L’auteure rend hommage à son père, Lazhar Chraïti, militant nationaliste tunisien, chef des fellagas, accusé d’avoir fomenté un complot contre l’ancien président Bourguiba et exécuté.
Par Djemaa Chraiti *
Un cahier vert retrouvé dans de vieux cartons, acheté en 1954, à Tunis, et qui est un journal tenu par mon père Lazhar Chraïti, de 1952 à 1954.
Du fond de sa fosse commune celui qui n’a toujours pas sa tombe et dont la voix nous parvient lointaine et pourtant audible, celui qui continue à donner des leçons d’histoire, mais aussi des leçons de courage, des leçons sur l’éthique à respecter même au cœur du combat le plus violent.
Une voix lointaine qui a été refusée aux jeunes Tunisiens radicalisés, ces mêmes jeunes qui se croient de grands combattants en se faisant exploser tout azimut et en faisant des victimes innocentes.
Dans ce journal, il y décrit son périple, de la Libye à la Palestine, en passant par la Syrie et l’Egypte, comment il s’est battu pour la Palestine et comment il décide de revenir en Tunisie pour libérer son pays.
On y découvre un homme courageux, qui n’avait pas froid aux yeux. Un homme recherché par tous, sa tête mise à prix alors qu’il organise la résistance dans les montagnes d’Orbat, à Gafsa, parfois il lui faut manger des plantes car il n’y a plus de nourriture, marcher sans répit pour échapper à l’occupant qui le traque jour et nuit. Former des fellaghas, acheter des armes et résister contre une force d’occupation qui frappe aveuglément.
Lazhar Chraïti, chef des fellagas, défilant derrière Bourguiba le 1er juin 1955.
Un journal vert à carreaux, qui appartient à la Tunisie et dont les os de l’auteur continuent à croupir au fond de sa fosse commune. Une voix que les radicalisés auraient pu entendre lorsqu’il somme ses hommes de s’attaquer aux militaires français qui occupent alors la Tunisie en précisant: «Ne vous attaquez pas à leurs femmes et à leurs enfants.»
Aujourd’hui, c’est une leçon à retenir ! On ne touche pas aux innocents. Mais qui pour donner une leçon à cette Tunisie amnésique qui renie ses pères? Cette Tunisie, montrée du doigt dans le monde entier et devenue la première fournisseuse de djihadistes.
C’est sans doute à force d’avoir enseveli l’histoire, évité de raconter le combat des anciens, à force d’avoir laissé pourrir les héros de la nation au fond d’un trou qu’on a laissé des monstres surgir du néant et de notre oubli.
Notre amnésie a laissé libre cours à des chimères qui tuent…
Soudain, des cris de détresse, la voix de Lazhar Chraïti : «Ce n’est pas possible, j’ai tout sacrifié pour mon pays. Ô mes enfants!»
Claquements de portes, puis un silence. Il a été fusillé, aujourd’hui, à l’aube d’un 24 janvier, 1963.
* Journaliste, écrivaine et blogueuse basée en Suisse.
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