Manifestation contre la loi sur la réconciliation économique.
Au lieu de chercher à instaurer un climat d’impunité, grâce à une loi dite de réconciliation, n’est-il pas plus judicieux d’améliorer le climat des affaires ?
Par Anis Wahabi *
Deux années après la première tentative, la loi de réconciliation économique et financière est remise à l’ordre du jour, ramenant avec elle une nouvelle dose de discorde, à la place de la conciliation souhaitée.
Aucun ne peut s’opposer à la conciliation dans l’absolu. On est encore plus tenté face à la confiscation du processus de justice transitionnelle, confié à l’Instance Vérité et Dignité (IVD), par des «mercenaires révolutionnaires». Il n’en demeure pas moins que l’initiateur de la nouvelle loi n’arrive pas à nous convaincre ni des finalités du projet, ni du processus de mise en œuvre de la conciliation tant souhaitée.
Au secours d’un système censé être fini
Si le projet de loi vise le «rachat» de quelques centaines de fonctionnaires et assimilés piégés par l’article 97 du code pénal, qui n’ont pas tiré de profit pour eux-mêmes, mais qui étaient obligés d’acquiescer aux caprices du système, pourquoi transformer la loi en un «fourre-tout» de dispositions qui use de tout le vocabulaire pénal sans aucune référence au code pénal? Ce qui prouve l’amateurisme de ceux qui l’ont rédigée.
Il paraît que le blocage que connaît ces fonctionnaires et assimilés a givré l’économie nationale. Un colloque rassemblant les meilleurs économistes à même estimé le manque à gagner à 1,2 points de croissance du PIB. La crème de nos économistes a oublié toutefois de nous présenter la méthodologie adoptée pour nous obtenir ce chiffre. On aurait souhaité que ces chers économistes se préservent, parce qu’on a toujours besoin d’eux, dans un pays de 10 millions d’experts en économie et en… football.
Le président de la république, initiateur de la loi, ne peut pas cacher sa volonté de défendre «le système» qui l’a soutenu, un système «destourien» presque déjà centenaire, qui a fait beaucoup pour la Tunisie, de l’indépendance à la formation de l’Etat. Ce système qui n’arrive pas à reconnaître qu’il est fini, depuis que ses hommes ont laissé faire quand on a bafoué leur emblème, qui est la constitution, en 2002, et devant leur incapacité de fédération depuis la révolution de 2011.
Il est évident que les défenseurs de la loi de réconciliation ne veulent pas reconnaître que ce système est fini, après avoir fait tant pour la Tunisie mais qui a abouti à des catastrophes, notamment en termes d’efficience économique, de bonne gouvernance et d’égalité des chances.
Parce que ce système a abouti au fait qu’un enfant né dans les régions favorisées a 17 fois plus de chance d’avoir un travail et 37 fois plus chance d’avoir une maison qu’un jeune né à l’intérieur du pays.
Le népotisme de beaux jours devant lui
Ce même système veut maintenant, à travers la loi de réconciliation, consacrer cette inégalité même devant la justice. Ce qui fera qu’un fonctionnaire de l’Etat, un ex-ministre ou gouverneur aura plus de chance d’échapper aux poursuites pénales qu’un jeune qui cède à la tentation de fumer un joint; un homme d’affaires riche abusant des situations de privilèges aura toutes les chances de mener sa vie tranquillement qu’un petit commerçant piégé par une loi archaïque de chèques sans provisions.
Cette loi de conciliation est le symbole même de la pérennité d’un système injuste, auquel viennent se greffer des politico-islamistes qui ne font, par leur soi-disant refus, qu’améliorer leurs possibilités d’abuser eux-mêmes du système.
Cette loi est la preuve que ceux qui nous gouvernent n’ont pas réellement comme objectif de dynamiser l’économie mais de prolonger le népotisme régnant.
Au lieu de s’orienter vers le passé, on aurait gagné à adopter une vision positive, intégrant les considérations managériales de prise de risque et de liberté de décision.
Au lieu d’instaurer un climat d’impunité, n’est-il pas plus judicieux d’améliorer le climat des affaires à travers la dépénalisation des actes de gestion?
Cette mesure, adoptée par plusieurs pays, dispose que lorsque des infractions pénales sont commises au préjudice d’une entreprise économique, dont l’État détient la totalité des capitaux, ou d’une entreprise à capitaux mixtes, l’action publique n’est engagée que sur plainte des organes sociaux concernés (conseil d’administration et assemblée générale).
Adopter cette mesure sera plus simple et plus efficace que l’adoption, par la force de la «démocratie de transition», d’une loi entière dont les limites sont mal cernées. Elle permettra de libérer les acteurs économiques et dynamiser la gestion des entreprises publiques.
Quant aux fonctionnaires qu’on veut protéger, ils bénéficieront de cette mesure par application du principe de rétroactivité des dispositions pénales plus favorables. Ça passera en douceur, sans la moindre querelle populiste.
* Expert comptable.
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