Cet article d’opinion a été publié, le 27 décembre courant, par l’ambassadeur des États-Unis en Tunisie sur le site web de l’ambassade.
Par Daniel H. Rubinstein
Je suis arrivé en Tunisie en tant qu’ambassadeur en octobre 2015 mais ma relation avec le pays et son peuple a en fait commencé à la fin des années 90.
En quelque sorte, la Tunisie à laquelle je suis revenu en 2015 est celle que je connaissais depuis des années, avec la musique du stambeli et du malouf, la rivalité entre les équipes locales de football et de handball, le mélange entre la langue arabe et française, et les pignons flottant sur le thé à la menthe.
Cependant, avec ces traditions résilientes, la Tunisie à laquelle je suis retourné qui est dans sa cinquième année de l’ère post Ben Ali, est un pays qui passe par une période de transition à la fois passionnante et difficile. Cette transition ne manque pas de pénible compréhension de soi, car ce pays, tout comme ses citoyens, est en train de se redéfinir et d’apprendre ce que signifie être une démocratie après la révolution de 2011.
Les Tunisiens sont encore en train de décider comment ils veulent intégrer les principes démocratiques dans la vie quotidienne, et par la suite définir aux futures générations ce que signifie être Tunisien.
Étant un partenaire stratégique et un ami de longue date avec qui les relations diplomatiques datent depuis 1795, les États-Unis continueront à soutenir la nouvelle Tunisie qui aspire à l’avenir.
Entre deuils, progrès et accomplissements
Lorsque la Tunisie a choisi son premier président démocratiquement élu en 2014, les États-Unis ont applaudi le processus politique de la Tunisie; nous avons observé la maturité politique manifestée par les Tunisiens qui, durant des années, ont forgé un consensus sur les questions essentielles pour le succès continu du pays. Nous avons partagé le deuil avec les Tunisiens au cours des dernières années quand les attaques terroristes ont frappé le pays et ont menacé les progrès durement acquis. Nous avons aussi célébré les accomplissements tunisiens dans les urnes électorales et ailleurs.
Ces attaques ont profondément frappé le secteur du tourisme et l’économie qui est déjà en difficulté et continue à l’être. La Tunisie a besoin de renforcer davantage son identité et ses valeurs démocratiques, d’améliorer ses capacités sécuritaires, et favoriser une économie plus inclusive, vibrante et diversifiée. La stagnation ou la régression d’une de ces trois fronts menace la trajectoire de la Tunisie.
Cependant la Tunisie a réussi là où les autres pays ont échoué et cela grâce à l’engagement des citoyens à travailler ensemble en paix malgré leurs différences politiques. Nous devons continuer à soutenir cet engagement, alors qu’une concurrence politique saine s’enracine. Le succès est essentiel pour ce pays de 11 millions de personnes à la recherche d’un avenir démocratique, sûr et prospère.
Le succès continu de la Tunisie est également essentiel pour la région du Maghreb et pour notre monde interconnecté. La consolidation de la démocratie de la Tunisie a été et reste toujours dans l’intérêt national des États-Unis. L’aide des États-Unis et d’autres partenaires renforce les chances de la Tunisie pour le succès à long terme, et à son tour rend le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le bassin méditerranéen un endroit meilleur et plus sûr pour tous.
Des transformations spectaculaires
Depuis 2011, la Tunisie a connu des transformations spectaculaires, peut-être la plus remarquable de tous serait la croissance et la prolifération de la société civile. Dans un pays où les groupes d’intérêt et de sensibilisation ont déjà été rejetées ou annulées, il y a maintenant des milliers d’organisations non gouvernementales enregistrées.
Les États-Unis soutiennent les Tunisiens et leurs efforts qui visent à renforcer les institutions démocratiques aux niveaux local et national. Nos programmes offrent une assistance technique ainsi qu’une formation aux membres du Parlement et aux représentants du pouvoir exécutif pour décentraliser l’autorité et la responsabilité et pour habiliter les 24 gouvernorats de la Tunisie à travers les élections municipales.
