Se battre contre la mafia n’est pas une œuvre aisée, surtout quand elle s’érige en conseil d’administration des institutions de l’Etat. Comme c’est (presque) le cas en Tunisie.
Par Mohamed Chawki Abid *
En l’absence d’organes institutionnels de surveillance préventive et d’examen des soupçons de malversations, ainsi que d’instruction judiciaire des crimes financiers, nos responsables politiques en profitent paisiblement et agissent comme bon leur semble.
A titre indicatif, nous recensons parmi nos députés:
– des mercenaires roulant à la solde de lobbyistes;
– des courtiers agissant en facilitateurs avec l’administration;
– des affairistes-rentiers se battant pour protéger leurs intérêts;
– des représentants des barons de l’économie souterraine (évasion fiscale, fraude administrative, contrebande, fuite de capitaux…).
Tous ces parlementaires atypiques brassent des revenus illicites et défiscalisés, qu’ils s’ingénient à blanchir par des acquisitions lourdes (foncières, immobilières, matérielles) avant d’en transférer à l’étranger un coussin de devises via divers circuits.
Plusieurs cas ont été pointés du doigt par leurs collègues, sans que le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ne produise le rapport promis depuis l’éclatement de certaines affaires courant 2016, et sans que le procureur de la république n’ordonne l’ouverture d’enquêtes.
En outre, des interviews avec l’ex-ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, Abid Briki, et divers hommes politiques, ainsi que des enregistrements de réunions récemment fuités, ont révélé l’existence de dysfonctionnements institutionnels et la survenance de dépassements personnels d’importantes gravités.
A ce titre, il y a lieu de rappeler que le député Ghazi Chaouachi (Courant démocratique) a déposé, la semaine dernière, une pétition auprès du procureur de la république, l’invitant à ouvrir une enquête sur les révélations livrées par M. Briki. Nous attendons de voir le déclenchement de l’enquête et le déroulement des phases d’instruction.
Aussi, ne serait-il pas grand temps de promulguer une loi sur la transparence de la vie politique, ainsi que sur la délinquance économique et financière des hommes politiques, afin de protéger les institutions de la république.
Cette loi doit instaurer un parquet financier autonome, dirigé par le procureur de la république financier, organe chargé d’appréhender et de statuer sur les crimes financiers des hommes politiques.
En attendant l’instauration d’un parquet financier approprié devenu indispensable, il est urgent de charger l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) d’assurer un examen simplifié aux dossiers financiers de l’ensemble des parlementaires, notamment en ce qui concerne les déclarations patrimoniales déposées fin 2014 (conjoints et enfants compris); les déclarations fiscales effectuées au titre des exercices 2014, 2015 et 2016; et la mise à jour des déclarations patrimoniales à une date récente.
Au terme de cette analyse préliminaire, des dossiers douteux devront être remontés à la présidence de l’ARP avant d’être transférés au procureur de la république pour instruction judiciaire.
La même démarche sera conduite avec l’ensemble des hauts commis de l’Etat, tant au niveau du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, qu’au niveau de l’administration et des établissements publics.
Ce n’est que de cette manière que nous pourrions engager un processus efficace de «démafiatisation» de l’Etat.
Ce n’est que par de cette démarche que l’exemplarité des responsables de l’Etat pourra être rétablie, que le prestige de l’Etat pourra être recouvré, et que son autorité pourra être restaurée.
* Ingénieur économiste.
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