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ARP : Une Académie parlementaire pour quoi faire ?

Une Académie parlementaire sera lancée en 2017 au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP)… pour lutter contre l’illettrisme des députés.

Par Yassine Essid

Dans les affaires qui engagent l’avenir de la nation, le principe d’une parfaite connaissance des affaires du monde doit être convenablement respecté. Il faut désormais reconnaître que tout élu qui siège à l’Assemblé devrait bénéficier, au-delà des moyens matériels et financiers attachés à sa fonction, d’un outil d’encadrement scientifique et de mise à niveau qui agirait de manière indépendante et complémentaire.

Dès lors, on ne peut que saluer l’initiative de créer, au sein de l’institution législative, une Académie parlementaire qui invitera les représentants du peuple à se soumettre volontairement à cette recherche de l’exigence culturelle afin de mieux comprendre les enjeux du monde.

Sous la voûte du Palais du Bardo, la compagnie des représentants du peuple possédera désormais sa physionomie propre et manifestera une vitalité intellectuelle créatrice et un pouvoir remarquable d’assimilation en s’adjoignant des personnalités émérites dans le domaine des sciences humaines et sociales. C’est ainsi qu’elle bénéficiera des talents de juristes, d’experts en économie, d’historiens, de penseurs venus d’horizons différents. Elle disposera un jour peut-être sa propre bibliothèque et rien n’empêche que des députés puissent composer divers écrits qui seraient accessibles dans les publications périodiques de l’Académie.

Quel bel hommage rendu à cette initiative et quel beau geste de reconnaissance envers ses prometteurs que de voir les 217 titulaires de sièges, férus de culture et de savoir, se précipiter chaque fois que nécessaire pour assister aux conférences ou participer aux séminaires portant sur les progrès enregistrés sur les nouvelles scènes politiques nationale et internationale !

Mais avant d’en arriver là, voyons d’abord, et au-delà des fantasmes fondateurs, quelles sont en général les fonctions d’un représentant du peuple? Quelle mission est-il censé remplir au sein de l’assemblée. Bref, quelle devrait être sa véritable place dans le système institutionnel?

Brimades mutuelles et défoulement collectif

Dans les démocraties avancées, la majorité absolue des députés conçoit son rôle comme tout à la fois national et local. On constate d’abord leur activité première au sein de l’institution parlementaire à travers l’élaboration des lois, leur discussion, le dépôt d’amendements et le vote.

On observe également et, surtout, le rôle actif du député en tant qu’intermédiaire entre les électeurs de sa circonscription, selon que celle-ci est à dominante rurale ou industrielle, et l’administration, intervenant sans repos sur des problèmes concrets d’éducation, de protection sociale, de création d’entreprise, de chômage, etc.

L’élu a enfin un rôle à jouer dans le contrôle de l’activité gouvernementale. Ce faisant, sa participation détermine les grandes options politiques du pays et d’influer sur elles.

L’Assemblée est aussi une caisse de résonance à son action militante et lui sert de tribune pour exposer les idées défendues par son parti. Celui-ci constitue pour lui une inépuisable source d’informations critiques et lui sert surtout d’instrument de mise à niveau et de s’orienter à travers l’inquiétante dérégulation de l’information en développant son sens critique.

En Tunisie, et depuis la Constituante, les choses n’ont guère changé. L’hémicycle est toujours le lieu où des députés s’interpellent, hurlent, vocifèrent, vilipendent et ne peuvent pas discuter sans se jeter des invectives à la figure. Un indigne spectacle de personnalités prétendant représenter démocratiquement le peuple.

En fait, on assiste à chaque débat à d’éternelles joutes parlementaires où se succèdent de part et d’autres les cris d’indignation, les critiques virulentes, les contestations, les empoignades voire les propos calomnieux. Tout cela, bien sûr, au nom de l’exercice de la démocratie et de la séparation des pouvoirs.

Lorsqu’on parle, en démocratie de tel ou tel député, on a généralement à l’esprit une parfaite connaissance des personnes chargées de représenter une collectivité, leur parcours, leurs programmes, leur vision de l’avenir etc. On a à l’esprit des candidats qui parcourent en long et en large les quatre coins du pays portant messages, promesses ou mises en garde.