Depuis la révolution, nous avons contribué à multiplier les possibilités pour les femmes et les jeunes pour présenter leurs candidatures aux élections. Par conséquent, les partis politiques ont amplifié leurs efforts pour entrer en contact avec les citoyens dans les régions en dehors de Tunis et des villes côtières.
Les résultats et le progrès continu de cette transition sont évidents dans le gouvernement tunisien sur tous les niveaux. Les préparatifs des élections municipales et la mise en œuvre de la décentralisation ne sont que deux simples exemples. Pour de nombreux Tunisiens qui habitent dans des régions historiquement marginalisées, ces élections locales ainsi que la dévolution du pouvoir hors la capitale définiront l’importance du rôle qu’ils jouent quand il s’agit de déterminer leur avenir.
Des progrès concrets ont aussi été accomplis dans le renforcement de la société civile et le développement de la transparence, un accomplissement qui aurait été inimaginable cinq ans auparavant.
Sur le plan juridique, la Tunisie a récemment adopté une loi empêchant la traite des êtres humains et accordant l’accès à l’information publique. Elle a aussi mis en place une instance anti-torture.
La stabilité qui renforce la démocratie
La démocratie de la Tunisie durement acquise ne survivra pas, en revanche, si elle n’est pas abritée des menaces à la sécurité. Même si l’année 2016 a été calme dans l’ensemble, les attentats terroristes de 2015 dans un hôtel au bord de la mer à Sousse, au Musée national du Bardo, et contre la garde présidentielle à Tunis ont été des coups douloureux qui ont secoué le sens de sécurité des Tunisiens. Cependant, la capacité du pays à repousser l’attaque de l’État islamique sur la ville frontalière de Ben Guerdane au mois de mars de cette année a montré au monde que les Tunisiens sont capable de défendre leur démocratie.
La Tunisie est un Etat de première ligne qui participe avec la coalition contre l’État islamique, et ses contributions politiques et diplomatiques à la stabilité régionale sont substantielles, surtout en ce qui concerne la Libye. Un tel engagement ainsi que la réaction aux menaces internes montrent que la Tunisie est non seulement prête, mais aussi déterminée et capable de créer une oasis de sécurité dans une région instable. Cependant, ceci ne peut pas être accompli par les Tunisiens seules.
C’est pourquoi nous avons doublé notre aide sécuritaire pour la Tunisie cette année. Ceci comprend la formation des forces de sécurité tunisiennes ainsi que les forces militaires et la modernisation de leurs matériels ainsi que leurs méthodologies. Notre assistance vise à aider les forces militaires, la police et la garde nationale tunisiennes à évoluer en forces mieux équipées pour faire face aux menaces internes et externes. Nous améliorons également la capacité de la Tunisie à détecter le trafic d’armes et renforcer la sécurité des frontières.
Nous saluons les institutions tunisiennes du maintien de l’ordre public et celles de la justice pénale qui ont fait preuve de respect des droits de l’homme et Etat du droit. Au cours de l’année dernière, nous avons offert une formation pour les officiers du ministère de l’Intérieur tunisien sur les opérations antiémeutes. Au cours des manifestations en janvier 2016, la police a directement montré l’effet positif de cette formation en protégeant les citoyens, ainsi que les agents sécuritaires.
L’aide des États-Unis soutient les efforts du secteur judiciaire tunisien pour mettre en œuvre de meilleures procédures pour les enquêtes et les poursuites. Nous travaillons avec le ministère de l’Intérieur pour améliorer les procédés permettant au citoyen de déposer une plainte contre la police sans aucune crainte de représailles.
L’économie qui alimente la stabilité
La stabilité continue de la Tunisie dépend du renforcement de la pérennité économique, le dynamisme, l’accès à l’opportunité. Même si les bailleurs du fond internationaux peuvent renforcer la réforme et le développement du secteur sécuritaire tunisien, l’extrémisme violent continuera à attirer les Tunisiens qui ne disposent pas des moyens pour leurs familles, leurs communautés et leur société.
