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Commission de réforme du cinéma : La gestion du ministre en questions

A propos du fonctionnement de la Commission de réforme du secteur du cinéma : Est-ce ainsi que nos ministres travaillent ? Et au loin leurs réformes les suivent…

Par Noura Borsali *

Face aux problèmes cumulés que vit le secteur du cinéma tunisien et à l’évolution du 7e Art avec ses innovations incessantes dans le monde, une consultation des milieux du cinéma a été lancée au mois d’octobre dernier par le nouveau ministre de ce qui est devenu le ministère «des Affaires culturelles» (et non plus, comme auparavant, «de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine»). Ce secteur en ébullition a connu, par le passé, différents projets de réforme, mais, pour la plupart d’entre eux, restés lettre morte.

Chronique d’une réforme annoncée

Une première réunion en présence du ministre s’est tenue lors du même mois d’octobre, réunissant cinéastes, techniciens, comédiens, producteurs, critiques cinématographiques, distributeurs, cinéphiles indépendants, associations, fédérations et syndicats du cinéma…

Un état des lieux a été établi et tous les dysfonctionnements et insuffisances liés à l’opacité des commissions d’aide, à la dégradation des conditions de travail, à l’absence de rigueur dans l’octroi de la carte professionnelle, à la complication de l’obtention de l’autorisation de tournage pour les premières oeuvres, à la question du guichet unique, aux productions étrangères, au Centre national du cinéma et de l’image (CNCI) et les problèmes y afférents, à la création de nouvelles sources de financement, aux lois désuètes ou bloquées, à l’absence de collaboration entre la télévision et le cinéma (M. B.)… Autant de questions qui appellent à être résolues après consultation des parties concernées.

Pour rationaliser le travail préalable à toute décision, il a été proposé de mettre en place une commission indépendante de la réforme du cinéma. Cette dernière se chargerait d’élaborer un rapport identifiant d’une manière rationnelle et impartiale tous ces problèmes et d’apporter des propositions quant à leur résolution, et ceci après une consultation et une écoute de toutes les parties concernées.

La commission ne serait que consultative et il reviendrait au ministre de prendre les décisions qui conviennent. Cette proposition n’obtint pas le consensus de certains producteurs qui proposèrent que le rapport soit élaboré par un bureau d’étude. Le coût élevé d’un tel projet ayant été relevé, ce projet n’a pas recueilli l’approbation des autres présents. Ces producteurs utilisèrent alors l’arme du boycott des réunions pour imposer leur projet et refusèrent toute négociation avec une bonne majorité qui s’est exprimée autrement. Le ministre subissant leur pression qui s’est exprimée selon différentes formes propres à eux et en dehors des réunions, a fini par mettre en place ladite commission et ceci lors d’une réunion officielle en présence de représentants de certains milieux du cinéma.

Cette commission sera constituée de six membres proposés par des composantes de la société civile et des producteurs : Chema Ben Chaabene, Mahmoud Abdelbar, Habib Belhédi, Mounir Baaziz, Mohamed Sahbi Khalfaoui et Noura Borsali.
Le ministre promit l’élaboration et la publication, dans un délai très court, d’un arrêté ministériel officialisant la commission qu’il a intronisée et qu’il se proposa de revoir quelques jours après. Ce fut en octobre 2016.
Des promesses non tenues

Mais rien de tout cela ne se passa comme l’avait promis et décidé le ministre dans la dernière réunion avec divers acteurs du secteur (en dehors de certains producteurs). Et voilà plus de deux mois que l’arrêté est bloqué et que la réunion de la commission avec le ministre tel qu’il l’avait annoncée n’eut jamais lieu. Des contacts avec le cabinet du ministre pour l’organisation d’une réunion avec la commission devinrent incessants. Des rendez-vous décidés la veille (souvent tard, en fin d’après-midi) sont fixés pour le lendemain, comme si les membres n’avaient rien à faire, ou alors annulés et reportés, ou encore fixés pour le jour férié du Mouled… Et voilà que le cycle des contacts est repris avec le cabinet ministériel pour un nouveau R.V. Comme toujours, coup de fil d’un membre de la commission autour de 20h pour nous annoncer que la réunion se tiendra le lendemain matin ou après-midi. De toute évidence, la plupart des membres enseignants ou ayant des engagements professionnels ou autres prévus d’avance n’assistèrent pas à ces réunions décidées à la dernière minute et toujours pour le lendemain, sans aucune planification préalable. Comme si le projet de réforme du cinéma n’était pas une préoccupation importante.