Contrairement aux pays démocratiques, la quête aux voix en Tunisie ne répond à aucune organisation, à aucune exigence de vérité. Il n’existe aucune relation entre l’élu et son électeur, aucun dialogue formel ou informel qui se noue habituellement entre le représentant du peuple et le citoyen. La distance entre les quelques individus qui occupent en permanence la scène politique et les populations est immense et n’existe que parce que les médias et les réseaux sociaux en font leurs choux gras : les formules sont figées, les slogans vides, les débats futiles, les jeux de mots ineptes et l’intérêt pour le fait divers prend le pas sur les problèmes réels du pays. Associations d’images, comparaisons et métaphores désobligeantes dénaturent l’action de l’adversaire et le ridiculise.

Les interventions des députés, lors des derniers débats budgétaires, avaient valu aux ministres bien des misères.

D’autres personnalités se retrouvent également stigmatisées, insultées, traitées de façon humiliante et insolente par des détracteurs sans pudeur ni retenue qui se sont arrogés le titre de défenseurs des lois et des décrets du peuple.

Chaque séance se transforme illico en séance de brimades et de défoulement collectif, plutôt qu’en un débat serein capable d’éclairer les différents enjeux politiques et socio-économiques du pays. Tout cela se déroule évidemment au mépris du respect du citoyen ordinaire.

Dès lors, on est devenu dangereusement indifférent à la politique. Car au désordre des images se mêlent discours, déclarations intempestives, menaces et autres accusations où se confondent sciemment le vrai et le faux.
Dans un tel brouillard, l’électeur, qui a bien besoin de parfaire ses connaissances, car il n’a jamais su en quoi consiste l’essentiel de l’activité politique, parvient difficilement à faire le partage entre le superficiel et le consistant, l’hétérogène et le cohérent, le rationnel et le déraisonnable, la trivialité du propos et l’inconsistance de la réflexion.

S’il en est ainsi de la politique aujourd’hui, pourquoi des citoyens se donneraient-ils la peine demain de s’intéresser ou de participer aux prochains scrutins?

Un instrument de lutte contre l’illettrisme des députés

Certes, bien des députés nouvellement promus découvrent qu’ils n’arrivent pas à assumer leurs nouvelles responsabilités faute de disposer des connaissances de base nécessaires. Aussi, le recourt à une dénomination plus modeste et plus discrète tel, par exemple, de «centre d’éducation permanente pour députés» aurait un effet bien autrement efficace que cette pompeuse et ridicule appellation d’Académie. Les représentants du peuple autant que leurs encadreurs n’étant ni des poètes, ni des écrivains et encore moins des hommes de pensée et d’avenir.

En tant qu’instrument de lutte contre l’illettrisme des députés, «l’Académie», puisqu’il faut l’appeler ainsi, devrait plutôt s’orienter vers l’étude de la vertu, des mœurs forgées par l’histoire, et les propriétés de l’âme humaine qui permettraient de comprendre les modes de gouvernement des hommes, dans le but de les améliorer et de les rendre conformes aux exigences de la raison.

En l’état actuel des choses, les représentants du pauvre peuple auraient plus besoin d’un conseil d’éthique et d’exercice de la retenue dans une perspective disciplinaire. Bien de députés ont bien plus besoin de retourner sur les bancs de l’école que de profiter d’une mise à niveau académique.

Aussi, corrigera-t-on avec une sévérité particulière la paresse, le manque d’assiduité ou le peu d’intérêt manifesté pour certaines sessions. On réduira le temps long de leur récréation, leurs bavardages incessants, leur manque d’intérêt pour les débats. On agira avec une exceptionnelle fermeté contre les manifestations bruyantes et insolentes contre leurs collègues, le président de l’Assemblée, ses adjoints et même à l’adresse des ministres de la République.

On identifiera leur manque de concentration et l’on fera en sorte d’éviter l’apparition d’orageux conflits, de fortes oppositions, d’amplification des querelles qui dégénèrent en tapage et en chahut. Il ne faut pas craindre non plus de solliciter leur intérêt immédiat en leur posant une question et en leur demandant de produire avec diligence la réponse idoine.

Enfin, la proximité physique d’un superviseur les responsabilisera et permettra d’indiquer calmement mais fermement aux agitateurs : «Je veux que tu te taises!» Et si ça ne suffit pas, on peut leur demander de croiser les bras et de s’accorder une pause. Ça peut sembler modeste mais c’est une manière efficace d’intervenir sans démobiliser le groupe. Enfin, tout cela dépend bien sûr du contexte. La fermeté, la distance, parfois l’humour peuvent être aussi la solution.

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