En dépit de ces défis, le gouvernement tunisien fait des progrès à travers des réformes économiques qui seront plus pérennes vu qu’ils sont le résultat d’un processus politique légitime. Les nouvelles lois de partenariat entre le secteur public et privé, les lois bancaires, les lois sur la faillite renforceront les relations économiques mondiales de la Tunisie, y compris celle avec les États-Unis, qui permettrons l’augmentation des investissements et du commerce, et qui rendrons le secteur privé plus robuste.
Bien que l’établissement des institutions pérennes pour le développement à long terme soit essentiel à la réussite, c’est maintenant plus que jamais que la Tunisie a besoin de soutien. C’est pourquoi, depuis 2012, les États-Unis ont aidé la Tunisie à accéder à un financement abordable d’un peu près d’un milliard de dollars et demi à travers trois garanties de prêts.
La coopération bilatérale se poursuit avec des évènements marquants comme la première réunion plénière de la commission économique mixte tuniso-américaine à Washington au mois de mai. Les deux pays ont annoncé une série de mesures destinées à multiplier les opportunités d’investissement, créer des emplois, améliorer le climat général des affaires, et stimuler une croissance économique pour le bien de tous les citoyens tunisiens.
Des programmes comme le Tunisian American Enterprise Fund (TAEF) illustrent l’engagement des États-Unis à investir dans les petites et moyennes entreprises (PME). Grâce à un financement substantiel du Congrès américain, TAEF investit dans des PME, qui sont parmi les stimulateurs les plus importants de la création d’emplois, ce qui mènera à construire la viabilité du secteur privé en Tunisie à long terme.
D’autres programmes d’assistance soutiennent les nouvelles entreprises de la Tunisie ainsi que les jeunes entrepreneurs et les aident à inciter le développement mené par le secteur privé. Ces programmes ont aussi soutenu la création de plus de 12.000 nouveaux emplois durables dans le secteur privé, permettant une concurrence libre en Tunisie et la considérable amélioration de la compétitivité du pays dans l’économie régionale et mondiale, une politique qui mérite l’attention particulière des Tunisiens, des Américains, et de tous ceux qui ont investi dans un avenir meilleur pour la Tunisie démocratique.
Penser à l’avenir
«Il est important de reconnaître que le lieu où le printemps arabe a commencé est un endroit où nous avons vu les progrès les plus extraordinaires permettant à tous les partis et tous les secteurs de la population, y compris les femmes et les minorités, [à] participer pleinement à la vie civique et politique de la nation. Ceci est un bon signe pour l’avenir de la Tunisie et l’avenir de ses enfants… Je voudrais que le président et le peuple tunisiens sachent que les États-Unis croient en la Tunisie, nous nous sommes investis dans son succès, et nous travaillerons en tant que partenaire stable pour les années à venir.»
Cette déclaration du Président Obama après sa rencontre avec le Président tunisien Béji Caid Essebsi, au mois de mai 2015, est toujours vraie. La Tunisie a réalisé des exploits extraordinaires au cours des cinq dernières années, mais ces années n’étaient pas faciles.
Les jeunes sont frustrés du fait qu’il n’a pas eu de changement fondamental plus rapidement, et la plupart des tunisiens se sont rendu compte que la démocratie est un marathon, pas une course de vitesse. Cependant, même face à la déception et la dure réalité du travail nécessaire pour le succès de la démocratie, les Tunisiens maintiennent leur engagement ferme à la réussite.
Notre relation avec la Tunisie se base sur les piliers de la solidification d’une jeune démocratie: renforcer la sécurité qui a passé par des épreuves difficiles, et aussi stimuler la croissance économique pérenne et inclusive. Si l’un des piliers tombe, toute la structure sera en danger. C’est la responsabilité des États-Unis et des autres amis de la Tunisie d’assurer que cette structure reste aussi ferme que possible, et de soutenir cet engagement pour garantir la réussite le succès, et de veiller à ce que la Tunisie ait toutes les chances de réaliser son rêve de la démocratie.
* Le titre est de la rédaction.
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