Président gravement malade, émeutes, violences urbaines et tentatives d’attentat, à l’intérieur, et à l’extérieur, un environnement régional très instable, où va l’Algérie ?
Par Roland Lombardi *
A la fin de l’année 2016 et en janvier 2017, l’Algérie a connu une série d’émeutes et de troubles. Les plus notables à Alger et dans le centre de la ville kabyle de Béjaïa.
Le 26 février dernier, un attentat suicide, revendiqué par l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), a été déjoué à Constantine.
Avec un cours du pétrole encore trop bas, un président gravement malade, une guerre au sud (Sahel) et le chaos à l’est (Libye), il est vrai que pour l’Algérie, le contexte national et international reste incertain.
L’économie algérienne est fortement dépendante du secteur des hydrocarbures. Celui-ci représente 98% des exportations, 58% des recettes budgétaires et 28% du PIB.
Tributaire du prix du baril de brut, face à la baisse drastique des cours du pétrole depuis trois ans et en dépit d’une très fébrile hausse ces derniers mois, l’Algérie connaît donc inévitablement des difficultés.
Aujourd’hui, le taux de chômage ne cesse d’augmenter. Il a dépassé largement les 10%. Chez les femmes, ce taux atteint les 17% et chez les jeunes, près de 27% en septembre 2016, dans un pays où, ne l’oublions pas, un quart de la population est âgé de 15 à 29 ans!
Enfin, avec une inflation de plus de 10% et une facture de plus de 60 milliards de dollars d’importations, il est normal que certains experts économiques soient très inquiets, surtout si nous ajoutons à cela les tensions sociales et une croissance démographique galopante.
Sur le plan extérieur, les défis sont nombreux : menace terroriste en Tunisie, milices jihadistes et Daech en Libye, Boko Haram au Nigéria, instabilité au Sahel, et enfin, relations toujours tendues avec le Maroc autour de la question sahraouie.
Pour autant, l’Algérie n’est pas en train d’entrer dans une phase d’instabilité.
Certes, il y a toujours des luttes de clans au sein du pouvoir algérien mais le système reste sérieux, dur et solide. En septembre 2015, le puissant général Mohamed Mediène dit «Toufik», âgé de 76 ans, a été remplacé à la tête du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) par le général Athmane Tartag dit «Bachir». Mais, âgé de 67 ans, l’actuel patron du renseignement algérien, formé à l’école du KGB à Moscou et qui travaille au DRS depuis 1972, est toujours un homme du sérail et, surtout, un professionnel très expérimenté. Il est l’un des principaux officiers qui ont dirigé la lutte anti-terroriste lors de la guerre civile algérienne. Tartag est par ailleurs un ami d’Amar Saadani, le patron du FLN, et de Saïd Bouteflika, le très influent frère du président. Il est surtout, en dépit de quelques anicroches (Tartag ayant placé des fidèles à tous les postes stratégiques), un proche du général Ahmad Gaïd Salah, 77 ans, le puissant chef d’état-major et vice-ministre de la Défense.
Vers un Printemps algérien?
Malgré le vent de changement qui a soufflé sur le monde arabe depuis six ans, il n’y a pas eu de grande contestation populaire en Algérie. Aucun «printemps algérien» n’a vu le jour.
Jusqu’ici, la rente pétrolière permettait toujours d’acheter la paix civile en augmentant notamment les salaires et les subventions, mais la chute des prix du pétrole brut en 2014 a impacté de plein fouet le budget, ce qui força le pouvoir à relever les taxes sur les produits de première nécessité.
Ce sont donc les difficultés économiques qui ont poussé de nombreux jeunes dans divers trafics et notamment celui de la drogue. La délinquance et les violences urbaines connaissent une recrudescence inquiétante. Des émeutes sporadiques éclatent un peu partout comme à Béjaïa ou en périphérie d’Alger en début d’année, suite justement à la fameuse hausse des taxes.
Certes, les Algériens restent traumatisés par la guerre civile des années 1990 qui a fait près de 150 000 morts. Certains, nés au début de la guerre civile, ont 25 ans environ aujourd’hui et beaucoup d’entre eux, ont été les témoins d’atrocités extrêmes. Toutefois, les plus jeunes, ceux qui ont actuellement 16, 17 ou 18 ans, n’ont pas connu cette période noire. Dès lors, reste à savoir si les échecs, souvent tragiques, des Printemps arabes dans la région suffiront à eux seuls à calmer leur désarroi et leur colère…
Islamisme et terrorisme sont-ils des dangers pour l’Algérie ?
Le courant islamiste en Algérie est tout d’abord très fractionné. Par exemple, les Frères musulmans en Algérie se divisent en deux courants. Le mouvement Hamas, créé en 1990, est tacitement associé au pouvoir. En revanche, le Front de la Justice et du Développement cultive une opposition pacifique vis-à-vis du régime.
