiques, et sécuritaires, qui s’imposent. Quand les politiques cesseront-ils enfin de noyer le poisson ?
* Médecin, Gammarth, La Marsa.
Donnez votre avis