Accueil » Attentat de Jérusalem (II) : Peuples saints, esprits ceints

Attentat de Jérusalem (II) : Peuples saints, esprits ceints

Le discours de guerre des dirigeants israéliens après le dernier attentat de Jérusalem vise, comme cela a toujours été le cas depuis juin 1967, à empêcher toute paix.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le dernier attentat de Jérusalem, dimanche 8 janvier 2017, n’a pas entraîné comme on devait s’y attendre un durcissement de la part de l’opinion israélienne dans la mesure où ce durcissement est déjà avéré depuis longtemps, et que les seules voix qui se fassent entendre dans les médias soient celles reflétant les opinions des zélotes des implantations de Cisjordanie, qui ainsi qu’on le sait constituent la partie possédant le plus d’intérêts à perpétuer la situation de guerre dont se nourrit la politique de colonisation et d’expropriation des territoires Palestiniens dont ils tirent bénéfice; et si un parti de la paix existe toujours en Israël, force est de constater qu’il ne se résume plus que dans certaines organisations pacifistes dont l’influence sur la vie politique est insignifiante, et aujourd’hui l’homme commun y partage la vision du gouvernement, à savoir que l’appropriation des territoires occupés à défaut d’apporter la paix, assurera au moins la sécurité des habitants.

Le mépris du droit international

Comme on devait s’y attendre, un lien basé sur la similitude des moyens employés a été établi entre les attentats de Nice et de Berlin, et celui de Jérusalem, alors que les contextes en sont tout à fait différents, et naturellement on a beau jeu d’essayer de s’en assurer les dividendes politiques, en en attribuant les mobiles non pas à la situation prévalant dans les territoires occupés ou encerclés, mais au fanatisme religieux dont les Palestiniens, majoritairement musulmans, doivent assumer l’accusation depuis les attentats du 11 septembre 2001, à New York et Washington.

Déjà la ministre israélienne de la Justice a affirmé qu’il fallait coloniser toujours plus, et son collègue le ministre de l’Intérieur a annoncé le retrait du permis de résidence à Jérusalem à la famille de l’auteur de l’attentat, et le refus de lui en restituer le corps.

En agissant ainsi les autorités israéliennes pensent faire acte de souveraineté, mais dans le même temps, elles démontrent une fois de plus le mépris dans lesquelles elles tiennent les règles du droit international, qui interdisent justement non seulement les mesures punitives collectives, mais aussi les transferts des populations occupées.
Cette décision est d’autant plus significative qu’elle survient quelques jours après une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies contre la colonisation. Mais il faut dire que le refus de restitution du corps d’un mort a une portée symbolique dans le sens où il s’agit d’un acte de pure vengeance, contestant un droit de sépulture somme toute humain à la famille endeuillée, et envoyant un message assez radical à l’ensemble des Palestiniens: s’ils continuent ainsi, même leurs morts ne trouveront plus aucune place pour être enterrés dans la terre de leurs ancêtres.

Les Palestiniens poussés un peu plus vers le désespoir

Naturellement, une telle manière d’agir scandalise les Palestiniens et les pousse toujours plus sur la voie de la radicalisation et du désespoir; deux jours après l’attentat un jeune palestinien a été abattu après une tentative d’attaque au couteau contre des soldats à un check-point dans des circonstances non encore élucidées, et l’autorité palestinienne a accusé les militaires d’avoir sciemment laissé l’attaquant saigner sans permettre qu’aucun secours ne lui soit apporté.

Naturellement, les Israéliens ont immédiatement rétorqué que l’Autorité palestinienne était responsable des attentats et qu’il fallait qu’elle s’abstienne de les qualifier de martyrs, ou d’enseigner dans les écoles le fanatisme et la haine, en particulier celle, suprême, des juifs.

C’est ainsi qu’un désaccord fondamental à la lumière crue de faits tragiques, a été une nouvelle fois monté en épingle entre les deux parties relativement aux symboles, dont l’enjeu est la légitimité et la mémoire. Car en ce désaccord fondamental, sur les qualificatifs à accorder, martyrs ou terroristes, aux auteurs de ces actes, réside toute l’âpreté des revendications antagonistes.

Quant à l’enseignement de la haine aux jeunes générations contre les Kouffars d’un côté, ou les Amalekites Edomites de l’autre, tous voués à la malédiction, quand ce n’est pas à l’extermination, force est de constater qu’il s’agit là d’une pratique commune aux deux adversaires, en tant que valeur de mobilisation; et la rétention des corps des morts s’insère visiblement dans cette stratégie de déshumanisation de l’autre, refusant de lui concéder le droit du rite de sépulture que toutes les communautés depuis la préhistoire ont établi et qui est considéré comme étant à la base de toute civilisation.