Pour moi, membre de cette commission, il n’était plus question de «travailler» dans ces conditions et surtout en l’absence de la publication de l’arrêté ministériel promis par le ministre depuis deux mois.

Me sentant flouée et considérant que notre dignité fut bafouée par tant de manque de respect du ministre à l’égard des membres de la commission et aussi de ses propres engagements, je me retirai de la commission en guise de protestation.

Cet état de choses fut encore aggravé par les propos tenus par le ministre lors de sa toute dernière réunion avec deux membres de la commission, les autres (dont moi-même) s’étant absentés pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Sur un ton autre, il menaça de renoncer à la commission au cas où les membres seraient encore absents à la réunion fixée pour le 29 décembre (à la veille des fêtes et de la fin des vacances). Et il ordonna qu’une feuille de route lui soit présentée par la commission et ceci en présence de ses collaborateurs, ce document devant recueillir l’approbation de tous. Et tout cela toujours en l’absence d’un projet d’arrêté. Et pis encore, le ministre déclara: «Je ne connais pas les membres de la commission. Comment voulez-vous que j’intronise une commission dont je ne connais pas les membres?»

Propos bizarres qui n’appellent aucun commentaire mais un rappel : les membres avant d’être intronisés par le ministre, voilà deux mois, lui ont été présentés, en ce jour d’octobre, à partir de leurs CV respectifs. Selon des observateurs avertis, c’est l’indépendance de cette commission qui semble préoccuper le ministre. Quant à l’argument du consensus, il est important de rappeler que le secteur du cinéma, comme tous les secteurs, a toujours connu des dissensions et des conflits. Le rôle d’un ministre consiste à les atténuer.

Parallèlement au rapport de la commission, le ministre pourrait demander aux producteurs récalcitrants d’élaborer leur propre rapport. Ce qui enrichirait l’inventaire des questions et les propositions les concernant. Mais, de là à retarder la commission de la sorte, le pas, à mon sens, ne devait pas être franchi.

Le temps des réformes

On se serait attendu, après le 14 janvier 2011, à ce que de grandes réformes soient élaborées pour pallier les dysfonctionnements et bâtir sur de nouvelles bases, et ceci dans la concertation et en dehors de toute autorité. Or, pour que de tels changements profonds dont le pays a grandement besoin puissent se produire, il est impérieux de changer les hommes contestés, les politiques fermées entreprises jusque-là et les mauvaises traditions qui affectent le travail des ministères… Aussi s’agit-il d’insuffler des énergies nouvelles et des potentialités au-dessus de tout soupçon et aussi de créer de nouvelles traditions de travail basées, d’une part, sur le respect, et, d’autre part, sur une transparence sans faille. Une vraie participation citoyenne est plus que nécessaire… Que ne rappelle-t-on pas à nos responsables que la culture dans ses diverses formes et créations est fondamentale pour une société qui a tendance à se fermer de plus en plus et qu’elle demeure un véritable enjeu dans une Tunisie pleine d’inquiétude quant à son avenir….

Et pour terminer, je dirai : «Est-ce ainsi que les hommes vivent/Et au loin leurs déceptions les suivent», en reprenant encore une fois à mon compte, et en les changeant, ces beaux vers de Louis Aragon : «Est-ce ainsi que les hommes vivent/Et au loin leurs blessures les suivent» (poème interprété par Léo Ferré, Catherine Sauvage et autres).

*Enseignante et écrivain.

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