Tout en rêvant d’«être tunisien», Kamel Daoud craint pour le modèle tunisien de transition démocratique menacé par les manœuvres des islamistes wahhabites.
Par Fawz Ben Ali
Le journaliste et écrivain algérien d’expression française était à Tunis, samedi 1er avril 2017, dans le cadre de la 33e édition de la Foire internationale du livre de Tunis, au Palais des Exposition du Kram, dans la banlieue de Tunis, pour présenter et dédicacer son recueil de chroniques ‘‘Je rêve d’être tunisien’’, paru aux éditions Cérès.
Après y avoir été invité en 2015 pour présenter son roman ‘‘Meursault, contre-enquête’’ (Prix Goncourt du premier roman 2015), qui l’avait propulsé au devant de la scène littéraire mondiale, Kamel Daoud revient cette année à Tunis au grand bonheur de ses lecteurs tunisiens, leur offrant un ouvrage au titre très flatteur ‘‘Je rêve d’être tunisien’’, qu’il leur servira d’«amical renfort», selon ses termes.
Dans le vif de l’actualité
Laissant de côté momentanément la littérature, Kamel Daoud est venu cette fois parler avant tout de politique puisque c’est essentiellement dans ce domaine que son nouveau livre s’inscrit, en regroupant 28 textes en rapport avec la Tunisie, publiés entre 2010 et 2016, dans ‘‘Le Quotidien d’Oran’’, ‘‘Le Point’’, le ‘‘New York Times’’ et ‘‘La Republicca’’.
Des chroniques que le journaliste et écrivain a rédigées dans le vif des événements majeurs de ces six dernières années comme la révolution du 14 janvier 2011, les élections de 2011, les attentats de Bardo et de Sousse, le Prix Nobel de la Paix de 2015…
Dans ce best-seller de la Foire du Livre de cette année, Kamel Daoud laisse entendre une voix libre et une réflexion pertinentes sur les questions qui le préoccupent et qui constituent la une de l’actualité dans le monde et plus particulièrement dans la région arabe par devoir de mémoire et par besoin de témoigner de cette époque cruciale, souvent en évitant d’utiliser la première personne du singulier, «par crainte de tomber dans l’usurpation», explique-t-il.
Kamel Daoud: «Ce qui se passe en Tunisie fait rêver partout dans le monde arabe».
Des menaces qui rôdent
‘‘Je rêve d’être tunisien’’ se traduit par «je veux être libre», note le chroniqueur dans l’avant-propos de ce livre, qui constitue une véritable déclaration d’amour à la Tunisie et où il exprime tout son enthousiasme et sa fascination envers le modèle tunisien de transition démocratique: «Ce qui se passe en Tunisie fait rêver partout dans le monde arabe», confesse-t-il, car ce pays propose une solution autre que celles qu’offrirait l’armée ou la mosquée, une solution à travers de vraies élections, un consensus national et un texte de constitution «qui se lit presque comme une poésie tant il fait rêver», dit-il.
Kamel Daoud garde toutefois un regard lucide et ne cache pas sa crainte vis-à-vis des menaces qui rôdent autour de cette réussite tunisienne, «qui est si fragile, si rare et si récente» à ses yeux. Il explique que les dictatures et les monarchies arabes encore en place tentent d’effacer le modèle tunisien de la mémoire de leurs peuples pour ne retenir en fin de compte que le chaos libyen et syrien ou la nouvelle forme de dictature égyptienne.
Dès lors, la révolution tunisienne a été assimilée à la théorie du complot, à un escamotage ou encore à un soulèvement voué à l’échec, afin d’éviter la contagion de la rébellion. Pour les leaders arabes, «la Tunisie ne doit pas exister car elle prouvera qu’il y a une possibilité de vie après le soulèvement, de raison après le hurlement et de consensus après le désordre», détaille-t-il.
Les islamistes sont le dernier cadeau fait, post-mortem, par les dictatures arabes à leurs peuples.
Du parti unique au parti de l’Unique
Il a, d’autre part, évoqué le plus grand mal postrévolutionnaire du monde arabe qu’est l’islam politique et la radicalisation, ce poison qui fait qu’on passe «du parti unique au parti de l’Unique». Kamel Daoud explique ainsi que les islamistes sont le dernier cadeau fait, post-mortem, par les dictatures arabes à leurs peuples, et qu’ils sont «les fils légitimes et aînés des régimes tombés et du wahhabisme internationalisé par le livre et le satellite», ce qui fait que le ciel devient une affaire d’urnes et non d’intimité et que l’électeur arabe ne vote pas en tant que citoyen mais en tant que croyant. «Vous avez droit à une femme mais à quatre présidents. Le contraire est une ruse», ironise-t-il dans son livre.
«On fabrique des islamistes quand on refuse la liberté aux siens, le savoir, les écoles modernes, l’entreprise, la créativité et la création et lorsqu’on encourage la prière au lieu du travail et le conservatisme au lieu de la citoyenneté ou la fatwa au lieu de la loi», explique Kamel Daoud qui avait fait l’objet d’une fatwa lancé par un imam salafiste algérien, il y a deux ans.
Interrogé sur ses futurs projets littéraires, le journaliste écrivain, a annoncé qu’il profiterait de son séjour en Tunisie pour finaliser son nouveau roman, qui sortira entre septembre 2017 et janvier 2018.
Donnez votre avis