Et si la vraie fausse démission de Chafik Sarsar était un dégât collatéral de la guéguerre que se livrent Ennahdha et le CPR pour le contrôle de l’Instance des élections ?
Par Sami Ben Slama *
En utilisant un jargon militaire, on ne pourrait s’empêcher de penser que la démission de Chafik Sarsar, le président de l’Instance supérieure indépendant des élections (Isie) et de ses assistants était un «tir ami», c’est-à-dire une attaque réussie venue de son propre camp.
En réalité, cette démission et malgré toutes ses conséquences désastreuses sur le processus de transition démocratique, ne représente que la partie apparente d’un iceberg, qui s’est déjà fissuré et qui fond. Elle n’est pour notre malheur que le prolongement, au sein de cette institution vitale pour notre jeune démocratie, d’une querelle politique, qui s’est ouvertement déclarée il y a quelques mois, entre les anciens «alliés» composant la défunte «troïka», l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha.
La guéguerre des anciens alliés
Pour être précis, cette démission n’est qu’un dégât collatéral, pour rester dans le jargon militaire, des tentatives de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki visant à s’accaparer une partie de l’électorat naturel d’Ennahdha entamées lors des dernières élections en 2014.
Au sein de l’Isie, chacun, en soldat exemplaire, a sa part du combat. C’est une guerre larvée qui dure depuis la fin des élections entre deux camps, celui des membres choisis et appuyés par Ennahdha (M. Sarsar & Cie), qui a perdu trois éléments par tirage au sort en février 2017, et le camp du Congrès pour la république CPR (Riadh Bouhouchi et Cie) qui reproche à M. Sarsar la défaite de M. Marzouki aux élections.
Ce dernier camp, issu d’une nouvelle concorde temporaire et contre-nature entre le CPR et les repêchés de l’ancienne Isie, a très bien manœuvré tactiquement. Il a même réussi à établir une alliance-surprise, fragile certes, mais très efficace avec deux au moins des trois nouveaux membres.
L’enjeu pour les deux camps n’étant autre, et il faut le préciser, que la défense d’intérêts strictement personnels et partisans lors des prochaines échéances électorales et n’a aucun lien avec l’intérêt général.
Ce «harak» (mouvement) des membres du conseil, sans jeu de mots aucun, a essayé d’affaiblir un président déjà faible et sans réelle personnalité, et de le mettre directement sous la botte en usant judicieusement des mécanismes démocratiques en vigueur au sein du conseil de l’Isie.
Le trio «démissionnaire»: Mourad Ben Moula, Chafik Sarsar et Lamia Zargouni.
Une démission bien ordonnée
Ennahdha, considérant l’Isie II comme sa chasse gardée, n’étant pas en reste en matière d’habileté et de réactivité, a vu l’extrême danger que représentait la perte totale de son influence sur l’instance. Et cela dès la démission forcée du directeur exécutif des opérations infiltré depuis le début par ses soins. Elle n’a pas accepté de perdre aussi les précieuses prérogatives de son cher bien-aimée président et a répliqué et très rapidement et très adroitement.
Elle a lui a «ordonné» de démissionner le matin de sa sortie controversée et de l’annoncer dans le point de presse programmé le jour même pour présenter le calendrier électoral.
Certains esprits mal attentionnés affirmeraient même que les deux autres démissionnaires, Lamia Zargouni et Mourad Ben Moula, n’étaient même pas au courant de leur démission. Ils n’auraient appris la mauvaise nouvelle et dans le bureau même de M. Sarsar que 10 minutes avant de descendre rencontrer les journalistes.
En effet, au moins un membre démissionnaire était attelé toute la matinée à bavarder sereinement dans le hall et était euphorique à l’idée d’enclencher à nouveau le processus électoral, quelques minutes avant sa convocation subite à rejoindre le président.
Ennahdha a réussi son coup brillamment. Elle a réussi à mettre l’autre camp, qui se croyait gagnant, en difficulté. Les félons se sont vus immédiatement accusés de corruption, d’atteinte au processus électoral et d’être responsables du probable report des élections. C’était un choc extrême et tellement violent qu’ils en sont restés bouche-bée, eux qui arpentaient les couloirs des plateaux télés tout le long de la semaine. Ils n’ont même pas réussi à répliquer, se bornant à s’excuser platement auprès de l’honorable président et à le supplier de revenir.
Ennahdha fait basculer la balance
Ennahdha ne lâche jamais les siens même pas ceux gagnés par appât du gain ou par simple calcul; et surtout pas ses bébés-éprouvettes sortis de son néant à elle.
La Tunisie en a vu des crises autour de ses institutions pseudo-indépendantes, aucune d’elle n’a vu la tenue d’une réunion aussi rapide que celle décidée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour écouter les justifications ahurissantes de M. Sarsar concernant sa démission.
Il y avait péril en la demeure, tout était bon pour le mouvement pour permettre à ces députés d’étaler leur savoir-faire en matière de propagande et de désinformation pour sauver un soldat unique en son genre et pour orienter l’opinion publique dans la bonne direction. Elle a fait basculer la balance et a réussi le coup de maître de faire revenir le président en larmes avec les excuses de la patrie.
En même-temps, elle a mis l’autre patrie dans de beaux draps et gageons qu’elle aura d’énormes difficultés à se remettre de ce coup vraiment génial. Cependant, la partie n’est pas encore finie et on assistera sûrement à quelques rebondissements.
Quant aux opinions exprimées çà et là, par solidarité fraternelle ou par conviction, altérées par l’absence d’informations exactes sur un sujet aussi délicat, par les politiques ou au sein de la société civile, elles nous enseignent une chose : tout le monde est prêt à s’occuper de toutes les futilités inimaginables et préfère ignorer les vrais enjeux; c’est plus rassurant ! Et il n’est pas si difficile ainsi de trouver les causes réelles du si long règne de notre médiocratie nationale.
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