Peut être est-ce une autre manière d’empêcher qu’en s’enracinant dans la terre, les morts n’en renforcent par la mémoire les droits du peuple concurrent. D’autant qu’il y a quelques mois, l’Unesco avait refusé de reconnaître aux juifs un quelconque droit historique sur l’esplanade des mosquées qu’ils considèrent comme étant celle du Temple. Mais il faut avouer que les Israéliens ne sont pas les seuls à utiliser les dépouilles des morts en tant qu’arme politique, le Hamas refuse toujours de restituer les corps de deux soldats juifs dont il suppose qu’ils soient morts lors de la dernière destruction de Gaza par leur armée, seulement le Hamas le fait dans l’espoir d’échanger quelques uns des milliers de Palestiniens qui croupissent toujours dans les geôles israéliennes pour des actes de résistance-terrorisme supposés ou avérés en vertu de la loi sur l’internement administratif héritée du protectorat anglais.

Les esprits désormais ceints de la même gangue

Quoi qu’il en soit, cette histoire de rétention des corps des morts renvoie à des pratiques très anciennes, telles celles rapportées par Homère dans l’Iliade et l’Odyssée, en particulier cet épisode de la guerre de Troie où Achille, après avoir tué Hector et traîné son corps derrière son char, ainsi que devaient le faire plus tard les miliciens libanais avec des voitures, refuse dans un premier temps de le rendre avant de céder face aux supplications de son père le Roi Priam. C’est que les Grecs pensaient que sans sépulture, l’âme du mort errerait sans fin, aveugle, et ne trouverait jamais le repos.

Et si chez les juifs le corps d’un mort possède sans doute une sacralité particulière, chez les musulmans l’enterrement n’est que l’occasion d’honorer et de rasséréner la famille du défunt, seules ses actions durant sa vie terrestre détermineront son devenir dans l’au-delà. Et donc la rétention du corps d’un mort, comme mesure dissuasive contre les actes de violence armée, est, dans le contexte, une illusion, aux conséquences particulièrement néfastes que pourtant le ministre d’un gouvernement, qui se dit le seul démocratique de la région, ne craint pas d’annoncer publiquement, et que ses concitoyens dans leur majorité approuvent.

Un langage de guerre dont on arguera bien évidemment que vues les circonstances, il n’eut pu être différent, et dont on se demande tout de même s’il ne vise pas, comme cela a toujours été le cas depuis juin 1967, à empêcher toute paix.

Mais c’est ainsi, dans cette terre autrefois sainte où à ce qu’on dit, coulaient le lait et le miel, et où ne coulent plus que les larmes et le sang, les esprits sont désormais ceints de la même gangue de symboles puissants et contradictoires empêchant toute reconnaissance mutuelle et ouvrant la voie à tous les dénis, y compris celui d’humanité.

Le plus étonnant, c’est qu’un peuple qui a contribué dans la diaspora d’une manière aussi remarquable au développement scientifique et technique de l’humanité, dont les figures phares représentent toujours ce qu’il y a de plus influent dans l’économie, la politique, les arts et l’information, ce peuple donc adopte dans ce qu’il considère être sa patrie, les mêmes valeurs se référant aux lois du talion et aux vengeances bibliques, dont il fait grief au peuple qu’il combat de s’y maintenir en refusant obstinément toute évolution; sans que le reste du monde ne s’en émeuve.

Un argument de propagande assurément, mais qui, vu le contexte de terrorisme international auquel le monde est confronté, possède une portée politique. Mais dans tout cela, abstraction faite de tous les actes de guerre qui, tous les jours depuis 50 ans, en violant le droit international, exproprient toujours plus un peuple de sa patrie, une véritable guerre pour l’appropriation des symboles communs issus des temps anciens, se déroule quotidiennement d’autant plus âprement qu’elle semble fournir des arguments de légitimation puissants se substituant, quoique «de facto» et non pas «de jure», à ceux apportés par le droit international.

Car, en fin de compte, au-delà du terrorisme, au-delà des guerres, personne ne peut nier que cette situation coloniale qui perdure ne contribue nullement à la pacification du monde. Un tableau éminemment sombre, dont la perpétuation annoncerait pour les fous de la reconstruction du Temple de Salomon, le retour du Messie, après la destruction des mosquées Al-Aqsa et Omar; à ceci prêt que, lueur rationnelle dans une situation largement irrationnelle, les Israéliens auraient commencé à recruter, dans leurs entreprises de pointe high-tech, les Palestiniens et les Palestiniennes possédant les aptitudes intellectuelles à même de leur permettre la réussite dans les concours les plus pointus du pays. Une initiative qui n’est bien sûr pas désintéressée, elle leur assure trois avantages: d’abord, dans un secteur international où la concurrence pour le savoir est impitoyable, bénéficier d’un apport supplémentaire de cerveaux; ensuite créer une élite palestinienne qui leur soit redevable; enfin priver des organisations ou des pays hostiles à Israël de ces compétences hors-normes. Une forme de colonialisme, certes, mais un colonialisme tertiaire, intelligent.

Il reste à savoir si cette opportunité contribuera à asseoir un rôle politique majeur des Palestiniens sur la voie de l’égalité et de l’émancipation. Seul le temps le dira. Et malheureusement, après 70 ans de conflit, on risque d’en manquer.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

Article lié :

Jérusalem: Des terres toujours trop promises

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.