Bien sûr, l’Algérie n’est absolument pas à l’abri d’attaques venant de groupes jihadistes comme en janvier 2013 à In Amenas, d’attentats ou d’actions aussi spectaculaires que sanguinaires comme l’enlèvement et la décapitation, en septembre 2014, du guide de montagne français, Hervé Gourdel. Dernièrement, le 26 février 2017, un attentat-suicide, revendiqué par Daech, a été déjoué à Constantine.
Toutefois, le régime algérien et son armée, victorieux d’un conflit asymétrique dans les années 1990, ont bien retenu les dures leçons de cette sanglante guerre civile.
Pour l’instant, aucun groupe jihadiste local ou étranger ne menace sérieusement l’Etat algérien. Les militaires et les services spéciaux algériens les connaissent trop bien (certains évoquent même des rapports ambigus entre Alger et les groupes jihadistes du Sahel, c’était déjà le cas durant la décennie noire avec certains groupes islamistes armés…). Surtout, même s’il est un piètre stratège économique, le pouvoir algérien reste un expert dans la répression, la lutte contre le terrorisme, la manipulation et l’infiltration.
De plus, dans le domaine de la lutte anti-terroriste et à la différence des démocraties occidentales, le régime algérien, comme celui du Caire d’ailleurs, ne s’embarrasse guère du respect des droits de l’homme ou de l’«Etat de droit»… ce qui a toujours été, quoiqu’on en pense, un avantage certain dans ce type de guerre…
Par ailleurs, la coopération avec les services français, tunisiens et égyptiens, voire même avec les renseignements marocains, s’est considérablement renforcée et la priorité est donnée à la lutte contre Daech et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
L’armée algérienne est très bien informée sur tout ce qui se passe en Libye ainsi qu’à la frontière tuniso-libyenne dont elle assure de fait la défense. Enfin, depuis l’attaque d’In Amenas et en dépit de l’immensité de son territoire, les militaires algériens tiennent relativement «sous contrôle» les milliers de kilomètres de frontières. Evidemment, les trafics et l’immigration clandestine subsistent.
De fait, le risque zéro n’existe pas, même avec la technologie et le soutien des puissances occidentales. Néanmoins, les forces de sécurité algériennes sont en alerte maximale et tout est fait pour contrôler et surveiller le plus sévèrement possible les potentielles intrusions.
Enfin, l’armée algérienne est une armée de conscription, c’est une armée populaire, soutenue par le peuple et tant qu’elle le sera, l’Algérie, comme dans les années 1990, ne chavirera pas face à une nouvelle menace islamiste. Et puis, elle pourra toujours compter sur les Russes, vieux et grands partenaires économiques et géostratégiques de l’Algérie. En effet, bien que la Russie se soit depuis grandement rapprochée du rival marocain, l’Etat algérien sait pouvoir compter, en cas de crise grave, sur le soutien et la fidélité (fort bien démontrée en Syrie) du nouveau «juge de paix» de la région…
La refonte de l’économie, le grand défi !
De 1999, année de l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, à 2014, date du début de la crise pétrolière, Alger a encaissé entre 800 et 1 000 milliards de dollars de revenus issus des hydrocarbures ! Pourtant, aucune politique industrielle n’avait été lancée et aucun véritable plan de développement agricole n’avait été engagé.
L’Algérie pourrait être «la perle de l’Afrique» mais en dépit de sa puissance potentielle (pays le plus vaste d’Afrique avec 2,38 millions de km2 et avec des ressources considérables) et faute d’avoir amorcé une véritable révolution copernicienne de son modèle économique, la situation algérienne est, il est vrai, plus que préoccupante.
Malgré quelques réformes structurelles engagées dans les années 1990 pour évoluer vers une économie de marché, l’économie algérienne demeure marquée par un dirigisme d’Etat (plans quinquennaux). Elle reste encore trop fortement dépendante de la rente pétrolière et gazière.
Les dirigeants algériens n’ont pas encore entrepris une concrète diversification de l’économie du pays, aussi bien verticale, avec la montée en gamme des produits pétrochimiques, qu’horizontale, avec la redynamisation des secteurs hors hydrocarbures comme les énergies renouvelables, l’industrie, l’agriculture (seulement 7 % du PIB national) – l’Algérie est en Méditerranée le pays qui importe le plus (21%) et qui exporte le moins (0,28%) de produits agroalimentaires !) – ou encore, et pourquoi pas, malgré les tensions régionales actuelles, le tourisme?
