Les universitaires semblent soit inconscients des enjeux de la réforme de l’enseignement supérieur pour la Tunisie, soit englués dans des petits calculs indignes de leur rang.
Par Karim Ben Kahla *
La proposition du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de modifier les textes régissant les élections universitaires et la réaction relativement négative de plusieurs acteurs du champ universitaire – dont notamment la fédération de l’enseignement supérieur – à cette tentative de «démocratiser la vie universitaire» suscitent plusieurs remarques.
D’abord, l’université tunisienne est responsable de la situation actuelle et de l’avenir de notre pays. C’est dans nos amphis et au milieu de nos salles de cours qu’il faudrait chercher l’origine de notre crise économique, sociale, politique et morale. Aussi les universitaires doivent-ils donner l’exemple à leurs étudiants et à toutes les composantes de la société, en matière de bonnes pratiques de gouvernance et de gestion performante et démocratique de leurs institutions. C’est par ce souci de l’exemplarité que l’université peut prétendre à être la locomotive de toute la société, et non un wagon qui empêche ou retarde son évolution.
Evitons de politiser l’université
Ensuite, les enseignants chercheurs devraient être conscients que le véritable enjeu des prochaines élections universitaires n’est pas seulement de désigner les dirigeants des structures d’enseignement et de recherche pour les trois prochaines années, mais de choisir les personnes et les équipes qui vont mener la réforme tant attendue de l’enseignement supérieur. Cette réforme sera bel et bien notre dernière chance : si elle échoue, nous dirions définitivement dire adieu à l’enseignement supérieur public en Tunisie.
Par ailleurs, un autre enjeu de ces élections est celui de faire face au risque de politisation et de récupération politicienne de nos universités. Il est navrant de constater que plusieurs enseignants, qui reprochaient à Ben Ali de politiser l’université, n’hésitent pas, aujourd’hui, à instrumentaliser le champ scientifique pour des règlements de comptes partisans qui usent et abusent de slogans pseudo-démocratiques.
Sur un autre plan, la réussite de la réforme passe obligatoirement par la mise en place de structures de gouvernance et de pilotage efficaces. Rien ne sera possible si, au préalable, on ne sort pas de la «trappe de la mauvaise gouvernance universitaire» qui fait en sorte que nous évoluons vers des universités «en manque d’universitaires, d’universalité et d’intelligence».
La mise en place de nouvelles structures et de mécanismes efficaces de gouvernance n’est donc pas un axe parmi d’autres de la réforme universitaire mais bel et bien LE PREALABLE à celle-ci. (Voir notre article «La trappe de la mauvaise gouvernance universitaire»).
La réforme de la gouvernance
La question des élections ne peut en aucun cas être séparée de celle de la gouvernance. L’«illusion démocratique» dans laquelle nous évoluons est liée à des règles d’organisation des élections favorables à des clans plus ou moins mafieux, mais également à l’absence d’un cadre global et d’une vision cohérente de la gouvernance universitaire. La réforme des textes qui régissent les élections universitaires est absolument nécessaire. Mais elle n’aura l’impact souhaité que si elle est accompagnée d’un changement au niveau des principales dimensions et mécanismes de la gouvernance universitaire (Voir notre article «L’Université tunisienne face à l’illusion démocratique»).
Il est tout à fait normal et, en tout cas compréhensible, que les clans et ceux qui ont bénéficié du système actuel pour prendre le pouvoir au sein de plusieurs structures universitaires s’obstinent à garder les mêmes «règles du jeu». Mais il serait particulièrement désolant que les universitaires sincères et engagés soient privés d’un véritable débat sur la réforme de la gouvernance de leurs institutions et que cette nécessaire réflexion collective soit confisquée par certaines personnes qui se disent syndicalistes mais qui en réalité, ne servent pas le syndicat, mais s’en servent pour défendre leurs propres intérêts.
Autant nous avons personnellement et publiquement critiqué le premier projet de décret proposé par le ministère, autant je m’étonne du silence de plusieurs collègues qui me semblent soit inconscients des enjeux de la réforme de l’enseignement supérieur pour la Tunisie, soit englués dans des petits calculs indignes de leur rang. Ces éternels silences ou petits calculs accentuent la mauvaise gouvernance et sont la principale cause de la situation actuelle de notre université.
Des propositions pour réformer l’université
De façon claire, simple et précise, voici nos propositions :
– opérer la réforme de l’enseignement supérieur en deux temps et retarder les élections universitaires pour la prochaine rentrée universitaire (pour rappel, d’autres élections fort importantes et sensibles sur le plan national ont déjà été retardées);
– dédier les prochaines assises de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (prévues pour le mois de juin) à la seule question de la gouvernance et des élections universitaires;
– organiser les élections des nouvelles structures et des nouveaux acteurs de la gouvernance à la date et suivant les modalités qui seront fixées suite à ces assises (voire même par ces assises);
– organiser la deuxième partie des assisses dédiée aux autres éléments de la réforme avant la fin de l’année administrative.
Il en va de l’avenir de notre jeunesse, de nos enfants et de notre pays.
* Professeur, École supérieure de commerce de Tunis, directeur de l’Ecole doctorale d’économie, commerce, comptabilité, finance et gestion de l’Université de la Manouba (Eccofiges).
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