Par ailleurs, la formidable potentialité des importantes disparités en termes de distribution spatiale n’est pas encore exploitée à sa juste valeur. Il convient en plus de souligner que même si les PME du tertiaire se multiplient, le secteur privé ne se développe pas comme il le devrait, entravé qu’il est par une corruption récurrente et omniprésente, et surtout par une grande méfiance de l’Etat.
Les responsables algériens devraient prendre conscience des risques auxquels ils sont soumis et cesser rapidement de faire dépendre l’économie du pays de la seule rente pétrolière. Malheureusement, certains misent sur un retour prochain de la hausse des prix du brut tandis que les autres sont convaincus que le sous-sol algérien regorge d’importants gisements de gaz et de pétrole encore méconnus. Il est vrai que l’Algérie est classée par les experts dans le top mondial des réserves de gaz de schiste…
En attendant, pour équilibrer son budget, l’Algérie aurait besoin d’un baril à 130 dollars US. Le problème est que celui-ci stagne encore aux alentours des 40-50 dollars US !
Ainsi, même si les réserves de change restent encore conséquentes, il n’empêche que la «tirelire rentière» fond comme neige au soleil et si la situation conjoncturelle actuelle venait à perdurer, elle serait épuisée en 2025 ! Certaines études, pour les plus pessimistes, évoquent même un délai beaucoup plus court, à savoir… cette année !
C’est pourquoi, il est urgent et primordial que les dirigeants algériens deviennent les bons élèves des militaires égyptiens qui, eux, ont compris qu’une refondation totale de leur système économique était vitale. Malgré tout, il y a pourtant des signes encourageants.
En 2015, le gouvernement algérien avait annoncé la décision de relancer la filière lait en créant prochainement une banque destinée au financement des petits éleveurs et agriculteurs et surtout, en y allouant une enveloppe de plus de 200 milliards de dinars (plus de 2 milliards d’euros) sur les cinq prochaines années…
Toujours en 2015, une dizaine de centrales électriques photovoltaïques d’une capacité de 268 mégawatts (MW) ont été mises en service sur les hauts plateaux et dans le sud du pays. Plus récemment, le lancement d’un appel d’offres national et international pour un gigantesque projet solaire de type photovoltaïque de 4 000 MW, pourrait avoir des retombées importantes et très positives en termes de création d’emplois, d’industrialisation, de développement technologique et d’acquisition de savoir-faire dans le domaine des énergies renouvelables.
La prise de conscience commencerait-elle ? Il faut l’espérer.
Quel scénario pour l’Algérie d’après Bouteflika ?
L’Algérie est un acteur incontournable dans les dossiers malien et libyen. Elle est par ailleurs, pour la France et l’Europe, un maillon capital dans la lutte contre le terrorisme et demain, dans la gestion de la crise migratoire. D’aucuns s’inquiètent alors de ce qu’il adviendra après la mort de Bouteflika.
Mais, sauf coup de théâtre, la transition au palais d’El-Mouradia, le siège de la présidence, se fera en douceur. D’ailleurs, tout doit être déjà sûrement prévu et programmé notamment par les trois hommes clés du régime et qui tiennent réellement les rênes du pays : Saïd Bouteflika, le général Ahmed Gaïd Salah et, enfin, le général Tartag, le patron du DSS et qui a été nommé, l’année passée, ministre conseiller du Président en charge des affaires de sécurité…
Les institutions gestionnaires de la sécurité (armée, police, services spéciaux…) ont déjà connu ces dernières années une épuration des vieux généraux et des cadres pas assez proches du clan présidentiel. 12 généraux, 2 colonels du DSS et 14 colonels de la justice militaire ont notamment été remerciés et remplacés par une nouvelle génération d’officiers.
Par ailleurs, concernant les cours du pétrole, on peut imaginer qu’ils ne resteront pas éternellement bas et que d’ici quelques mois une reprise de la hausse devrait survenir.
Un scénario noir, à court terme, ne semble donc pas vraisemblable. A long terme, c’est une autre histoire. La «bombe démographique» pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Depuis trois ans, il y a 1 million de naissances chaque année. D’après les estimations les plus sérieuses, en 2025, la population algérienne dépassera les 50 millions d’habitants et 70 % d’entre eux seront en âge de travailler. Qu’en sera-t-il alors de la rente pétrolière et de l’économie algérienne sans les réformes de fond si nécessaires? La demande (et la colère ?) sociale ne risque-t-elle pas alors d’exploser ? Une Algérie déstabilisée constituerait un problème majeur pour la région mais aussi pour l’Europe et en premier lieu pour la France. Comme dans les années 1990, il y aurait inévitablement des répercussions sur son territoire national. De plus, le phénomène migratoire à travers la Méditerranée pourrait alors exploser avec les conséquences déstabilisatrices que l’on imagine aisément.
* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
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